– Que voulez-vous dire, monsieur le duc? demanda le prince palpitant tout à la fois d'inquiétude et d'ambition.
– Monseigneur, nous nous sommes réunis, continua le duc de Guise, non pas, comme l'a dit judicieusement M. le grand veneur, pour rebattre des questions usées en théorie, mais pour agir efficacement. Aujourd'hui nous nous choisissons un chef capable d'honorer et d'enrichir la noblesse de France; et, comme c'était la coutume des anciens Francs, lorsqu'ils se donnaient un chef, de lui donner un présent digne de lui, nous offrons un présent au chef que nous nous sommes choisi…
Tous les cœurs battirent, mais moins fort que celui du duc.
Cependant il resta muet et immobile, et sa pâleur seule trahit son émotion.
– Messieurs, continua le duc en saisissant dans la stalle placée derrière lui un objet assez lourd qu'il éleva entre ses mains, messieurs, voici le présent qu'en votre nom à tous je dépose aux pieds du prince.
– Une couronne! s'écria le duc se soutenant à peine, une couronne à moi, messieurs!
– Vive François III! s'écria d'une voix qui fit trembler la voûte la troupe compacte des gentilshommes, qui avaient tiré leurs épées.
– Moi! moi! balbutiait le duc tremblant à la fois de joie et de terreur, moi! Mais c'est impossible! Mon frère vit encore, mon frère est l'oint du Seigneur.
– Nous le déposons, dit le duc, en attendant que Dieu sanctionne par sa mort l'élection que nous venons de faire, ou plutôt en attendant que quelqu'un de ses sujets, lassé de ce règne sans gloire, prévienne par le poison ou le poignard la justice de Dieu!…
– Messieurs! dit plus faiblement le duc, messieurs…
– Monseigneur, dit à son tour le cardinal, au scrupule si noble que Votre Altesse vient d'exprimer tout à l'heure, voici notre réponse: Henri III était l'oint du Seigneur; mais nous l'avons déposé; il n'est plus l'élu de Dieu, et c'est vous qui allez l'être, monseigneur. Voici un temple aussi vénérable que celui de Reims; car ici ont reposé les reliques de sainte Geneviève, patronne de Paris; ici a été inhumé le corps de Clovis, premier roi chrétien; eh bien, monseigneur, dans ce temple saint, en face de la statue du véritable fondateur de la monarchie française, moi, l'un des princes de l'Église, et qui, sans ambition folle, puis espérer un jour en devenir le chef, je vous dis, monseigneur: Voici, pour remplacer le saint chrême, une huile sainte envoyée par le pape Grégoire XIII. Monseigneur, nommez votre futur archevêque de Reims, nommez votre connétable, et, dans un instant, c'est vous qui serez sacré roi, et c'est votre frère Henri, qui, s'il ne vous remet pas le trône, sera considéré comme un usurpateur. Enfant, allumez les flambeaux de l'autel.
Au même instant, l'enfant de chœur, qui n'attendait évidemment que cet ordre, déboucha de la sacristie, un allumoir à la main, et en un instant cinquante flambeaux étincelèrent tant sur l'autel que dans le chœur.
On vit alors sur l'autel une mitre resplendissante de pierreries et une large épée fleurdelisée: c'était la mitre archiépiscopale; c'était l'épée de connétable.
Au même instant, au milieu des ténèbres que n'avait pu dissiper l'illumination du chœur, l'orgue s'éveilla et fit entendre le Veni Creator.
Cette espèce de péripétie ménagée par les trois princes lorrains, et à laquelle le duc d'Anjou lui-même ne s'attendait point, produisit une impression profonde sur les assistants. Les courageux s'exaltèrent, et les faibles eux-mêmes se sentirent forts.
Le duc d'Anjou releva la tête, et d'un pas plus assuré, et d'un bras plus ferme qu'on n'aurait dû s'y attendre, il marcha droit à l'autel, prit de la main gauche la mitre, et de la main droite l'épée, et, revenant vers le duc et vers le cardinal, qui s'attendaient à ce double honneur, il mit la mitre sur la tête du cardinal, et ceignit l'épée au duc.
Des applaudissements unanimes saluèrent cette action décisive, d'autant moins attendue, que l'on connaissait le caractère irrésolu du prince.
– Messieurs, dit le duc aux assistants, donnez vos noms à M. le duc de Mayenne, grand maître de France; le jour où je serai roi, vous serez tous chevaliers de l'ordre.
Les applaudissements redoublèrent, et tous les assistants vinrent l'un après l'autre donner leurs noms à M. de Mayenne.
– Mordieu! dit Chicot, la belle occasion d'avoir le cordon bleu! Je n'en retrouverai jamais une pareille, et dire qu'il faut que je m'en prive!
– Maintenant, à l'autel, sire, dit le cardinal de Guise.
– Monsieur de Monsoreau, mon capitaine colonel; messieurs de Ribeirac et d'Entragues, mes capitaines; monsieur de Livarot, mon lieutenant des gardes, prenez dans le chœur les places auxquelles le rang que je vous confie vous donne droit.
Chacun de ceux qui venaient d'être nommés alla prendre le poste que, dans une véritable cérémonie du sacre, l'étiquette leur eût assigné.
– Messieurs, dit le duc en s'adressant au reste de l'assemblée, vous m'adresserez tous une demande, et je tâcherai de ne point faire un seul mécontent.
Pendant ce temps le cardinal était passé derrière le tabernacle, et y avait revêtu les ornements pontificaux. Bientôt il reparut avec la sainte ampoule, qu'il déposa sur l'autel.
Alors il fit un signe à l'enfant de chœur, qui apporta le livre des Évangiles et la croix. Le cardinal prit l'un et l'autre, posa la croix sur le livre des Évangiles et les étendit vers le duc d'Anjou, qui mit la main dessus.
– En présence de Dieu, dit le duc, je promets à mon peuple de maintenir et d'honorer notre sainte religion, comme il appartient au roi très chrétien et au fils aîné de l'Église. Et qu'ainsi Dieu me soit en aide et ses saints Évangiles.
– Amen! répondirent d'une seule voix tous les assistants.
– Amen! reprit une espèce d'écho qui semblait venir des profondeurs de l'église.
Le duc de Guise, faisant, comme nous l'avons dit, les fonctions de connétable, monta les trois marches de l'autel, et en avant du tabernacle déposa son épée, que le cardinal bénit.
Le cardinal alors la tira du fourreau, et, la prenant par la lame, la présenta au roi, qui la prit par la poignée.
– Sire, dit-il, prenez cette épée, qui vous est donnée avec la bénédiction du Seigneur, afin que par elle et par la force de l'Esprit-Saint, vous puissiez résister à tous vos ennemis, protéger et défendre la sainte Église et le royaume qui vous est confié. Prenez cette épée, afin que, par son secours, vous exerciez la justice, vous protégiez les veuves et les orphelins, vous répariez les désordres; afin que, vous couvrant de gloire par toutes les vertus, vous méritiez de régner avec celui dont vous êtes l'image sur la terre, et qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles.
Le duc baissa l'épée de manière que la pointe touchât le sol, et, après l'avoir offerte à Dieu, la rendit au duc de Guise.