De sorte qu’elle, penchée en arrière, adossée au fauteuil, ses fleurs à la main, de sorte que lui, les yeux levés vers elle et la dévorant du regard, ils formaient un groupe charmant que l’artiste contempla plusieurs minutes avec satisfaction, tandis que, de son côté, de Saint-Aignan le contemplait avec envie.
Le peintre esquissa rapidement; puis, sous les premiers coups du pinceau, on vit sortir du fond gris cette molle et poétique figure aux yeux doux, aux joues roses encadrées dans des cheveux d’un pur argent.
Cependant les deux amants parlaient peu et se regardaient beaucoup; parfois leurs yeux devenaient si languissants, que le peintre était forcé d’interrompre son ouvrage pour ne pas représenter une Érycine au lieu d’une La Vallière.
C’est alors que de Saint-Aignan revenait à la rescousse; il récitait des vers ou disait quelques-unes de ces historiettes comme Patru les racontait, comme Tallemant des Réaux les racontait si bien.
Ou bien La Vallière était fatiguée, et l’on se reposait.
Aussitôt un plateau de porcelaine de Chine, chargé des plus beaux fruits que l’on avait pu trouver, aussitôt le vin de Xérès, distillant ses topazes dans l’argent ciselé, servaient d’accessoires à ce tableau, dont le peintre ne devait retracer que la plus éphémère figure.
Louis s’enivrait d’amour; La Vallière, de bonheur; de Saint-Aignan, d’ambition.
Le peintre se composait des souvenirs pour sa vieillesse.
Deux heures s’écoulèrent ainsi; puis, quatre heures ayant sonné, La Vallière se leva, et fit un signe au roi.
Louis se leva, s’approcha du tableau, et adressa quelques compliments flatteurs à l’artiste.
De Saint-Aignan vantait la ressemblance, déjà assurée, à ce qu’il prétendait.
La Vallière, à son tour, remercia le peintre en rougissant, et passa dans la chambre voisine, où le roi la suivit, après avoir appelé de Saint-Aignan.
– À demain, n’est-ce pas? dit-il à La Vallière.
– Mais, Sire, songez-vous que l’on viendra certainement chez moi, qu’on ne m’y trouvera pas?
– Eh bien?
– Alors, que deviendrai-je?
– Vous êtes bien craintive, Louise!
– Mais, enfin, si Madame me faisait demander?
– Oh! répliqua le roi, est-ce qu’un jour n’arrivera pas où vous me direz vous-même de tout braver pour ne plus vous quitter?
– Ce jour-là, Sire, je serais une insensée et vous ne devriez pas me croire.
– À demain, Louise.
La Vallière poussa un soupir; puis, sans force contre la demande royale:
– Puisque vous le voulez, Sire, à demain, répéta-t-elle.
Et, à ces mots, elle monta légèrement les degrés et disparut aux yeux de son amant.
– Eh bien! Sire?… demanda de Saint-Aignan lorsqu’elle fut partie.
– Eh bien! de Saint-Aignan, hier, je me croyais le plus heureux des hommes.
– Et Votre Majesté, aujourd’hui, dit en souriant le comte, s’en croirait-elle par hasard le plus malheureux?
– Non, mais cet amour est une soif inextinguible; en vain je bois, en vain je dévore les gouttes d’eau que ton industrie me procure: plus je bois, plus j’ai soif.
– Sire, c’est un peu votre faute, et Votre Majesté s’est fait la position telle qu’elle est.
– Tu as raison.
– Donc, en pareil cas, Sire, le moyen d’être heureux, c’est de se croire satisfait et d’attendre.
– Attendre! Tu connais donc ce mot-là, toi, attendre?
– Là, Sire, là! ne vous désolez point. J’ai déjà cherché, je chercherai encore.
Le roi secoua la tête d’un air désespéré.
– Et quoi! Sire, vous n’êtes plus content déjà?
– Eh! si fait, mon cher de Saint-Aignan; mais trouve, mon Dieu! trouve.
– Sire, je m’engage à chercher, voilà tout ce que je puis dire.
Le roi voulut revoir encore le portrait, ne pouvant revoir l’original. Il indiqua quelques changements au peintre, et sortit.
Derrière lui, de Saint-Aignan congédia l’artiste.
Chevalets, couleurs et peintre n’étaient pas disparus, que Malicorne montra sa tête entre les deux portières.
De Saint-Aignan le reçut à bras ouverts, et cependant avec une certaine tristesse. Le nuage qui avait passé sur le soleil royal voilait, à son tour, le satellite fidèle.
Malicorne vit, du premier coup d’œil, ce crêpe étendu sur le visage de de Saint-Aignan.
– Oh! monsieur le comte, dit-il, comme vous voilà noir!
– J’en ai bien le sujet, ma foi! mon cher monsieur Malicorne; croiriez vous que le roi n’est pas content?
– Pas content de son escalier?
– Oh! non, au contraire, l’escalier a plu beaucoup.
– C’est donc la décoration des chambres qui n’est pas selon son goût?
– Oh! pour cela, il n’y a pas seulement songé. Non, ce qui a déplu au roi…
– Je vais vous le dire, monsieur le comte: c’est d’être venu, lui quatrième, à un rendez-vous d’amour. Comment, monsieur le comte, vous n’avez pas deviné cela, vous?
– Mais comment l’eussé-je deviné, cher monsieur Malicorne, quand je n’ai fait que suivre à la lettre les instructions du roi?
– En vérité, Sa Majesté a voulu, à toute force, vous voir près d’elle?
– Positivement.
– Et Sa Majesté a voulu avoir, en outre, M. le peintre que j’ai rencontré en bas?
– Exigé, monsieur Malicorne, exigé!
– Alors, je le comprends, pardieu! bien, que Sa Majesté ait été mécontente.
– Mécontente de ce que l’on a ponctuellement obéi à ses ordres? Je ne vous comprends plus.
Malicorne se gratta l’oreille.
– À quelle heure, demanda-t-il, le roi avait-il dit qu’il se rendrait chez vous?
– À deux heures.
– Et vous étiez chez vous à attendre le roi?
– Dès une heure et demie.
– Ah! vraiment!
– Peste! il eût fait beau me voir inexact devant le roi.
Malicorne, malgré le respect qu’il portait à de Saint-Aignan, ne put s’empêcher de hausser les épaules.