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– Causons, Louise, lui dit-elle, causons sérieusement, vous le voulez bien.

Louise, toute à son émotion, n’entendit pas sans une secrète terreur ce sérieusement, sur lequel Montalais avait appuyé à dessein.

– Mon Dieu! ma chère Aure, murmura-t-elle, qu’y a-t-il donc encore?

– Il y a, chère amie, que Madame se doute de tout.

– De tout quoi?

– Avons-nous besoin de nous expliquer, et ne comprends-tu pas ce que je veux dire? Voyons: tu as dû voir les fluctuations de Madame depuis plusieurs jours; tu as dû voir comme elle t’a prise auprès d’elle, puis congédiée, puis reprise.

– C’est étrange, en effet; mais je suis habituée à ses bizarreries.

– Attends encore. Tu as remarqué ensuite que Madame, après t’avoir exclue de la promenade, hier, t’a fait donner ordre d’assister à cette promenade.

– Si je l’ai remarqué! sans doute.

– Eh bien! il paraît que Madame a maintenant des renseignements suffisants, car elle a été droit au but, n’ayant plus rien à opposer en France à ce torrent qui brise tous les obstacles; tu sais ce que je veux dire par le torrent?

La Vallière cacha son visage entre ses mains.

– Je veux dire, poursuivit Montalais impitoyablement, ce torrent qui a enfoncé la porte des Carmélites de Chaillot, et renversé tous les préjugés de cour, tant à Fontainebleau qu’à Paris.

– Hélas! hélas! murmura La Vallière, toujours voilée par ses doigts, entre lesquels roulaient ses larmes.

– Oh! ne t’afflige pas ainsi, lorsque tu n’es qu’à la moitié de tes peines.

– Mon Dieu! s’écria la jeune fille avec anxiété, qu’y a-t-il donc encore?

– Eh bien! voici le fait. Madame, dénuée d’auxiliaires en France, car elle a usé successivement les deux reines, Monsieur et toute la Cour, Madame s’est souvenue d’une certaine personne qui a sur toi de prétendus droits.

La Vallière devint blanche comme une statue de cire.

– Cette personne, continua Montalais, n’est point à Paris en ce moment.

– Oh! mon Dieu! murmura Louise.

– Cette personne, si je ne me trompe, est en Angleterre.

– Oui, oui, soupira La Vallière à demi brisée.

– N’est-ce pas à la Cour du roi Charles II que se trouve cette personne? Dis.

– Oui.

– Eh bien! ce soir, une lettre est partie du cabinet de Madame pour Saint-James, avec ordre pour le courrier de pousser d’une traite jusqu’à Hampton-Court, qui est, à ce qu’il paraît, une maison royale située à douze milles de Londres!

– Oui, après?

– Or, comme Madame écrit régulièrement à Londres tous les quinze jours, et que le courrier ordinaire avait été expédié à Londres il y a trois jours seulement, j’ai pensé qu’une circonstance grave pouvait seule lui mettre la plume à la main. Madame est paresseuse pour écrire, comme tu sais.

– Oh! oui.

– Cette lettre a donc été écrite, quelque chose me le dit, pour toi.

– Pour moi? répéta la malheureuse jeune fille avec la docilité d’un automate.

– Et moi qui la vis, cette lettre, sur le bureau de Madame avant qu’elle fût cachetée, j’ai cru y lire…

– Tu as cru y lire?…

– Peut-être me suis-je trompée.

– Quoi?… Voyons.

– Le nom de Bragelonne.

La Vallière se leva, en proie à la plus douloureuse agitation.

– Montalais, dit-elle avec une voix pleine de sanglots, déjà se sont enfuis tous les rêves riants de la jeunesse et de l’innocence. Je n’ai plus rien à te cacher, à toi ni à personne. Ma vie est à découvert, et s’ouvre comme un livre où tout le monde peut lire, depuis le roi jusqu’au premier passant. Aure, ma chère Aure, que faire? Que devenir?

Montalais se rapprocha.

– Dame, consulte-toi, dit-elle.

– Eh bien! je n’aime pas M. de Bragelonne; quand je dis que je ne l’aime pas, comprends-moi: je l’aime comme la plus tendre sœur peut aimer un bon frère; mais ce n’est point cela qu’il me demande, ce n’est point cela que je lui ai promis.

– Enfin, tu aimes le roi, dit Montalais, et c’est une assez bonne excuse.

– Oui, j’aime le roi, murmura sourdement la jeune fille, et j’ai payé assez cher le droit de prononcer ces mots. Eh bien! parle, Montalais; que peux-tu pour moi ou contre moi dans la position où je me trouve?

– Parle-moi plus clairement.

– Que te dirai-je?

– Ainsi, rien de plus particulier?

– Non, fit Louise avec étonnement.

– Bien! Alors, c’est un simple conseil que tu me demandes?

– Oui.

– Relativement à M. Raoul?

– Pas autre chose.

– C’est délicat, répliqua Montalais.

– Non, rien n’est délicat là-dedans. Faut-il que je l’épouse pour lui tenir la promesse faite? faut-il que je continue d’écouter le roi?

– Sais-tu bien que tu me mets dans une position difficile? dit Montalais en souriant. Tu me demandes si tu dois épouser Raoul, dont je suis l’amie, et à qui je fais un mortel déplaisir en me prononçant contre lui. Tu me parles ensuite de ne plus écouter le roi, le roi, dont je suis la sujette, et que j’offenserais en te conseillant d’une certaine façon. Ah! Louise, Louise, tu fais bon marché d’une bien difficile position.

– Vous ne m’avez pas comprise, Aure, dit La Vallière blessée du ton légèrement railleur qu’avait pris Montalais: si je parle d’épouser M. de Bragelonne, c’est que je puis l’épouser sans lui faire aucun déplaisir; mais, par la même raison, si j’écoute le roi, faut-il le faire usurpateur d’un bien fort médiocre, c’est vrai, mais auquel l’amour prête une certaine apparence de valeur? Ce que je te demande donc, c’est de m’enseigner un moyen de me dégager honorablement, soit d’un côté, soit de l’autre, ou plutôt je te demande de quel côté je puis me dégager le plus honorablement.

– Ma chère Louise, répondit Montalais après un silence, je ne suis pas un des sept sages de la Grèce et je n’ai point de règles de conduite parfaitement invariables; mais, en échange, j’ai quelque expérience, et je puis te dire que jamais une femme ne demande un conseil du genre de celui que tu me demandes sans être fortement embarrassée. Or, tu as fait une promesse solennelle, tu as de l’honneur; si donc tu es embarrassée, ayant pris un tel engagement, ce n’est pas le conseil d’une étrangère, tout est étranger pour un cœur plein d’amour, ce n’est pas, dis-je, mon conseil qui te tirera d’embarras. Je ne te le donnerai donc point, d’autant plus qu’à ta place je serais encore plus embarrassée après le conseil qu’auparavant. Tout ce que je puis faire, c’est de te répéter ce que je t’ai déjà dit: veux-tu que je t’aide?