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Coconnas se releva, saisit l’anneau de fer, et d’une première secousse l’ébranla si violemment, qu’il était évident qu’avec deux secousses pareilles il le descellerait.

Mais soudain la porte s’ouvrit et une lumière produite par deux torches envahit le cachot.

– Venez, monsieur, lui dit la même voix grasseyante qui lui avait été déjà si particulièrement désagréable, et qui, pour se faire entendre cette fois trois étages au-dessous, ne lui parut pas avoir acquis le charme qui lui manquait; venez, monsieur, la cour vous attend.

– Bon, dit Coconnas lâchant son anneau, c’est mon arrêt que je vais entendre, n’est-ce pas?

– Oui, monsieur.

– Oh! je respire; marchons, dit-il. Et il suivit l’huissier, qui marchait devant lui de son pas compassé et tenant sa baguette noire. Malgré la satisfaction qu’il avait témoignée dans un premier mouvement, Coconnas jetait, tout en marchant, un regard inquiet à droite et à gauche, devant et derrière.

– Oh! oh! murmura-t-il, je n’aperçois pas mon digne geôlier; j’avoue que sa présence me manque.

On entra dans la salle que venaient de quitter les juges, et où demeurait seul debout un homme que Coconnas reconnut pour le procureur général, qui avait plusieurs fois, dans le cours de l’interrogatoire, porté la parole, et toujours avec une animosité facile à reconnaître.

En effet, c’était celui à qui Catherine, tantôt par lettre, tantôt de vive voix, avait particulièrement recommandé le procès.

Un rideau levé laissait voir le fond de cette chambre, et cette chambre, dont les profondeurs se perdaient dans l’obscurité, avait dans ses parties éclairées un aspect si terrible que Coconnas sentit que les jambes lui manquaient et s’écria:

– Oh! mon Dieu! Ce n’était pas sans cause que Coconnas avait poussé ce cri de terreur. Le spectacle était en effet des plus lugubres. La salle, cachée pendant l’interrogatoire par ce rideau, qui était levé maintenant, apparaissait comme le vestibule de l’enfer. Au premier plan on voyait un chevalet de bois garni de cordes, de poulies et d’autres accessoires tortionnaires. Plus loin flambait un brasier qui reflétait ses lueurs rougeâtres sur tous les objets environnants, et qui assombrissait encore la silhouette de ceux qui se trouvaient entre Coconnas et lui. Contre une des colonnes qui soutenaient la voûte, un homme immobile comme une statue se tenait debout une corde à la main. On eût dit qu’il était de la même pierre que la colonne à laquelle il adhérait. Sur les murs au-dessus des bancs de grès, entre des anneaux de fer, pendaient des chaînes et reluisaient des lames.

– Oh! murmura Coconnas, la salle de la torture toute préparée et qui semble ne plus attendre que le patient! Qu’est-ce que cela signifie?

– À genoux, Marc-Annibal Coconnas, dit une voix qui fit relever la tête du gentilhomme, à genoux pour entendre l’arrêt qui vient d’être rendu contre vous!

C’était une de ces invitations contre lesquelles toute la personne d’Annibal réagissait instinctivement.

Mais comme elle était en train de réagir, deux hommes appuyèrent leurs mains sur son épaule d’une façon si inattendue et surtout si pesante, qu’il tomba les deux genoux sur la dalle.

La voix continua:

«Arrêt rendu par la cour séant au donjon de Vincennes contre Marc-Annibal de Coconnas, atteint et convaincu du crime de lèse-majesté, de tentative d’empoisonnement, de sortilège et de magie contre la personne du roi, du crime de conspiration contre la sûreté de l’État, comme aussi pour avoir entraîné, par ses pernicieux conseils, un prince du sang à la rébellion…»

À chacune de ces imputations, Coconnas avait hoché la tête en battant la mesure comme font les écoliers indociles.

Le juge continua:

«En conséquence de quoi, sera ledit Marc-Annibal de Coconnas conduit de la prison à la place Saint-Jean-en-Grève pour y être décapité; ses biens seront confisqués, ses hautes futaies coupées à la hauteur de six pieds, ses châteaux ruinés, et en l’air un poteau planté avec une plaque de cuivre qui constatera le crime et le châtiment…»

– Pour ma tête, dit Coconnas, je crois bien qu’on la tranchera, car elle est en France et fort aventurée même. Quant à mes bois de haute futaie, et quant à mes châteaux je défie toutes les scies et toutes les pioches du royaume très chrétien de mordre dedans.

– Silence! fit le juge. Et il continua: «De plus sera ledit Coconnas…»

– Comment! interrompit Coconnas, il me sera fait quelque chose encore après la décapitation? Oh! oh! cela me paraît bien sévère.

– Non, monsieur, dit le juge: avant…

Et il reprit:

«Et sera de plus ledit Coconnas, avant l’exécution du jugement, appliqué à la question extraordinaire qui est des dix coins.»

Coconnas bondit, foudroyant le juge d’un regard étincelant.

– Et pour quoi faire? s’écria-t-il, ne trouvant pas d’autres mots que cette naïveté pour exprimer la foule de pensées qui venaient de surgir dans son esprit.

En effet, cette torture était pour Coconnas le renversement complet de ses espérances; il ne serait conduit à la chapelle qu’après la torture, et de cette torture on mourait souvent; on en mourait d’autant mieux qu’on était plus brave et plus fort, car alors on regardait comme une lâcheté d’avouer; et tant qu’on n’avouait pas, la torture continuait, et non seulement continuait, mais redoublait de force.

Le juge se dispensa de répondre à Coconnas, la suite de l’arrêt répondant pour lui; seulement il continua: «Afin de le forcer d’avouer ses complices, complots et machinations dans le détail.»

– Mordi! s’écria Coconnas, voilà ce que j’appelle une infamie; voilà ce que j’appelle bien plus qu’une infamie, voilà ce que j’appelle une lâcheté.

Accoutumé aux colères des victimes, colères que la souffrance calme en les changeant en larmes, le juge impassible ne fit qu’un seul geste.

Coconnas, saisi par les pieds et par les épaules, fut renversé, emporté, couché et attaché sur le lit de la question avant d’avoir pu regarder même ceux qui lui faisaient cette violence.

– Misérables! hurlait Coconnas, secouant dans un paroxysme de fureur le lit et les tréteaux de manière à faire reculer les tourmenteurs eux-mêmes; misérables! torturez-moi, brisez-moi, mettez-moi en morceaux, vous ne saurez rien, je vous le jure! Ah! vous croyez que c’est avec des morceaux de bois ou avec des morceaux de fer qu’on fait parler un gentilhomme de mon nom! Allez, allez, je vous en défie.

– Préparez-vous à écrire, greffier, dit le juge.

– Oui, prépare-toi! hurla Coconnas, et si tu écris tout ce que je vais vous dire à tous, infâmes bourreaux, tu auras de l’ouvrage. Écris, écris.

– Voulez-vous faire des révélations? dit le juge de sa même voix calme.