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En ce moment on traversait la ville de Montcuq, et quatre petites pièces de campagne prenaient rang dans l'armée.

– Je reviens à ma première idée, sire, dit Chicot, que les loups de ce pays sont des maîtres loups, et qu'on les traite avec des égards inconnus aux loups ordinaires: de l'artillerie pour eux, sire!

– Ah! tu as remarqué? dit Henri, c'est une manie des gens de Montcuq, depuis que je leur ai donné pour leurs exercices ces quatre pièces, que j'ai fait acheter en Espagne et qu'on m'a passées en fraude, ils les traînent partout.

– Enfin, murmura Chicot, arriverons-nous aujourd'hui, sire?

– Non, demain.

– Demain matin ou demain soir?

– Demain matin.

– Alors, dit Chicot, c'est à Cahors que nous chassons, n'est-ce pas, sire?

– C'est de ce côté-là, fit le roi.

– Mais comment, sire, vous qui avez de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie pour chasser le loup, comment avez-vous oublié de prendre l'étendard royal? L'honneur que vous faites à ces dignes animaux eût été complet.

– On ne l'a pas oublié, Chicot, ventre saint-gris! on n'aurait eu garde: seulement on le laisse à l'étui de peur de le salir. Mais puisque tu veux un étendard, mon enfant, pour savoir sous quelle bannière tu marches, on va t'en montrer un beau. Tirez l'étendard de son fourreau, commanda le roi, monsieur Chicot désire savoir comment sont faites les armes de Navarre.

– Non, non, c'est inutile, dit Chicot; plus tard; laissez-le où il est, il est bien.

– D'ailleurs, sois tranquille, dit le roi, tu le verras en temps et lieu.

On passa la seconde nuit à Catus, à peu près de la même façon qu'on avait passé la première; depuis le moment où Chicot avait donné sa parole d'honneur de ne pas fuir, on ne faisait plus attention à lui.

Il fit un tour par le village et alla jusqu'aux avant-postes. De tous côtés des troupes de cent, cent cinquante, deux cents hommes, venaient se joindre à l'armée. Cette nuit, c'était le rendez-vous des fantassins.

– C'est bien heureux que nous n'allions pas jusqu'à Paris, dit Chicot, nous y arriverions avec cent mille hommes.

Le lendemain, à huit heures du matin, on était en vue de Cahors, avec mille hommes de pied et deux mille chevaux.

On trouva la ville en défense; des éclaireurs avaient alarmé le pays; M. de Vezin s'était aussitôt précautionné.

– Ah! ah! fit le roi, à qui Mornay communiqua cette nouvelle, nous sommes prévenus; c'est contrariant.

– Il faudra faire le siège en règle, sire, dit Mornay; nous attendons encore deux mille hommes à peu près, c'est autant qu'il nous faut, pour balancer les chances du moins.

– Assemblons le conseil, dit M. de Turenne, et commençons les tranchées.

Chicot regardait toutes ces choses, et écoutait toutes ces paroles d'un air effaré.

La mine pensive et presque piteuse du roi de Navarre le confirmait dans ses soupçons, que Henri était un pauvre homme de guerre, et cette conviction seule le rassurait un peu.

Henri avait laissé parler tout le monde, et, pendant l'émission des divers avis, il était resté muet comme un poisson.

Tout à coup il sortit de sa rêverie, releva la tête, et du ton du commandement:

– Messieurs, dit-il, voilà ce qu'il faut faire. Nous avons trois mille hommes, et deux que vous attendez, dites-vous, Mornay?

– Oui, sire.

– Cela fera cinq mille en tout; dans un siège en règle on nous en tuera mille ou quinze cents en deux mois; la mort de ceux-là découragera les autres: nous serons obligés de lever le siège et de battre en retraite; en battant en retraite, nous en perdrons mille autres, ce sera la moitié de nos forces.

Sacrifions cinq cents hommes tout de suite et prenons Cahors.

– Comment entendez-vous cela, sire? demanda Mornay.

– Mon cher ami, nous irons droit à celle des portes qui se trouvera la plus proche de nous. Nous trouverons un fossé sur notre route; nous le comblerons avec des fascines; nous laisserons deux cents hommes à terre, mais nous atteindrons la porte.

– Après, sire?

– Après la porte atteinte, nous la ferons sauter avec des pétards, et l'on se logera. Ce n'est pas plus difficile que cela.

Chicot regarda Henri, tout épouvanté.

– Oui, grommela-t-il, poltron et vantard, voilà bien mon Gascon; est-ce toi, dis, qui iras placer le pétard sous la porte?

À l'instant même, comme s'il eût entendu l'aparté de Chicot, Henri ajouta:

– Ne perdons pas de temps, messieurs, la viande refroidirait; allons en avant, et qui m'aime me suive!

Chicot s'approcha de Mornay, à qui il n'avait pas eu le temps, tout le long de la route, d'adresser une seule parole.

– Dites donc, monsieur le comte, lui glissa-t-il à l'oreille, est-ce que vous avez envie de vous faire écharper tous?

– Monsieur Chicot, il nous faut cela pour bien nous mettre en train, répliqua tranquillement Mornay.

– Mais vous ferez tuer le roi!

– Bah! Sa Majesté a une bonne cuirasse!

– D'ailleurs, dit Chicot, il ne sera pas si fou que d'aller aux coups, je présume?

Mornay haussa les épaules et tourna les talons à Chicot.

– Allons, dit Chicot, je l'aime encore mieux quand il dort que quand il veille, quand il ronfle que quand il parle; il est plus poli.

LV Comment le roi Henri de Navarre se comporta la première fois qu'il vit le feu

La petite armée s'avança jusqu'à deux portées de canon de la ville; là on déjeuna.

Le repas pris, il fut accordé deux heures aux officiers et aux soldats pour se reposer.

Il était trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire qu'il restait deux heures de jour à peine, lorsque le roi fit appeler les officiers sous sa tente.

Henri était fort pâle, et tandis qu'il gesticulait, ses mains tremblaient si visiblement, qu'elles laissaient aller leurs doigts comme des gants pendus pour sécher. – Messieurs, dit-il, nous sommes venus pour prendre Cahors; il faut donc prendre Cahors, puisque nous sommes venus pour cela; mais il faut prendre Cahors par force, par force, entendez-vous? c'est-à-dire en enfonçant du fer et du bois avec de la chair.

– Pas mal, fit Chicot, qui écoutait en épilogueur, et si le geste ne démentait pas la parole, on ne pourrait guère demander autre chose, même à M. de Crillon.