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– Et moi, monsieur, je ne me suis jamais battu, répliqua Ernauton, car l'occasion ne s'en est jamais présentée; je la trouve à ma guise, venant à moi quand je n'allais pas à elle, et je la saisis aux cheveux. J'attends votre bon plaisir, monsieur.

– Tenez, dit Sainte-Maline en secouant la tête, nous sommes compatriotes, nous sommes au service du roi, ne nous querellons plus, je vous tiens pour un brave homme; je vous offrirais même la main, si cela ne m'était pas presque impossible. Que voulez-vous, je me montre à vous comme je suis, ulcéré jusqu'au fond du cœur, ce n'est point ma faute. Je suis envieux, que voulez-vous que j'y fasse? la nature m'a créé dans un mauvais jour. M. de Chalabre, ou M. de Montcrabeau, ou M. de Pincorney ne m'eussent point mis en colère, c'est votre mérite qui cause mon chagrin; consolez-vous-en, puisque mon envie ne peut rien contre vous, et qu'à mon grand regret votre mérite vous reste. Ainsi nous en demeurons là, n'est-ce pas, monsieur? je souffrirais trop, en vérité, quand vous diriez le motif de notre querelle.

– Notre querelle, personne ne la saura, monsieur.

– Personne?

– Non, monsieur, attendu que si nous nous battons, je vous tuerai ou me ferai tuer. Je ne suis pas de ceux qui font peu de cas de la vie; au contraire, j'y tiens fort. J'ai vingt-trois ans; un beau nom, je ne suis pas tout à fait pauvre; j'espère en moi et dans l'avenir, et soyez tranquille, je me défendrai comme un lion.

– Eh bien! moi, tout au contraire de vous, monsieur, j'ai déjà trente ans et suis assez dégoûté de la vie, car je ne crois ni en l'avenir ni en moi; mais tout dégoûté de la vie, tout incrédule au bonheur que je suis, j'aime mieux ne pas me battre avec vous.

– Alors, vous m'allez faire des excuses? dit Ernauton.

– Non, j'en ai assez fait et assez dit. Si vous n'êtes pas content, tant mieux. Alors vous cesserez de m'être supérieur.

– Je vous rappellerai, monsieur, que l'on ne termine point ainsi une querelle sans s'exposer à faire rire, quand on est Gascons l'un et l'autre.

– Voilà précisément ce que j'attends, dit Sainte-Maline.

– Vous attendez?…

– Un rieur. Oh! l'excellent moment que celui-là me fera passer.

– Vous refusez donc le combat?

– Je désire ne pas me battre, avec vous, s'entend.

– Après m'avoir provoqué?

– J'en conviens.

– Mais enfin, monsieur, si la patience m'échappe et que je vous charge à grands coups d'épée?

Sainte-Maline serra convulsivement les poings.

– Alors, dit-il, tant mieux, je jetterai mon épée à dix pas.

– Prenez garde, monsieur, car en ce cas je ne vous frapperai pas de la pointe.

– Bien, car alors j'aurai une raison de vous haïr, et je vous haïrai mortellement; puis un jour, un jour de faiblesse de votre part, je vous rattraperai comme vous venez de le faire, et je vous tuerai désespéré.

Ernauton remit son épée au fourreau.

– Vous êtes un homme étrange, dit-il, et je vous plains du plus profond de mon cœur.

– Vous me plaignez?

– Oui, car vous devez horriblement souffrir.

– Horriblement.

– Vous ne devez jamais aimer?

– Jamais.

– Mais vous avez des passions, au moins?

– Une seule.

– La jalousie, vous me l'avez dit.

– Oui, ce qui fait que je les ai toutes à un degré de honte et de malheur indicible: j'adore une femme dès qu'elle aime un autre que moi; j'aime l'or quand c'est une autre main qui le touche; je suis orgueilleux toujours par comparaison; je bois pour échauffer en moi la colère, c'est-à-dire pour la rendre aiguë quand elle n'est pas chronique, c'est-à-dire pour la faire éclater et brûler comme un tonnerre. Oh! oui, oui, vous l'avez dit, monsieur de Carmainges, je suis malheureux.

– Vous n'avez jamais essayé de devenir bon? demanda Ernauton.

– Je n'ai pas réussi.

– Qu'espérez-vous? que comptez-vous faire alors?

– Que fait la plante vénéneuse? elle a des fleurs comme les autres, et certaines gens savent en tirer une utilité. Que font l'ours et l'oiseau de proie? ils mordent, mais certains éleveurs savent les dresser à la chasse; voilà ce que je suis et ce que je serai probablement entre les mains de M. d'Épernon et de M. de Loignac jusqu'au jour où l'on dira: Cette plante est nuisible, arrachons-la; cette bête est enragée, tuons-la.

Ernauton s'était calmé peu à peu. Sainte-Maline n'était plus pour lui un objet de colère, mais d'étude; il ressentait presque de la pitié pour cet homme que les circonstances avaient entraîné à lui faire de si singuliers aveux.

– Une grande fortune, et vous pouvez la faire ayant de grandes qualités, vous guérira, dit-il; développez-vous dans le sens de vos instincts, monsieur de Sainte-Maline, et vous réussirez à la guerre ou dans l'intrigue; alors, pouvant dominer, vous haïrez moins.

– Si haut que je m'élève, si profondément que je prenne racine, il y aura toujours au-dessus de moi des fortunes supérieures qui me blesseront; au-dessous, des rires sardoniques qui me déchireront les oreilles.

– Je vous plains, répéta Ernauton.

Et ce fut tout.

Ernauton alla à son cheval qu'il avait attaché à un arbre, et, le détachant, il se remit en selle.

Sainte-Maline n'avait pas quitté la bride du sien.

Tous deux reprirent la route de Paris, l'un muet et sombre de ce qu'il avait entendu, l'autre de ce qu'il avait dit.

Tout à coup Ernauton tendit la main à Sainte-Maline.

– Voulez-vous que j'essaie de vous guérir, lui dit-il, voyons?

– Pas un mot de plus, monsieur, dit Sainte-Maline; non, ne tentez pas cela, vous y échoueriez. Haïssez-moi, au contraire; et ce sera le moyen que je vous admire.

– Encore une fois, je vous plains, monsieur, dit Ernauton.

Une heure après, les deux cavaliers rentraient au Louvre et se dirigeaient vers le logis des quarante-cinq.

Le roi était sorti et ne devait rentrer que le soir.