– Et puis, murmura Monsoreau, en s'enivrant on oublie.
– Bah! dit Livarot, il n'y a pas moyen; voyez, messieurs, son verre est encore plein.
– À votre santé, comte, dit Ribérac en levant son verre.
Monsoreau fut forcé de faire raison au gentilhomme, et vida le sien d'un seul trait.
– Il boit cependant très bien; voyez, monseigneur, dit Antraguet.
– Oui, répondit le prince, qui essayait de lire dans le cœur du comte; oui, à merveille.
– Il faudra cependant que vous nous fassiez faire une belle chasse, comte, dit Ribérac; vous connaissez le pays.
– Vous y avez des équipages, des bois, dit Livarot.
– Et même une femme, ajouta Antraguet.
– Oui, répéta machinalement le comte, oui, des équipages, des bois et madame de Monsoreau, oui, messieurs, oui.
– Faites-nous chasser un sanglier, comte, dit le prince.
– Je tâcherai, monseigneur.
– Eh! pardieu, dit un des gentilshommes angevins, vous tâcherez, voilà une belle réponse! le bois en foisonne, de sangliers. Si je chassais au vieux taillis, je voudrais, au bout de cinq minutes, en avoir fait lever dix.
Monsoreau pâlit malgré lui; le vieux taillis était justement cette partie du bois où Roland venait de le conduire.
– Ah! oui, oui, demain, demain! s'écrièrent en chœur les gentilshommes.
– Voulez-vous demain, Monsoreau? demanda le duc.
– Je suis toujours aux ordres de Votre Altesse, répondit Monsoreau; mais cependant, comme monseigneur daignait le remarquer il n'y a qu'un instant, je suis bien fatigué pour conduire une chasse demain. Puis, j'ai besoin de visiter les environs et de savoir où en sont nos bois.
– Et puis, enfin, laissez-lui voir sa femme, que diable! dit le duc avec une bonhomie qui convainquit le pauvre mari que le duc était son rival.
– Accordé! accordé! crièrent les jeunes gens avec gaieté. Nous donnons vingt-quatre heures à M. de Monsoreau pour faire, dans ses bois, tout ce qu'il a à y faire.
– Oui, messieurs, donnez-les-moi, dit le comte, et je vous promets de les bien employer.
– Maintenant, notre grand veneur, dit le duc, je vous permets d'aller trouver votre lit. Que l'on conduise M. de Monsoreau à son appartement!
M. de Monsoreau salua et sortit, soulagé d'un grand fardeau, la contrainte.
Les gens affligés aiment la solitude plus encore que les amants heureux.
II Comment le roi Henri III apprit la fuite de son frère bien-aimé le duc d'Anjou, et de ce qui s'ensuivit.
Une fois le grand veneur sorti de la salle à manger, le repas continua plus gai, plus joyeux, plus libre que jamais.
La figure sombre du Monsoreau n'avait pas peu contribué à maintenir les jeunes gentilshommes; car, sous le prétexte et même sous la réalité de la fatigue, ils avaient démêlé cette continuelle préoccupation de sujets lugubres qui imprimait au front du comte cette tache de tristesse mortelle qui faisait le caractère particulier de sa physionomie.
Lorsqu'il fut parti, et que le prince, toujours gêné en sa présence, eut repris son air tranquille:
– Voyons, Livarot, dit le duc, tu avais, lorsque est entré notre grand veneur, commencé de nous raconter votre fuite de Paris. Continue.
Et Livarot continua.
Mais, comme notre titre d'historien nous donne le privilège de savoir mieux que Livarot lui-même ce qui s'était passé, nous substituerons notre récit à celui du jeune homme. Peut-être y perdra-t-il comme couleur, mais il y gagnera comme étendue, puisque nous savons ce que Livarot ne pouvait savoir, c'est-à-dire ce qui s'était passé au Louvre.
Vers le milieu de la nuit, Henri III fut réveillé par un bruit inaccoutumé qui retentissait dans le palais, où cependant, le roi une fois couché, le silence le plus profond était prescrit.
C'étaient des jurons, des coups de hallebarde contre les murailles, des courses rapides dans les galeries, des imprécations à faire ouvrir la terre; et, au milieu de tous ces bruits, de tous ces chocs, de tous ces blasphèmes, ces mots répétés par des milliers d'échos:
– Que dira le roi? que dira le roi?
Henri se dressa sur son lit et regarda Chicot, qui, après avoir soupé avec Sa Majesté, s'était laissé aller au sommeil dans un grand fauteuil, les jambes enlacées à sa rapière.
Les rumeurs redoublaient.
Henri sauta en bas de son lit, tout luisant de pommade, en criant:
– Chicot! Chicot!
Chicot ouvrit un œil. C'était un garçon prudent qui appréciait fort le sommeil et qui ne se réveillait jamais tout à fait du premier coup.
– Ah! tu as eu tort de m'appeler, Henri, dit-il. Je rêvais que tu avais un fils.
– Écoute! dit Henri, écoute!
– Que veux-tu que j'écoute? Il me semble cependant que tu me dis bien assez de sottises comme cela pendant le jour, sans prendre encore sur mes nuits.
– Mais tu n'entends donc pas? dit le roi en étendant la main dans la direction du bruit.
– Oh! oh! s'écria Chicot; en effet, j'entends des cris.
– Que dira le roi? que dira le roi? répéta Henri. Entends-tu?
– Il y a deux choses à soupçonner: ou ton lévrier Narcisse est malade, ou les huguenots prennent leur revanche et font une Saint-Barthélemy de catholiques.
– Aide-moi à m'habiller, Chicot.
– Je le veux bien; mais aide-moi à me lever, Henri.
– Quel malheur! quel malheur! répétait-on dans les antichambres.
– Diable! ceci devient sérieux, dit Chicot.
– Nous ferons bien de nous armer, dit le roi.
– Nous ferons mieux encore, dit Chicot, de nous dépêcher de sortir par la petite porte, afin de voir et de juger par nous-mêmes le malheur, au lieu de nous le laisser raconter.
Presque aussitôt, suivant le conseil de Chicot, Henri sortit par la porte dérobée et se trouva dans le corridor qui conduisait aux appartements du duc d'Anjou.
C'est là qu'il vit des bras levés au ciel et qu'il entendit les exclamations les plus désespérées.
– Oh! oh! dit Chicot, je devine: ton malheureux prisonnier se sera étranglé dans sa prison. Ventre-de-biche! Henri, je te fais mon compliment, tu es un plus grand politique que je ne croyais.