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Madame se retira de bonne heure, et Monsieur, qui voulait l’interroger, lui donna la main.

Le chevalier craignait trop que la bonne intelligence ne s’établît entre les deux époux pour les laisser tranquillement ensemble.

Il s’achemina donc vers l’appartement de Monsieur pour le surprendre à son retour, et détruire avec trois mots toutes les bonnes impressions que Madame aurait pu semer dans son cœur. De Guiche fit un pas vers de Wardes, que beaucoup de gens entouraient.

Il lui indiquait ainsi le désir de causer avec lui. De Wardes lui fit, des yeux et de la tête, signe qu’il le comprenait.

Ce signe, pour les étrangers, n’avait rien que d’amical.

Alors de Guiche put se retourner et attendre.

Il n’attendit pas longtemps. De Wardes, débarrassé de ses interlocuteurs, s’approcha de de Guiche, et tous deux, après un nouveau salut, se mirent à marcher côte à côte.

– Vous avez fait un bon retour, mon cher de Wardes? dit le comte.

– Excellent, comme vous voyez.

– Et vous avez toujours l’esprit très gai?

– Plus que jamais.

– C’est un grand bonheur.

– Que voulez-vous! tout est si bouffon dans ce monde, tout est si grotesque autour de nous!

– Vous avez raison.

– Ah! vous êtes donc de mon avis?

– Parbleu! Et vous nous apportez des nouvelles de là-bas?

– Non, ma foi! j’en viens chercher ici.

– Parlez. Vous avez cependant vu du monde à Boulogne, un de nos amis, et il n’y a pas si longtemps de cela.

– Du monde… de… de nos amis?…

– Vous avez la mémoire courte.

– Ah! c’est vrai: Bragelonne?

– Justement.

– Qui allait en mission près du roi Charles?

– C’est cela. Eh bien! ne vous a-t-il pas dit, ou ne lui avez-vous pas dit?…

– Je ne sais trop ce que je lui ai dit, je vous l’avoue, mais ce que je ne lui ai pas dit, je le sais.

De Wardes était la finesse même. Il sentait parfaitement, à l’attitude de de Guiche, attitude pleine de froideur, de dignité, que la conversation prenait une mauvaise tournure. Il résolut de se laisser aller à la conversation et de se tenir sur ses gardes.

– Qu’est-ce donc, s’il vous plaît, que cette chose que vous ne lui avez pas dite? demanda de Guiche.

– Eh bien! la chose concernant La Vallière.

– La Vallière… Qu’est-ce que cela? et quelle est cette chose si étrange que vous l’avez sue là-bas, vous, tandis que Bragelonne, qui était ici, ne l’a pas sue, lui?

– Est-ce sérieusement que vous me faites cette question?

– On ne peut plus sérieusement.

– Quoi! vous, homme de cour, vous, vivant chez Madame, vous, le commensal de la maison, vous, l’ami de Monsieur, vous, le favori de notre belle princesse?

De Guiche rougit de colère.

– De quelle princesse parlez-vous? demanda-t-il.

– Mais je n’en connais qu’une, mon cher. Je parle de Madame. Est-ce que vous avez une autre princesse au cœur? Voyons.

De Guiche allait se lancer; mais il vit la feinte.

Une querelle était imminente entre les deux jeunes gens. De Wardes voulait seulement la querelle au nom de Madame, tandis que de Guiche ne l’acceptait qu’au nom de La Vallière. C ’était, à partir de ce moment, un jeu de feintes, et qui devait durer jusqu’à ce que l’un d’eux fût touché.

De Guiche reprit donc tout son sang-froid.

– Il n’est pas le moins du monde question de Madame dans tout ceci, mon cher de Wardes, dit de Guiche, mais de ce que vous disiez là, à l’instant même.

– Et que disais-je?

– Que vous aviez caché à Bragelonne certaines choses.

– Que vous savez aussi bien que moi, répliqua de Wardes.

– Non, d’honneur!

– Allons donc!

– Si vous me le dites, je le saurai; mais non autrement, je vous jure!

– Comment! j’arrive de là-bas, de soixante lieues; vous n’avez pas bougé d’ici; vous avez vu de vos yeux, vous, ce que la renommée m’a rapporté là-bas, elle, et je vous entends me dire sérieusement que vous ne savez pas? oh! comte, vous n’êtes pas charitable.

– Ce sera comme il vous plaira, de Wardes; mais, je vous le répète, je ne sais rien.

– Vous faites le discret, c’est prudent.

– Ainsi, vous ne me direz rien, pas plus à moi qu’à Bragelonne?

– Vous faites la sourde oreille, je suis bien convaincu que Madame ne serait pas si maîtresse d’elle-même que vous.

«Ah! double hypocrite, murmura de Guiche, te voilà revenu sur ton terrain.»

– Eh bien! alors, continua de Wardes, puisqu’il nous est si difficile de nous entendre sur La Vallière et Bragelonne, causons de vos affaires personnelles.

– Mais, dit de Guiche, je n’ai point d’affaires personnelles, moi. Vous n’avez rien dit de moi, je suppose, à Bragelonne, que vous ne puissiez me redire, à moi?

– Non. Mais, comprenez-vous, de Guiche? c’est qu’autant je suis ignorant sur certaines choses, autant je suis ferré sur d’autres. S’il s’agissait, par exemple, de vous parler des relations de M. de Buckingham à Paris, comme j’ai fait le voyage avec le duc, je pourrais vous dire les choses les plus intéressantes. Voulez-vous que je vous les dise?

De Guiche passa sa main sur son front moite de sueur.

– Mais, non, dit-il, cent fois non, je n’ai point de curiosité pour ce qui ne me regarde pas. M. de Buckingham n’est pour moi qu’une simple connaissance, tandis que Raoul est un ami intime. Je n’ai donc aucune curiosité de savoir ce qui est arrivé à M. de Buckingham, tandis que j’ai tout intérêt à savoir ce qui est arrivé à Raoul.

– À Paris?

– Oui, à Paris ou à Boulogne. Vous comprenez, moi, je suis présent: si quelque événement advient, je suis là pour y faire face; tandis que Raoul est absent et n’a que moi pour le représenter; donc, les affaires de Raoul avant les miennes.

– Mais Raoul reviendra.

– Oui, après sa mission. En attendant, vous comprenez, il ne peut courir de mauvais bruits sur lui sans que je les examine.