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– Allons, allons, murmura-t-il quand le roi eut disparu, la passion de Sa Majesté est plus forte que je ne le croyais; il fait là, ce me semble, des choses qu’il n’a pas faites pour Mlle de Mancini.

Le roi reparut un quart d’heure après. Il avait cherché partout. Il était hors d’haleine.

Il va sans dire que le roi n’avait rien trouvé.

De Saint-Aignan le suivait, s’éventant avec son chapeau, et demandant, d’une voix altérée, des renseignements aux premiers serviteurs venus, à tous ceux qu’il rencontrait.

Manicamp se trouva sur sa route. Manicamp arrivait de Fontainebleau à petites journées; où les autres avaient mis six heures, il en avait mis, lui, vingt-quatre.

– Avez-vous vu Mlle de La Vallière? lui demanda de Saint-Aignan.

Ce à quoi Manicamp, toujours rêveur et distrait, répondit, croyant qu’on lui parlait de Guiche:

– Merci, le comte va un peu mieux.

Et il continua sa route jusqu’à l’antichambre, où il trouva d’Artagnan, à qui il demanda des explications sur cet air effaré qu’il avait cru voir au roi.

D’Artagnan lui répondit qu’il s’était trompé; que le roi, au contraire, était d’une gaieté folle.

Huit heures sonnèrent sur ces entrefaites.

Le roi, d’ordinaire, prenait son déjeuner à ce moment.

Il était arrêté, par le code de l’étiquette, que le roi aurait toujours faim à huit heures.

Il se fit servir sur une petite table, dans sa chambre à coucher, et mangea vite.

De Saint-Aignan, dont il ne voulait pas se séparer, lui tint la serviette. Puis il expédia quelques audiences militaires.

Pendant ces audiences, il envoya de Saint-Aignan aux découvertes.

Puis, toujours occupé, toujours anxieux, toujours guettant le retour de Saint-Aignan, qui avait mis son monde en campagne et qui s’y était mis lui-même, le roi atteignit neuf heures.

À neuf heures sonnantes, il passa dans son cabinet.

Les ambassadeurs entraient eux-mêmes, au premier coup de ces neuf heures.

Au dernier coup, les reines et Madame parurent.

Les ambassadeurs étaient trois pour la Hollande, deux pour l’Espagne.

Le roi jeta sur eux un coup d’œil, et salua.

En ce moment aussi, de Saint-Aignan entrait.

C’était pour le roi une entrée bien autrement importante que celle des ambassadeurs, en quelque nombre qu’ils fussent et de quelque pays qu’ils vinssent.

Aussi, avant toutes choses, le roi fit-il à de Saint-Aignan un signe interrogatif, auquel celui-ci répondit par une négation décisive.

Le roi faillit perdre tout courage; mais, comme les reines, les grands et les ambassadeurs avaient les yeux fixés sur lui, il fit un violent effort et invita les derniers à parler.

Alors un des députés espagnols fit un long discours, dans lequel il vantait les avantages de l’alliance espagnole.

Le roi l’interrompit en lui disant:

– Monsieur, j’espère que ce qui est bien pour la France doit être très bien pour l’Espagne.

Ce mot, et surtout la façon péremptoire dont il fut prononcé, fit pâlir l’ambassadeur et rougir les deux reines, qui, Espagnoles l’une et l’autre, se sentirent, par cette réponse, blessées dans leur orgueil de parenté et de nationalité.

L’ambassadeur hollandais prit la parole à son tour, et se plaignit des préventions que le roi témoignait contre le gouvernement de son pays.

Le roi l’interrompit:

– Monsieur, dit-il, il est étrange que vous veniez vous plaindre, lorsque c’est moi qui ai sujet de me plaindre; et cependant, vous le voyez, je ne le fais pas.

– Vous plaindre, Sire, demanda le Hollandais, et de quelle offense?

Le roi sourit avec amertume.

– Me blâmerez-vous, par hasard, monsieur, dit-il, d’avoir des préventions contre un gouvernement qui autorise et protège les insulteurs publics?

– Sire!…

– Je vous dis, reprit le roi en s’irritant de ses propres chagrins, bien plus que de la question politique, je vous dis que la Hollande est une terre d’asile pour quiconque me hait, et surtout pour quiconque m’injurie.

– Oh! Sire!…

– Ah! des preuves, n’est-ce pas? Eh bien! on en aura facilement, des preuves. D’où naissent ces pamphlets insolents qui me représentent comme un monarque sans gloire et sans autorité? Vos presses en gémissent. Si j’avais là mes secrétaires, je vous citerais les titres des ouvrages avec les noms d’imprimeurs.

– Sire, répondit l’ambassadeur, un pamphlet ne peut être l’œuvre d’une nation. Est-il équitable qu’un grand roi, tel que l’est Votre Majesté, rende un grand peuple responsable du crime de quelques forcenés qui meurent de faim?

– Soit, je vous accorde cela, monsieur. Mais, quand la monnaie d’Amsterdam frappe des médailles à ma honte, est-ce aussi le crime de quelques forcenés?

– Des médailles? balbutia l’ambassadeur.

– Des médailles, répéta le roi en regardant Colbert.

– Il faudrait, hasarda le Hollandais, que Votre Majesté fût bien sûre…

Le roi regardait toujours Colbert, mais Colbert avait l’air de ne pas comprendre, et se taisait, malgré les provocations du roi.

Alors d’Artagnan s’approcha, et, tirant de sa poche une pièce de monnaie qu’il mit entre les mains du roi:

– Voilà la médaille que Votre Majesté cherche, dit-il.

Le roi la prit.

Alors il put voir de cet œil qui, depuis qu’il était véritablement le maître, n’avait fait que planer, alors il put voir, disons-nous, une image insolente représentant la Hollande qui, comme Josué, arrêtait le soleil, avec cette légende: In conspectu meo, stetit sol.

– En ma présence, le soleil s’est arrêté, s’écria le roi furieux. Ah! vous ne nierez plus, je l’espère.

– Et le soleil, dit d’Artagnan, c’est celui-ci.

Et il montra, sur tous les panneaux du cabinet, le soleil, emblème multiplié et resplendissant, qui étalait partout sa superbe devise: Nec pluribus impar.

La colère de Louis, alimentée par les élancements de sa douleur particulière, n’avait pas besoin de cet aliment pour tout dévorer. On voyait dans ses yeux l’ardeur d’une vive querelle toute prête à éclater.

Un regard de Colbert enchaîna l’orage.