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Puis se retournant vers ceux qui l'arrêtaient:

– Messieurs, dit-il, vous me ferez au moins la grâce de m'apprendre…

– Eh! mais, c'est M. de Carmainges, dit le détrousseur principal, celui-là même qui venait de saisir l'épée du jeune homme et qui la tenait encore.

– M. de Pincorney! s'écria Ernauton. Oh! fi! le vilain métier que vous faites là!

– J'ai dit silence, répéta la voix du chef retentissante à quelques pas; qu'on mène cet homme au dépôt.

– Mais monsieur de Sainte-Maline, dit Perducas de Pincorney, cet homme que nous venons d'arrêter…

– Eh bien?

– C'est notre compagnon, M. Ernauton de Carmainges.

– Ernauton ici! s'écria Sainte-Maline pâlissant de colère; lui, que fait-il là?

– Bonsoir, messieurs, dit tranquillement Carmainges: je ne croyais pas, je l'avoue, me trouver en si bonne compagnie.

Sainte-Maline resta muet.

– Il paraît qu'on m'arrête, continua Ernauton; car je ne présume point que vous me dévalisiez.

– Diable! diable! grommela Sainte-Maline, l'événement n'était pas prévu.

– De mon côté non plus, je vous jure, dit en riant Carmainges.

– C'est embarrassant; voyons, que faites-vous sur la route?

– Si je vous faisais cette question, monsieur de Sainte-Maline, me répondriez-vous?

– Non.

– Trouvez bon alors que j'agisse comme vous agiriez.

– Alors vous ne voulez pas dire ce que vous faisiez sur la route?

Ernauton sourit, mais ne répondit pas.

– Ni où vous alliez?

Même silence.

– Alors, monsieur, dit Sainte-Maline, puisque vous ne vous expliquez point, je suis forcé de vous traiter en homme ordinaire.

– Faites, monsieur; seulement je vous préviens que vous répondrez de ce que vous aurez fait.

– À M. de Loignac?

– À plus haut que cela.

– À M. d'Épernon?

– À plus haut encore.

– Eh bien! soit, j'ai ma consigne, et je vais vous envoyer à Vincennes.

– À Vincennes! à merveille! c'est là que j'allais, monsieur.

– Je suis heureux, monsieur, dit Sainte-Maline, que ce petit voyage cadre si bien avec vos intentions.

Deux hommes, le pistolet au poing, s'emparèrent aussitôt du prisonnier, qu'ils conduisirent à deux autres hommes placés à cinq cents pas des premiers. Ces deux autres en firent autant, et de cette sorte Ernauton eut, jusque dans la cour même du donjon, la société de ses camarades.

Dans cette cour, Carmainges aperçut cinquante cavaliers désarmés, qui, l'oreille basse et la pâleur au front, entourés de cent cinquante chevau-légers venus de Nogent et de Brie, déploraient leur mauvaise fortune et s'attendaient à un vilain dénoûment d'une entreprise si bien commencée.

C'étaient nos quarante-cinq qui, pour leur entrée en fonctions, avaient pris tous ces hommes, les uns par ruse, les autres de vive force; tantôt en s'unissant dix contre deux ou trois, tantôt en accostant gracieusement les cavaliers qu'ils devinaient être redoutables, et en leur présentant à brûle-pourpoint le pistolet, quand les autres croyaient tout simplement rencontrer des camarades et recevoir une politesse.

Il en résultait que pas un combat n'avait été livré, pas un cri proféré, et qu'en une rencontre de huit contre vingt, un chef de ligueurs qui avait porté la main à son poignard pour se défendre et ouvert la bouche pour crier, avait été bâillonné, presque étouffé et escamoté par les quarante-cinq avec l'agilité que met un équipage de navire à faire filer un câble entre les doigts d'une chaîne d'hommes.

Or, pareille chose eût bien réjoui Ernauton s'il l'eût connue; mais le jeune homme voyait, mais ne comprenait pas, ce qui rembrunit un peu son existence pendant dix minutes.

Cependant lorsqu'il eut reconnu tous les prisonniers auxquels on l'agrégeait:

– Monsieur, dit-il à Sainte-Maline, je vois que vous étiez prévenu de l'importance de ma mission, et, qu'en galant compagnon, vous avez eu peur pour moi d'une mauvaise rencontre, ce qui vous a déterminé à prendre la peine de me faire escorter; maintenant, je puis vous le dire, vous aviez grande raison; le roi m'attend et j'ai d'importantes choses à lui dire. J'ajouterai même que comme, sans vous, je ne fusse probablement point arrivé, j'aurai l'honneur de dire au roi ce que vous avez fait pour le bien de son service.

Sainte-Maline rougit comme il avait pâli; mais il comprit, en homme d'esprit qu'il était quand quelque passion ne l'aveuglait point, qu'Ernauton disait vrai et qu'il était attendu. On ne plaisantait pas avec MM. de Loignac et d'Épernon; il se contenta donc de répondre:

– Vous êtes libre, monsieur Ernauton; enchanté d'avoir pu vous être agréable.

Ernauton s'élança hors des rangs et monta les degrés qui conduisaient à la chambre du roi.

Sainte-Maline l'avait suivi des yeux, et, à moitié de l'escalier, il put voir Loignac qui accueillait M. de Carmainges et lui faisait signe de continuer sa route.

Loignac de son côté descendit; il venait procéder au dépouillement de la prise.

Il se trouva, et ce fut Loignac qui constata ce fait, que la route, devenue libre, grâce à l'arrestation des cinquante hommes, serait libre jusqu'au lendemain, puisque l'heure où ces cinquante hommes devaient se trouver réunis à Bel-Esbat était passée.

Il n'y avait donc plus péril pour le roi à revenir à Paris.

Loignac comptait sans le couvent des Jacobins et sans l'artillerie et la mousqueterie des bons pères.

Ce dont d'Épernon était parfaitement informé, lui, par Nicolas Poulain.

Aussi, quand Loignac vint dire à son chef: – Monsieur, les chemins sont libres, d'Épernon lui répliqua-il:

– C'est bien. L'ordre du roi est que les quarante-cinq fassent trois pelotons; un devant et un de chaque côté des portières; peloton assez serré pour que le feu, s'il y a feu par hasard, n'atteigne pas le carrosse.

– Très bien, répondit Loignac avec l'impassibilité du soldat; mais, quant à dire feu, comme je ne vois pas de mousquets, je ne prévois pas de mousquetades.

– Aux Jacobins, monsieur, vous ferez serrer les rangs, dit d'Épernon.

Ce dialogue fut interrompu par le mouvement qui s'opérait sur l'escalier.

C'était le roi qui descendait, prêt à partir: il était suivi de quelques gentilshommes parmi lesquels, avec un serrement de cœur facile à comprendre, Sainte-Maline reconnut Ernauton.