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Ce cavalier tenait un autre cheval en main.

C'était le résultat de la course de M. de Carmainges: il avait coupé vers la droite, sachant bien que, poursuivre un cheval, c'était doubler son activité par la peur.

Il avait donc fait un détour et coupé le passage au Bas-Normand, en l'attendant en travers d'une rue étroite.

À cette vue, le cœur de Sainte-Maline déborda de joie: il ressentit un mouvement d'effusion et de reconnaissance qui donna une suave expression à son regard, puis tout à coup son visage s'assombrit; il avait compris toute la supériorité d'Ernauton sur lui, car il s'avouait qu'à la place de son compagnon, il n'eût pas même eu l'idée d'agir comme lui.

La noblesse du procédé le terrassait: il la sentait pour la mesurer et en souffrir.

Il balbutia un remercîment auquel Ernauton ne fit pas attention, ressaisit furieusement la bride de son cheval, et, malgré la douleur, se remit en selle.

Ernauton, sans dire un seul mot, avait pris les devants au pas en caressant son cheval.

Sainte-Maline, nous l'avons dit, était excellent cavalier; l'accident dont il avait été victime était une surprise; au bout d'un instant de lutte dans laquelle cette fois il eut l'avantage, redevenu maître de sa monture, il lui fit prendre le trot.

– Merci, monsieur, vint-il dire une seconde fois à Ernauton, après avoir consulté cent fois son orgueil et les convenances.

Ernauton se contenta de s'incliner de son côté, en touchant son chapeau de la main.

La route parut longue à Sainte-Maline.

Vers deux heures et demie environ, ils aperçurent un homme qui marchait, escorté d'un chien: il était grand, avait une épée au côté; il n'était pas Chicot, mais il avait des bras et des jambes dignes de lui.

Sainte-Maline, encore tout fangeux, ne put se tenir; il vit qu'Ernauton passait et ne prenait pas même garde à cet homme. L'idée de trouver son compagnon en faute passa comme un méchant éclair dans l'esprit du Gascon; il poussa vers l'homme et l'aborda.

– Voyageur, demanda-t-il, n'attendez-vous point quelque chose?

Le voyageur regarda Sainte-Maline dont en ce moment, il faut l'avouer, l'aspect n'était point agréable. La figure décomposée par la colère récente, cette boue mal séchée sur ses habits, ce sang mal séché sur ses joues, de gros sourcils noirs froncés, une main fiévreuse étendue vers lui, avec un geste de menace bien plus que d'interrogation, tout cela parut sinistre au piéton.

– Si j'attends quelque chose, dit-il, ce n'est pas quelqu'un: et si j'attends quelqu'un, à coup sur ce quelqu'un n'est pas vous.

– Vous êtes fort impoli, mon maître, dit Sainte-Maline enchanté de trouver enfin une occasion de lâcher la bride à sa colère, et furieux en outre de voir qu'il venait, en se trompant, de fournir un nouveau triomphe à son adversaire.

Et en même temps qu'il parlait, il leva sa main armée de la houssine pour frapper le voyageur; mais celui-ci leva son bâton et en asséna un coup sur l'épaule de Sainte-Maline, puis il siffla son chien qui bondit aux jarrets du cheval et à la cuisse de l'homme, et emporta de chaque endroit un lambeau de chair et un morceau d'étoffe.

Le cheval, irrité par la douleur, prit une seconde fois sa course en avant, il est vrai, mais sans pouvoir être retenu par Sainte-Maline qui, malgré tous ses efforts, demeura en selle.

Il passa ainsi emporté devant Ernauton, qui le vit passer sans même sourire de sa mésaventure.

Lorsqu'il eut réussi à calmer son cheval, lorsque M. de Carmainges l'eut rejoint, son orgueil commençait, non pas à diminuer, mais à entrer en composition.

– Allons! allons! dit-il en s'efforçant de sourire, je suis dans mon jour malheureux, à ce qu'il paraît. Cet homme ressemblait fort cependant au portrait que nous avait fait Sa Majesté de celui à qui nous avons affaire.

Ernauton garda le silence.

– Je vous parle, monsieur, dit Sainte-Maline exaspéré par ce sang-froid qu'il regardait avec raison comme une preuve de mépris, et qu'il voulait faire cesser par quelque éclat définitif, dût-il lui en coûter la vie; je vous parle, n'entendez-vous pas?

– Celui que Sa Majesté nous avait désigné, répondit Ernauton, n'avait pas de bâton et n'avait pas de chien.

– C'est vrai, répondit Sainte-Maline, et si j'avais réfléchi, j'aurais une contusion de moins à l'épaule, et deux crocs de moins sur la cuisse. Il fait bon être sage et calme, à ce que je vois.

Ernauton ne répondit point; mais se haussant sur les étriers et mettant la main au-dessus de ses yeux en manière de garde-vue:

– Voilà là bas, dit-il, celui que nous cherchons et qui nous attend.

– Peste! monsieur, dit sourdement Sainte-Maline, jaloux de ce nouvel avantage de son compagnon, vous avez une bonne vue; moi je ne distingue qu'un point noir, et encore est ce à peine.

Ernauton, sans répondre, continua d'avancer; bientôt Sainte-Maline put voir et reconnaître à son tour l'homme désigné par le roi. Un mauvais mouvement le prit, il poussa son cheval en avant pour arriver le premier.

Ernauton s'y attendait: il le regarda sans menace et sans intention apparente: ce coup d'œil fit rentrer Sainte-Maline en lui-même, et il remit son cheval au pas.

XXX Sainte-Maline

Ernauton ne s'était point trompé, l'homme désigné était bien Chicot.

Il avait, de son côté, bonne vue et bonne oreille; il avait vu et entendu les cavaliers de fort loin. Il s'était douté que c'était à lui qu'ils avaient affaire, de sorte qu'il les attendait.

Quand il n'eut plus aucun doute à cet égard, et qu'il eût vu que les deux cavaliers se dirigeaient bien vers lui, il posa sans affectation sa main sur la poignée de sa longue épée, comme pour prendre une attitude noble.

Ernauton et Sainte-Maline se regardèrent tous deux une seconde, muets tous deux.

– À vous, monsieur, si vous le voulez bien, dit en s'inclinant Ernauton à son adversaire; car, en cette circonstance, le mot adversaire est plus convenable que celui de compagnon.

Sainte-Maline fut suffoqué; la surprise de cette courtoisie lui serrait la gorge; il ne répondit qu'en baissant la tête.

Ernauton vit qu'il gardait le silence, et prit alors la parole.

– Monsieur, dit-il à Chicot, nous sommes, monsieur et moi, vos serviteurs.

Chicot salua avec son plus gracieux sourire.

– Serait-il indiscret, continua le jeune homme, de vous demander votre nom?

– Je m'appelle l'Ombre, monsieur, répondit Chicot.