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Chicot n'était pas précisément un homme pieux; mais, dans un pareil moment, il songea qu'il y a un Dieu, que ce Dieu lui ouvrait les bras, et qu'avant cinq minutes peut-être le pécheur serait devant son juge.

Il marmotta quelque sombre et fervente prière qui fut certainement entendue là-haut.

Deux hommes s'approchèrent de Chicot; tous deux avaient l'épée à la main.

On voyait bien que Chicot n'était pas mort, à la façon dont il gémissait.

Comme il ne bougeait pas et ne s'apprêtait en rien à se défendre, le plus zélé des deux eut l'imprudence de s'approcher à portée de la main gauche; aussitôt la dague poussée comme par un ressort, entra dans sa gorge où la coquille s'imprima comme sur de la cire molle. En même temps la moitié de l'épée que tenait la main droite de Chicot disparut dans les reins du second cavalier qui voulait fuir.

– Tudieu! cria le chef, il y a trahison: chargez les arquebuses; le drôle est bien vivant encore.

– Certes oui, je suis encore vivant, dit Chicot dont les yeux lancèrent des éclairs; et, prompt comme la pensée, il se jeta sur le cavalier chef, lui portant la pointe au masque.

Mais déjà deux soldats le tenaient enveloppé: il se retourna, ouvrit une cuisse d'un large coup d'épée et fut dégagé.

– Enfants! enfants! cria le chef, les arquebuses, mordieu!

– Avant que les arquebuses soient prêtes, dit Chicot, je t'aurai ouvert les entrailles, brigand, et j'aurai coupé les cordons de ton masque, afin que je sache qui tu es.

– Tenez ferme, monsieur, tenez ferme et je vous garderai, dit une voix qui fit à Chicot l'effet de descendre du ciel.

C'était la voix d'un beau jeune homme, monté sur un bon cheval noir. Il avait deux pistolets à la main, et criait à Chicot:

– Baissez-vous, baissez-vous morbleu! mais baissez-vous donc.

Chicot obéit.

Un coup de pistolet partit, et un homme roula aux pieds de Chicot, en laissant échapper son épée.

Cependant les chevaux se battaient; les trois cavaliers survivants voulaient reprendre les étriers, et n'y parvenaient pas; le jeune homme tira, au milieu de cette mêlée, un second coup de pistolet qui abattit encore un homme.

– Deux à deux, dit Chicot; généreux sauveur, prenez le vôtre, voici le mien.

Et il fondit sur le cavalier masqué, qui, frémissant de rage ou de peur, lui tint tête cependant comme un homme exercé au maniement des armes.

De son côté le jeune homme avait saisi à bras le corps son ennemi, l'avait terrassé sans même mettre l'épée à la main, et le garrottait avec son ceinturon, comme une brebis à l'abattoir.

Chicot, en se voyant en face d'un seul adversaire, reprenait son sang-froid et par conséquent sa supériorité.

Il poussa rudement son ennemi, qui était doué d'une corpulence assez ample, l'accula au fossé de la route, et, sur une feinte de seconde, lui porta un coup de pointe au milieu des côtes.

L'homme tomba.

Chicot mit le pied sur l'épée du vaincu pour qu'il ne pût la ressaisir, et de son poignard coupant les cordons du masque:

– Monsieur de Mayenne!… dit-il; ventre de biche! je m'en doutais.

Le duc ne répondit pas; il était évanoui, moitié de la perte de son sang, moitié du poids de la chute.

Chicot se gratta le nez, selon son habitude lorsqu'il avait à faire quelque acte de haute gravité; puis, après la réflexion d'une demi-minute, il retroussa sa manche, prit sa large dague, et s'approcha du duc pour lui trancher purement et simplement la tête.

Mais alors il sentit un bras de fer qui étreignait le sien, et entendit une voix qui lui disait:

– Tout beau, monsieur! on ne tue pas un ennemi à terre.

– Jeune homme, répondit Chicot, vous m'avez sauvé la vie, c'est vrai: je vous en remercie de tout mon cœur; mais acceptez une petite leçon fort utile en ces temps de dégradation morale où nous vivons. Quand un homme a subi en trois jours trois attaques, lorsqu'il a couru trois fois risque de la vie, lorsqu'il est tout chaud encore du sang d'ennemis qui lui ont tiré de loin, sans provocation aucune de sa part, quatre coups d'arquebuse, comme ils eussent fait à un loup enragé, alors, jeune homme, ce vaillant, permettez moi de le dire, peut hardiment faire ce que je vais faire.

Et Chicot reprit le cou de son ennemi pour achever son opération.

Mais cette fois encore le jeune homme l'arrêta.

– Vous ne le ferez pas, monsieur, dit-il, tant que je serai là du moins. On ne verse pas ainsi tout entier un sang comme celui qui sort de la blessure que vous avez déjà faite.

– Bah! dit Chicot avec surprise, vous connaissez ce misérable?

– Ce misérable est M. le duc de Mayenne, prince égal en grandeur à bien des rois.

– Raison de plus, dit Chicot d'une voix sombre… Mais vous, qui êtes-vous?

– Je suis celui qui vous a sauvé la vie, monsieur, répondit froidement le jeune homme.

– Et qui, vers Charenton, m'a, si je ne me trompe, remis une lettre du roi, voici tantôt trois jours.

– Précisément.

– Alors vous êtes au service du roi, monsieur?

– J'ai cet honneur, répondit le jeune homme en s'inclinant.

– Et, étant au service du roi, vous ménagez M. de Mayenne: mordieu! monsieur, permettez-moi de vous le dire, ce n'est pas d'un bon serviteur.

– Je crois, au contraire, que c'est moi qui suis le bon serviteur du roi en ce moment.

– Peut-être, fit tristement Chicot, peut-être; mais ce n'est pas le moment de philosopher. Comment vous nomme-t-on?

– Ernauton de Carmainges, monsieur.

– Eh bien! monsieur Ernauton, qu'allons-nous faire de cette charogne égale en grandeur à tous les rois de la terre? car, moi, je tire au large, je vous en avertis.

– Je veillerai sur M. de Mayenne, monsieur.

– Et le compagnon qui écoute là-bas, qu'en faites-vous?

– Le pauvre diable n'entend rien; je l'ai serré trop fort, à ce que je pense, et il s'est évanoui.

– Allons, monsieur de Carmainges, vous avez sauvé ma vie aujourd'hui, mais vous la compromettez furieusement pour plus tard.

– Je fais mon devoir aujourd'hui, Dieu pourvoira au futur.

– Qu'il soit donc fait ainsi que vous le désirez. D'ailleurs, je répugne à tuer cet homme sans défense, quoique cet homme soit mon plus cruel ennemi. Ainsi donc, adieu, monsieur.