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En ce moment Orthon rentra. Sans doute le visage de Catherine avait une expression terrible, car le jeune homme s’arrêta pâlissant sur le seuil. Il était encore trop jeune pour être parfaitement maître de lui-même.

– Madame, dit-il, vous m’avez fait l’honneur de me rappeler; en quelle chose puis-je être bon à Votre Majesté?

Le visage de Catherine s’éclaira, comme si un rayon de soleil fût venu le mettre en lumière.

– Je t’ai fait appeler, enfant, dit-elle, parce que ton visage me plaît, et que t’ayant fait une promesse, celle de m’occuper de ta fortune, je veux tenir cette promesse sans retard. On nous accuse, nous autres reines, d’être oublieuses. Ce n’est point notre cœur qui l’est, c’est notre esprit, emporté par les événements. Or, je me suis rappelé que les rois tiennent dans leurs mains la fortune des hommes, et je t’ai rappelé. Viens, mon enfant, suis-moi.

M. de Nancey, qui prenait la scène au sérieux, regardait cet attendrissement de Catherine avec un grand étonnement.

– Sais-tu monter à cheval, petit? demanda Catherine.

– Oui, madame.

– En ce cas, viens dans mon cabinet. Je vais te remettre un message que tu porteras à Saint-Germain.

– Je suis aux ordres de Votre Majesté.

– Faites-lui préparer un cheval, Nancey.

M. de Nancey disparut.

– Allons, enfant, dit Catherine. Et elle marcha la première. Orthon la suivit. La reine mère descendit un étage, puis elle s’engagea dans le corridor où étaient les appartements du roi et du duc d’Alençon, gagna l’escalier tournant, descendit encore un étage, ouvrit une porte qui aboutissait à une galerie circulaire dont nul, excepté le roi et elle, n’avait la clef, fit entrer Orthon, entra ensuite, et tira derrière elle la porte. Cette galerie entourait comme un rempart certaines portions des appartements du roi et de la reine mère. C’était, comme la galerie du château Saint-Ange à Rome et celle du palais Pitti à Florence, une retraite ménagée en cas de danger.

La porte tirée, Catherine se trouva enfermée avec le jeune homme dans ce corridor obscur. Tous deux firent une vingtaine de pas, Catherine marchant devant, Orthon suivant Catherine.

Tout à coup Catherine se retourna, et Orthon retrouva sur son visage la même expression sombre qu’il y avait vue dix minutes auparavant. Ses yeux, ronds comme ceux d’une chatte ou d’une panthère, semblaient jeter du feu dans l’obscurité.

– Arrête! dit-elle. Orthon sentit un frisson courir dans ses épaules: un froid mortel, pareil à un manteau de glace, tombait de cette voûte; le parquet semblait morne, comme le couvercle d’une tombe; le regard de Catherine était aigu, si cela peut se dire, et pénétrait dans la poitrine du jeune homme.

Il se recula en se rangeant tout tremblant contre la muraille.

– Où est le billet que tu étais chargé de remettre au roi de Navarre?

– Le billet? balbutia Orthon.

– Oui, ou de déposer en son absence derrière le miroir?

– Moi, madame? dit Orthon. Je ne sais ce que vous voulez dire.

– Le billet que de Mouy t’a remis, il y a une heure, derrière le jardin de l’Arbalète.

– Je n’ai point de billet, dit Orthon; Votre Majesté se trompe bien certainement.

– Tu mens, dit Catherine. Donne le billet, et je tiens la promesse que je t’ai faite.

– Laquelle, madame?

– Je t’enrichis.

– Je n’ai point de billet, madame, reprit l’enfant.

Catherine commença un grincement de dents qui s’acheva par un sourire.

– Veux-tu me le donner, dit-elle, et tu auras mille écus d’or?

– Je n’ai pas de billet, madame.

– Deux mille écus.

– Impossible. Puisque je n’en ai pas, je ne puis vous le donner.

– Dix mille écus, Orthon. Orthon, qui voyait la colère monter comme une marée du cœur au front de la reine, pensa qu’il n’avait qu’un moyen de sauver son maître, c’était d’avaler le billet. Il porta la main à sa poche. Catherine devina son intention et arrêta sa main.

– Allons! enfant! dit-elle en riant. Bien, tu es fidèle. Quand les rois veulent s’attacher un serviteur, il n’y a point de mal qu’ils s’assurent si c’est un cœur dévoué. Je sais à quoi m’en tenir sur toi maintenant. Tiens, voici ma bourse comme première récompense. Va porter ce billet à ton maître, et annonce-lui qu’à partir d’aujourd’hui tu es à mon service. Va, tu peux sortir sans moi par la porte qui nous a donné passage: elle s’ouvre en dedans.

Et Catherine, déposant la bourse dans la main du jeune homme stupéfait, fit quelques pas en avant et posa sa main sur le mur.

Cependant le jeune homme demeurait debout et hésitant. Il ne pouvait croire que le danger qu’il avait senti s’abattre sur sa tête se fût éloigné.

– Allons, ne tremble donc pas ainsi, dit Catherine; ne t’ai-je pas dit que tu étais libre de t’en aller, et que si tu voulais revenir ta fortune serait faite?

– Merci, madame, dit Orthon. Ainsi, vous me faites grâce?

– Il y a plus, je te récompense; tu es un bon porteur de billet doux, un gentil messager d’amour; seulement tu oublies que ton maître t’attend.

– Ah! c’est vrai, dit le jeune homme en s’élançant vers la porte.

Mais à peine eut-il fait trois pas que le parquet manqua sous ses pieds. Il trébucha, étendit les deux mains, poussa un horrible cri, disparut abîmé dans l’oubliette du Louvre, dont Catherine venait de pousser le ressort.

– Allons, murmura Catherine, maintenant grâce à la ténacité de ce drôle, il me va falloir descendre cent cinquante marches.

Catherine rentra chez elle, alluma une lanterne sourde, revint dans le corridor, replaça le ressort, ouvrit la porte d’un escalier à vis qui semblait s’enfoncer dans les entrailles de la terre, et, pressée par la soif insatiable d’une curiosité qui n’était que le ministre de sa haine, elle parvint à une porte de fer qui s’ouvrait en retour et donnait sur le fond de l’oubliette.

C’est là que, sanglant, broyé, écrasé par une chute de cent pieds, mais cependant palpitant encore, gisait le pauvre Orthon.

Derrière l’épaisseur du mur on entendait rouler l’eau de la Seine, qu’une infiltration souterraine amenait jusqu’au fond de l’escalier.

Catherine entra dans la fosse humide et nauséabonde qui, depuis qu’elle existait, avait dû être témoin de bien des chutes pareilles à celle qu’elle venait de voir, fouilla le corps, saisit la lettre, s’assura que c’était bien celle qu’elle désirait avoir, repoussa du pied le cadavre, appuya le pouce sur un ressort: le fond bascula, et le cadavre glissant, emporté par son propre poids, disparut dans la direction de la rivière.