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Et Chicot serra la main d'Ernauton.

– Il a peut-être raison, se dit-il en s'éloignant pour reprendre son cheval; puis revenant sur ses pas:

– Au fait, dit-il, vous avez là sept bons chevaux: je crois en avoir gagné quatre pour ma part; aidez-moi donc à en choisir… Vous y connaissez-vous?

– Prenez le mien, répondit Ernauton, je sais ce qu'il peut faire.

– Oh! c'est trop de générosité, gardez-le pour vous.

– Non, je n'ai pas autant besoin que vous de marcher vite.

Chicot ne se fit pas prier; il enfourcha le cheval d'Ernauton et disparut.

XXXVIII Ernauton de Carmainges

Ernauton resta sur le champ de bataille, assez embarrassé de ce qu'il allait faire des deux ennemis qui allaient rouvrir les yeux entre ses bras.

En attendant, comme il n'y avait aucun danger qu'ils s'éloignassent, et qu'il était probable que maître Robert Briquet, c'est sous ce nom, on se le rappelle, qu'Ernauton connaissait Chicot, et comme il était probable, disons-nous, que maître Robert Briquet ne reviendrait point sur ses pas pour les achever, le jeune homme se mit à la découverte de quelque auxiliaire, et ne tarda point à trouver sur la route même ce qu'il cherchait.

Un chariot qu'avait dû croiser Chicot dans sa course apparaissait au haut de la montagne, se détachant en vigueur sur un ciel rougi par les feux du soleil couchant.

Ce chariot était traîné par deux bœufs et conduit par un paysan.

Ernauton aborda le conducteur, qui avait bonne envie en l'apercevant de laisser sa charrette et de s'enfuir sous le taillis, et lui raconta qu'un combat venait d'avoir lieu entre huguenots et catholiques; que ce combat avait été fatal à quatre d'entre eux, mais que deux avaient survécu.

Le paysan, assez effrayé de la responsabilité d'une bonne œuvre, mais plus effrayé encore, comme nous l'avons dit, de la mine guerrière d'Ernauton, aida le jeune homme à transporter M. de Mayenne dans son chariot, puis le soldat qui, évanoui ou non, continuait de demeurer les yeux fermés.

Restaient les quatre morts.

– Monsieur, demanda le paysan, ces quatre hommes étaient-ils catholiques ou huguenots?

Ernauton avait vu le paysan, au moment de sa terreur, faire le signe de la croix.

– Huguenots, dit-il.

– En ce cas, reprit le paysan, il n'y a aucun inconvénient que je fouille ces parpaillots, n'est-ce pas?

– Aucun, répondit Ernauton, qui aimait autant que le paysan auquel il avait affaire héritât que le premier passant venu.

Le paysan ne se le fit pas dire deux fois, et retourna les poches des morts.

Les morts avaient eu bonne solde de leur vivant, à ce qu'il paraît, car, l'opération terminée, le front du paysan se dérida.

Il résulta du bien-être qui se répandait dans son corps et dans son âme à la fois qu'il piqua plus rudement ses bœufs, afin d'arriver plus vite à sa chaumière.

Ce fut dans l'étable de cet excellent catholique, sur un bon lit de paille, que M. de Mayenne reprit ses sens. La douleur causée par la secousse du transport n'avait pas réussi à le ranimer; mais quand l'eau fraîche versée sur la blessure en fit couler quelques gouttes de sang vermeil, le duc rouvrit les yeux et regarda les hommes et les choses environnantes avec une surprise facile à concevoir.

Dès que M. de Mayenne eut rouvert les yeux, Ernauton congédia le paysan.

– Qui êtes-vous, monsieur? demanda Mayenne.

Ernauton sourit.

– Ne me reconnaissez-vous pas, monsieur? lui dit-il.

– Si fait, reprit le duc en fronçant le sourcil, vous êtes celui qui êtes venu au secours de mon ennemi.

– Oui, répondit Ernauton; mais je suis aussi celui qui ai empêché votre ennemi de vous tuer.

– Il faut bien que cela soit, dit Mayenne, puisque je vis, à moins toutefois qu'il ne m'ait cru mort.

– Il s'est éloigné vous sachant vivant, monsieur.

– Au moins croyait-il ma blessure mortelle.

– Je ne sais; mais en tout cas, si je ne m'y fusse opposé, il allait vous en faire une qui l'eût été.

– Mais alors, monsieur, pourquoi avez-vous aidé à tuer mes gens, pour empêcher ensuite cet homme de me tuer?

– Rien de plus simple, monsieur, et je m'étonne qu'un gentilhomme, vous me semblez en être un, ne comprenne pas ma conduite. Le hasard m'a conduit sur la route que vous suiviez, j'ai vu plusieurs hommes en attaquer un seul, j'ai défendu l'homme seul; puis quand ce brave, au secours de qui j'étais venu, car, quel qu'il soit, monsieur, cet homme est brave; puis quand ce brave, demeuré seul à seul avec vous, eut décidé la victoire par le coup qui vous abattit, alors, voyant qu'il allait abuser de la victoire en vous tuant, j'ai interposé mon épée.

– Vous me connaissez donc? demanda Mayenne avec un regard scrutateur.

– Je n'ai pas besoin de vous connaître, monsieur; je sais que vous êtes un homme blessé, et cela me suffit.

– Soyez franc, monsieur, reprit Mayenne, vous me connaissez.

– Il est étrange, monsieur, que vous ne consentiez point à me comprendre. Je ne trouve point, quant à moi, qu'il soit plus noble de tuer un homme sans défense que d'assaillir à six un homme qui passe.

– Vous admettez cependant qu'à toute chose il puisse y avoir des raisons.

Ernauton s'inclina, mais ne répondit point.

– N'avez-vous pas vu, continua Mayenne, que j'ai croisé l'épée seul à seul avec cet homme?

– Je l'ai vu, c'est vrai.

– D'ailleurs cet homme est mon plus mortel ennemi.

– Je le crois, car il m'a dit la même chose de vous.

– Et si je survis à ma blessure?

– Cela ne me regardera plus, et vous ferez ce qu'il vous plaira, monsieur.

– Me croyez-vous bien dangereusement blessé?

– J'ai examiné votre blessure, monsieur, et je crois que, quoique grave, elle n'entraîne point danger de mort. Le fer a glissé le long des côtes, à ce que je crois, et ne pénètre pas dans la poitrine. Respirez, et, je l'espère, vous n'éprouverez aucune douleur du côté du poumon.

Mayenne respira péniblement, mais sans souffrance intérieure.

– C'est vrai, dit-il; mais les hommes qui étaient avec moi?

– Sont morts, à l'exception d'un seul.