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ET MAINTENANT UNE PAGE DE PUBLICITÉ

LA SCÈNE SE PASSE A LA JAMAÏQUE.

TROIS RASTAS SONT ALLONGÉS SOUS UN COCOTIER, LE VISAGE PLANQUÉ SOUS LEURS DREADLOCKS. ILS ONT VISIBLEMENT FUMÉ D’ÉNORMES JOINTS DE GANJA ET SONT COMPLÈTEMENT DÉFONCÉS. UNE GROSSE BLACK S’APPROCHE D’EUX EN S’ÉCRIANT:

— HEY BOYS, IL FAUT ALLER TRAVAILLER MAINTENANT! LES TROIS REGGAE MEN NE BRONCHENT PAS. ILS SONT ÉVIDEMMENT TROP CASSÉS POUR LEVER LE PETIT DOIGT ILS LUI SOURIENT ET HAUSSENT LES ÉPAULES MAIS LA GROSSE DONDON INSISTE:

— DEBOUT! FINIE LA SIESTE! AU BOULOT LES GARS!

COMME ELLE VOIT QUE LES TROIS «BROTHERS» NE BOUGENT TOUJOURS PAS, EN DÉSESPOIR DE CAUSE, ELLE BRANDIT UN POT DE DANETTE. EN VOYANT LA CRÈME DESSERT AU CHOCOLAT, LES TROIS RASTAMEN SE LÈVENT INSTANTANÉMENT EN CHANTANT LA CHANSON DE BOB MARLEY: «GET UP, STAND UP». ILS DANSENT SUR LA PLAGE EN DÉGUSTANT LE PRODUIT

PACKSHOT DANETTE AVEC SIGNATURE: «ON SE LÈVE TOUS POUR DANETTE».

II. Tu

«On peut faire d’aussi précieuses découvertes dans les Pensées de Pascal que dans une réclame pour un savon».

MARCEL PROUST

1

Ce soir, il fait nuit blanche. Depuis que Sophie est partie, tu t’ennuies toujours le week-end. Tu souffres d’un manque de soufre. Tu contemples The Grind sur MTV. Mille filles en bikini et tee-shirt trop court gigotent sur une piste de danse géante à ciel ouvert, sans doute sur South Beach à Miami. Des blacks baraqués les entourent de leurs abdomens aux carrés de chocolat luisants. L’émission n’a pas d’autre concept que la beauté plastique et la transpiration techno. Tout le monde doit avoir 16 ans pour toujours. Il faut être beau, jeune, sportif, bronzé, souriant et en rythme. S’éclater, d’accord, mais obéissant et discipliné sous le soleil. Tenue moulante exigée. The Grind, c’est un autre monde, la plage de la perfection, la danse de la pureté. Or Grind, en anglais, signifie BROYAGE. Ce jeunisme ordonné te rappelle Le Triomphe de la Volonté de Leni Riefenstahl ou les sculptures d’Arno Breker.

De temps en temps, à l’arrière-plan, une fille qui ne sait pas qu’elle est filmée se met à bâiller, essoufflée. Puis la caméra s’approche et dès qu’elle aperçoit l’objectif, elle refait l’allumeuse, prend des poses d’actrice porno, suce ses doigts d’un air faussement innocent. Pendant une heure interminable, tu contemples ce fascisme balnéaire en sniffant ta coke. Pour ne plus saigner du nez, tu écrases longuement la poudre sur le miroir avec ta Carte «Premier». Tu transformes les cristaux en sucre glace. Plus la poudre est fine, moins elle irrite les vaisseaux sanguins. Ta vie est sur des rails. Quand tu les aspires avec ta paille en or massif, tu renverses la tête en arrière pour solliciter le moins possible tes sinus. Dès que tu sens le goût dans ta gorge, tu bois un grand verre de vodka-tonic pour cesser d’éternuer sans arrêt. Après le rhume des foins, tu inaugures une nouvelle maladie: le rhume de coke (narines nécrosées, nez qui coule, tics de la mâchoire, Carte bleue corrodée à la tranche blanchie). Ainsi passes-tu le week-end au-dessus de toi-même.

Les drogues, tu les as vues se rapprocher de toi. Au début, tu en entendais seulement parler:

— On a pris de la Corinne tout le week-end.

Puis ce furent quelques amis d’amis qui en firent circuler:

— Tu veux du nez?

Puis les amis de tes amis sont devenus tes dealers.

