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– Rien, pas un mot; allez au diable!

– Vous réfléchirez, monsieur, pendant les préparatifs. Allons, maître, ajustez les bottines à monsieur.

À ces mots, l’homme qui était resté debout et immobile jusque-là, les cordes à la main, se détacha de la colonne, et d’un pas lent s’approcha de Coconnas, qui se retourna de son côté pour lui faire la grimace.

C’était maître Caboche, le bourreau de la prévôté de Paris.

Un douloureux étonnement se peignit sur les traits de Coconnas, qui, au lieu de crier et de s’agiter, demeura immobile et ne pouvant détacher ses yeux du visage de cet ami oublié qui reparaissait en un pareil moment.

Caboche, sans qu’un seul muscle de son visage fût agité, sans qu’il parût avoir jamais vu Coconnas autre part que sur le chevalet, lui introduisit deux planches entre les jambes, lui plaça deux autres planches pareilles en dehors des jambes, et ficela le tout avec la corde qu’il tenait à la main.

C’était cet appareil qu’on appelait les brodequins.

Pour la question ordinaire, on enfonçait six coins entre les deux planches, qui en s’écartant broyaient les chairs.

Pour la question extraordinaire, on enfonçait dix coins, et alors les planches, non seulement broyaient les chairs, mais faisaient éclater les os.

L’opération préliminaire terminée, maître Caboche introduisit l’extrémité du coin entre les deux planches; puis, son maillet à la main, agenouillé sur un seul genou, il regarda le juge.

– Voulez-vous parler? demanda celui-ci.

– Non, répondit résolument Coconnas, quoiqu’il sentît la sueur perler sur son front et ses cheveux se dresser sur sa tête.

– En ce cas, allez, dit le juge, premier coin de l’ordinaire. Caboche leva son bras armé d’un lourd maillet et assena un coup terrible sur le coin, qui rendit un son mat.

Le chevalet trembla.

Coconnas ne laissa point échapper une plainte à ce premier coin, qui, d’ordinaire, faisait gémir les plus résolus. Il y eut même plus: la seule expression qui se peignit sur son visage fut celle d’un indicible étonnement. Il regarda avec des yeux stupéfaits Caboche, qui, le bras levé, à demi retourné vers le juge, s’apprêtait à redoubler.

– Quelle était votre intention en vous cachant dans la forêt? demanda le juge.

– De nous asseoir à l’ombre, répondit Coconnas.

– Allez, dit le juge. Caboche appliqua un second coup, qui résonna comme le premier. Mais pas plus qu’au premier coup Coconnas ne sourcilla, et son œil continua de regarder le bourreau avec la même expression. Le juge fronça le sourcil.

– Voilà un chrétien bien dur, murmura-t-il; le coin est-il entré jusqu’au bout, maître?

Caboche se baissa comme pour examiner; mais en se baissant il dit tout bas à Coconnas:

– Mais criez donc, malheureux! Puis se relevant:

– Jusqu’au bout, monsieur, dit-il.

– Second coin de l’ordinaire, reprit froidement le juge. Les quatre mots de Caboche expliquaient tout à Coconnas. Le digne bourreau venait de rendre à son ami le plus grand service qui se puisse rendre de bourreau à gentilhomme. Il lui épargnait plus que la douleur, il lui épargnait la honte des aveux, en lui enfonçant entre les jambes des coins de cuir élastiques, dont la partie supérieure était seulement garnie de bois, au lieu de lui enfoncer des coins de chêne. De plus, il lui laissait toute sa force pour faire face à l’échafaud.

– Ah brave, brave Caboche, murmura Coconnas, sois tranquille, va, je vais crier, puisque tu me le demandes, et si tu n’es pas content, tu seras difficile.

Pendant ce temps, Caboche avait introduit entre les planches l’extrémité d’un coin plus gros encore que le premier.

– Allez, dit le juge.

À ce mot, Caboche frappa comme s’il se fût agi de démolir d’un seul coup le donjon de Vincennes.

– Ah! ah! hou! hou! cria Coconnas sur les intonations les plus variées. Mille tonnerres, vous me brisez les os, prenez donc garde!

– Ah! dit le juge en souriant, le second fait son effet; cela m’étonnait aussi. Coconnas respira comme un soufflet de forge.

– Que faisiez-vous donc dans la forêt? répéta le juge.

– Eh! mordieu! je vous l’ai déjà dit, je prenais le frais.

– Allez, dit le juge.

– Avouez, lui glissa Caboche à l’oreille.

– Quoi?

– Tout ce que vous voudrez, mais avouez quelque chose. Et il donna le second coup non moins bien appliqué que le premier. Coconnas pensa s’étrangler à force de crier.

– Oh! là, là, dit-il. Que désirez-vous savoir, monsieur? par ordre de qui j’étais dans le bois?

– Oui, monsieur.

– J’y étais par ordre de M. d’Alençon.

– Écrivez, dit le juge.

– Si j’ai commis un crime en tendant un piège au roi de Navarre, continua Coconnas, je n’étais qu’un instrument, monsieur, et j’obéissais à mon maître.

Le greffier se mit à écrire.

– Oh! tu m’as dénoncé, face blême, murmura le patient, attends, attends.

Et il raconta la visite de François au roi de Navarre, les entrevues entre de Mouy et M. d’Alençon, l’histoire du manteau rouge, le tout en hurlant par réminiscence et en se faisant ajouter de temps en temps un coup de marteau.

Enfin il donna tant de renseignements précis, véridiques, incontestables, terribles contre M. le duc d’Alençon; il fit si bien paraître ne les accorder qu’à la violence des douleurs; il grimaça, rugit, se plaignit si naturellement et sur tant d’intonations différentes, que le juge lui-même finit par s’effaroucher d’avoir à enregistrer des détails si compromettants pour un fils de France.

– Eh bien, à la bonne heure! disait Caboche, voici un gentilhomme à qui il n’est pas besoin de dire les choses à deux fois et qui fait bonne mesure au greffier. Jésus-Dieu! que serait-ce donc, si, au lieu d’être de cuir, les coins étaient de bois!

Aussi fit-on grâce à Coconnas du dernier coin de l’extraordinaire; mais, sans compter celui-là, il avait eu affaire à neuf autres, ce qui suffisait parfaitement à lui mettre les jambes en bouillie.

Le juge fit valoir à Coconnas la douceur qu’il lui accordait en faveur de ses aveux et se retira.

Le patient resta seul avec Caboche.

– Eh bien, lui demanda celui-ci, comment allons-nous, mon gentilhomme?

– Ah! mon ami! mon brave ami, mon cher Caboche! dit Coconnas, sois certain que je serai reconnaissant toute ma vie de ce que tu viens de faire pour moi.