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– Et il tire bien?

– C'est-à-dire qu'à cent pas le drôle ne manque pas un noble à la rose.

– Voilà un gaillard qui doit vertement servir une messe; mais attends donc, à ton tour.

– Quoi donc?

– Mais si, mais non.

– Tu connais mon petit Jacques?

– Moi, pas le moins du monde.

– Mais tu croyais le connaître d'abord?

– Oui, il me semblait l'avoir vu dans certaine église, un jour, ou plutôt une nuit que j'étais renfermé dans un confessionnal; mais non, je me trompais, ce n'était pas lui.

Cette fois, nous devons l'avouer, les paroles de Chicot n'étaient pas exactement d'accord avec la vérité. Chicot était trop bon physionomiste, quand il avait vu une figure une fois, pour oublier jamais cette figure.

Pendant qu'il était, sans s'en douter, l'objet de l'attention du prieur et de son ami, le petit Jacques, comme l'appelait Gorenflot, chargeait en effet un mousquet pesant, long comme lui-même, puis le mousquet chargé, il vint se camper fièrement à cent pas du but, et là, ramenant sa jambe droite en arrière, avec une précision toute militaire, il ajusta.

Le coup partit, et la balle alla se loger au milieu du but, au grand applaudissement des moines.

– Tudieu! c'est bien visé, dit Chicot, et sur ma parole, voilà un joli garçon.

– Merci, monsieur, répondit Jacques, dont les joues pâles se colorèrent d'une rougeur de plaisir.

– Tu manies les armes habilement, mon enfant, reprit Chicot.

– Mais, monsieur, j'étudie, fit Jacques.

Et sur ces mots, laissant son mousquet inutile, après la preuve d'adresse qu'il avait donnée, il prit une pique des mains de son voisin, et fit un moulinet que Chicot trouva parfaitement exécuté.

Chicot renouvela ses compliments.

– C'est surtout à l'épée qu'il excelle, dit dom Modeste. Ceux qui s'y connaissent le jugent très fort; il est vrai que le drôle a des jarrets de fer, des poignets d'acier, et qu'il gratte le fer depuis le matin jusqu'au soir.

– Ah! voyons cela, dit Chicot.

– Vous voulez essayer sa force? dit Borromée.

– Je voudrais en avoir la preuve, répondit Chicot.

– Ah! continua le trésorier, c'est qu'ici personne, excepté moi peut-être, n'est capable de lutter contre lui; êtes-vous d'une certaine force, vous?

– Je ne suis qu'un pauvre bourgeois, dit Chicot en secouant la tête; autrefois j'ai poussé ma brette comme un autre; mais aujourd'hui mes jambes tremblent, mon bras vacille et ma tête n'est plus fort présente.

– Mais cependant vous pratiquez toujours? dit Borromée.

– Un peu, répondit Chicot en lançant à Gorenflot qui souriait un coup d'œil qui arracha aux lèvres de celui-ci le nom de Nicolas David.

Mais Borromée ne vit point le sourire, Borromée n'entendit pas ce nom, et avec un sourire plein de tranquillité, il ordonna que l'on apportât les fleurets et les masques d'escrime.

Jacques, tout pétillant de joie sous son enveloppe froide et sombre, releva sa robe jusqu'aux genoux et assura sa sandale sur le sable en faisant un appel.

– Décidément, dit Chicot, comme n'étant ni moine ni soldat, il y a quelque temps que je n'ai fait des armes, veuillez, je vous prie, frère Borromée, vous qui n'êtes que muscles et tendons, donner la leçon à frère Jacques. Y consentez-vous, cher prieur? demanda Chicot à dom Modeste.

– Je l'ordonne! déclama le prieur, toujours enchanté de placer ce mot.

Borromée ôta son casque, Chicot se hâta de tendre les deux mains, et le casque, déposé entre les mains de Chicot, permit de nouveau à son ancien maître de constater son identité; puis, tandis que notre bourgeois accomplissait cet examen, le trésorier relevait sa robe dans sa ceinture et se préparait.

Tous les moines, animés de l'esprit de corps, vinrent faire cercle autour de l'élève et du professeur.

Gorenflot se pencha à l'oreille de son ami.

– C'est aussi amusant que de chanter vêpres, n'est-ce pas? dit-il naïvement.

– C'est ce que disent les chevau-légers, répondit Chicot avec la même naïveté.

Les deux combattants se mirent en garde; Borromée, sec et nerveux, avait l'avantage de la taille; il avait en outre celui que donnent l'aplomb et l'expérience.

Le feu montait par vives lueurs aux yeux de Jacques, et animait les pommettes de ses joues d'une rougeur fébrile.

On voyait peu à peu tomber le masque religieux de Borromée, qui, le fleuret à la main, emporté par l'action si entraînante de la lutte d'adresse, se transformait en homme d'armes; il entremêlait chaque coup d'une exhortation, d'un conseil, d'un reproche; mais souvent la vigueur, la promptitude, l'élan de Jacques triomphaient des qualités de son maître, et frère Borromée recevait quelque bon coup en pleine poitrine.

Chicot dévorait ce spectacle des yeux, et comptait les coups de bouton.

Lorsque l'assaut fut fini, ou plutôt lorsque les tireurs firent une première pause: – Jacques a touché six fois, dit Chicot, frère Borromée, neuf; c'est fort joli pour l'écolier, mais ce n'est point assez pour le maître.

Un éclair inaperçu à tout le monde, excepté à Chicot, passa dans les yeux de Borromée, et vint révéler un nouveau trait de son caractère.

– Bon! pensa Chicot, il est orgueilleux.

– Monsieur, répliqua Borromée d'une voix qu'à grand'peine il parvint à faire doucereuse, l'exercice des armes est bien rude pour tout le monde, et surtout pour de pauvres moines comme nous.

– N'importe, dit Chicot, décidé à pousser maître Borromée jusqu'en ses derniers retranchements; le maître ne doit pas avoir moins de la moitié en avantage sur son élève.

– Ah! monsieur Briquet, fit Borromée, tout pâle et se mordant les lèvres, vous êtes bien absolu, ce me semble.

– Bon! il est colère, pensa Chicot, deux péchés mortels; on dit qu'un seul suffit pour perdre un homme; j'ai beau jeu.

Puis tout haut:

– Et si Jacques avait plus de calme, continua-t-il, je suis certain qu'il ferait jeu égal.

– Je ne crois pas, dit Borromée.

– Eh bien! j'en suis sûr, moi.

– Monsieur Briquet, qui connaît les armes, dit Borromée avec un ton amer, devrait peut-être essayer la force de Jacques par lui-même; il s'en rendrait mieux compte alors.