Ensuite l’un d’entre eux est mort d’une overdose, l’autre a fini en taule. Au début tu en as pris pour essayer, une fois de temps en temps, puis pour t’encanailler, tous les week-ends. Puis pour réessayer de rigoler, en semaine. Puis tu as oublié que ça servait à rigoler, tu t’es contenté d’en prendre tous les matins pour rester normal, et tu as envie de chier quand elle est coupée au laxatif, et ton nez te gratte quand elle est coupée à la strychnine. Tu ne te plains pas: si tu ne reniflais pas la poudre, tu serais obligé de faire du saut à l’élastique en combinaison vert fluo, ou du rollerblade avec des genouillères grotesques, ou du karaoké dans un restaurant chinois, ou du racisme avec des skinheads, ou de la gym avec des vieux beaux, ou du Loto sportif tout seul, ou de la psychanalyse avec un divan, ou du poker avec des menteurs, ou de l’Internet, ou du sado-masochisme, ou un régime amincissant, ou du whisky d’appartement, ou du jardinage de jardin, ou du ski de fond, ou de la philatélie urbaine, ou du bouddhisme bourgeois, ou du multimédia de poche, ou du bricolage de groupe, ou des partouzes anales. Tout le monde a besoin d’activités pour soidisant «déstresser» mais toi tu vois bien qu’en réalité les gens ne font que se débattre.

Depuis que tu vis seul, tu te branles trop souvent devant des cassettes vidéo. Tu as tout le temps des bouts de Kleenex collés aux doigts. Quand tu as largué Sophie, tu lui as pourtant dit que tu préférais les putes.

— Je te suis fidèle: tu es la seule personne que j’ai envie de tromper.

Comment ça s’est passé déjà? Ah oui, tu dînais avec elle au restaurant, quand soudain elle t’annonce qu’elle est enceinte de toi. Ce flashback n’est pas un bon souvenir. Soudain un long monologue, impossible à arrêter, est sorti de ta bouche. Tu lui as déblatéré ce que tous les mecs du monde rêvent de dire à toutes leurs femmes enceintes:

— Je voudrais tellement qu’on se quitte… Je te demande pardon… Je t’en supplie ne pleure pas… Je ne rêve que d’une chose c’est qu’on se sépare… Je crèverai seul comme une merde… Fous le camp, barre-toi, refais ta vie pendant que tu es encore jolie… Va-t’en loin de moi… J’ai essayé, crois-moi, j’ai essayé de tenir mais je n’y arrive pas… J’étouffe, je n’en peux plus, je ne sais pas être heureux… Je désire la solitude et des femmes passagères… Je veux voyager célibataire dans des villes étrangères… Je suis incapable d’élever un enfant car j’en suis un moi-même… Je suis mon propre fils… Chaque matin, je me donne la vie… Je n’ai pas eu de père, comment veux-tu que j’en sois un… Je ne veux pas de ton amour… Je…

Cela faisait beaucoup de phrases commençant par «je». Sophie a répliqué:

— Tu es un monstre.

— Si je suis un monstre et que tu m’aimes, alors tu es aussi conne que la fiancée de Frankenstein.

Sophie t’a scanné, puis s’est levée de table pour sortir de ta vie sans reprendre sa respiration. Et c’est bizarre, quand elle est sortie en sanglotant, tu te rendais bien compte que c’était tout de même toi qui t’enfuyais. Tu as inspiré et expiré; tu ressentais ce «lâche soulagement» qui suit toutes les séparations; tu as noté sur la nappe en papier: «les ruptures sont les Munichs de l’amour» et aussi: «Ce que les gens appellent tendresse, moi j’appelle ça: peur de se quitter» et encore: «Les femmes, c’est toujours comme ça: ou bien on s’en fout, ou bien on en a peur».

Quand tu ne t’en fous pas ça veut dire que tu es terrifié.

Quand une fille apprend à son mec qu’elle attend un enfant, la question que se pose IMMEDIATEMENT le mec n’est pas: «Est-ce que je veux cet enfant?» mais «Est-ce que je reste avec cette fille?»

Finalement, la liberté n’est qu’un mauvais moment à passer. Ce soir tu as décidé de retourner au Bar Biturique, ton lupanar favori. Les maisons closes sont supposées être interdites en France; pourtant, rien qu’à Paris, on en dénombre une bonne cinquantaine. Là-bas, dès que tu entres, toutes les filles t’adorent. Elles ont deux grandes qualités:

1) Elles sont belles.

2) Elles ne t’appartiennent pas.

Tu commandes une bouteille de champ’, sers la tournée, et soudain les voilà qui caressent tes cheveux, lèchent ton cou, insinuent leurs ongles dans ta chemise, frôlent ta braguette qui gonfle, susurrent des obscénités délicates dans le creux de ton oreille: