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– Je suis battu.

– Oui, mais pas encore autant qu’il convient.

– Je vois que vous ne seriez pas fâché de me battre à plate couture.

– Non, mieux encore.

– Diable! c’est que, pour le moment, mon cher comte, vous tombez mal; après celle que je viens de jouer, une partie ne peut me convenir. J’ai perdu trop de sang à Boulogne: au moindre effort mes blessures se rouvriraient, et, en vérité, vous auriez de moi trop bon marché.

– C’est vrai, dit de Guiche, et cependant, vous avez, en arrivant, fait montre de votre belle mine et de vos bons bras.

– Oui, les bras vont encore, c’est vrai; mais les jambes sont faibles, et puis je n’ai pas tenu le fleuret depuis ce diable de duel; et vous, j’en réponds, vous vous escrimez tous les jours pour mettre à bonne fin votre petit guet-apens.

– Sur l’honneur, monsieur, répondit de Guiche, voici une demi-année que je n’ai fait d’exercice.

– Non, voyez-vous, comte, toute réflexion faite, je ne me battrai pas, pas avec vous, du moins. J’attendrai Bragelonne, puisque vous dites que c’est Bragelonne qui m’en veut.

– Oh! que non pas, vous n’attendrez pas Bragelonne, s’écria de Guiche hors de lui; car, vous l’avez dit, Bragelonne peut tarder à revenir, et, en attendant, votre méchant esprit fera son œuvre.

– Cependant, j’aurai une excuse. Prenez garde!

– Je vous donne huit jours pour achever de vous rétablir.

– C’est déjà mieux. Dans huit jours, nous verrons.

– Oui, oui, je comprends: en huit jours, on peut échapper à l’ennemi. Non, non, pas un.

– Vous êtes fou, monsieur, dit de Wardes en faisant un pas de retraite.

– Et vous, vous êtes un misérable. Si vous ne vous battez pas de bonne grâce…

– Eh bien?

– Je vous dénonce au roi comme ayant refusé de vous battre après avoir insulté La Vallière.

– Ah! fit de Wardes, vous êtes dangereusement perfide, monsieur l’honnête homme.

– Rien de plus dangereux que la perfidie de celui qui marche toujours loyalement.

– Rendez-moi mes jambes, alors, ou faites-vous saigner à blanc pour égaliser nos chances.

– Non pas, j’ai mieux que cela.

– Dites.

– Nous monterons à cheval tous deux et nous échangerons trois coups de pistolet. Vous tirez de première force. Je vous ai vu abattre des hirondelles, à balle et au galop. Ne dites pas non, je vous ai vu.

– Je crois que vous avez raison, dit de Wardes; et, comme cela, il est possible que je vous tue.

– En vérité, vous me rendriez service.

– Je ferai de mon mieux.

– Est-ce dit?

– Votre main.

– La voici… À une condition, pourtant.

– Laquelle?

– Vous me jurez de ne rien dire ou faire dire au roi?

– Rien, je vous le jure.

– Je vais chercher mon cheval.

– Et moi le mien.

– Où irons-nous?

– Dans la plaine; je sais un endroit excellent.

– Partons-nous ensemble?

– Pourquoi pas?

Et tous deux, s’acheminant vers les écuries, passèrent sous les fenêtres de Madame, doucement éclairées; une ombre grandissait derrière les rideaux de dentelle.

– Voilà pourtant une femme, dit de Wardes en souriant, qui ne se doute pas que nous allons à la mort pour elle.

Chapitre CLII – Le combat

De Wardes choisit son cheval, et de Guiche le sien.

Puis chacun le sella lui-même avec une selle à fontes.

De Wardes n’avait point de pistolets. De Guiche en avait deux paires. Il les alla chercher chez lui, les chargea, et donna le choix à de Wardes.

De Wardes choisit des pistolets dont il s’était vingt fois servi, les mêmes avec lesquels de Guiche lui avait vu tuer les hirondelles au vol.

– Vous ne vous étonnerez point, dit-il, que je prenne toutes mes précautions. Vos armes vous sont connues. Je ne fais, par conséquent, qu’égaliser les chances.

– L’observation était inutile, répondit de Guiche, et vous êtes dans votre droit.

– Maintenant, dit de Wardes, je vous prie de vouloir bien m’aider à monter à cheval, car j’y éprouve encore une certaine difficulté.

– Alors, il fallait prendre le parti à pied.

– Non, une fois en selle, je vaux mon homme.

– C’est bien, n’en parlons plus.

Et de Guiche aida de Wardes à monter à cheval.

– Maintenant, continua le jeune homme, dans notre ardeur à nous exterminer, nous n’avons pas pris garde à une chose.

– À laquelle?

– C’est qu’il fait nuit, et qu’il faudra nous tuer à tâtons.

– Soit, ce sera toujours le même résultat.

– Cependant, il faut prendre garde à une autre circonstance, qui est que les honnêtes gens ne se vont point battre sans compagnons.

– Oh! s’écria de Guiche, vous êtes aussi désireux que moi de bien faire les choses.

– Oui; mais je ne veux point que l’on puisse dire que vous m’avez assassiné, pas plus que, dans le cas où je vous tuerais, je ne veux être accusé d’un crime.

– A-t-on dit pareille chose de votre duel avec M. de Buckingham? dit de Guiche. Il s’est cependant accompli dans les mêmes conditions où le nôtre va s’accomplir.

– Bon! Il faisait encore jour et nous étions dans l’eau jusqu’aux cuisses; d’ailleurs, bon nombre de spectateurs étaient rangés sur le rivage et nous regardaient.

De Guiche réfléchit un instant; mais cette pensée qui s’était déjà présentée à son esprit s’y raffermit, que de Wardes voulait avoir des témoins pour ramener la conversation sur Madame et donner un tour nouveau au combat.

Il ne répliqua donc rien, et, comme de Wardes l’interrogea une dernière fois du regard, il lui répondit par un signe de tête qui voulait dire que le mieux était de s’en tenir où l’on en était.

Les deux adversaires se mirent, en conséquence, en chemin et sortirent du château par cette porte que nous connaissons pour avoir vu tout près d’elle Montalais et Malicorne.