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Nouvelles esclaffades et rires polis. Deuxième vague de rires pour ceux qui ont compris à retardement. Plus une troisième vague de rires pour ceux qui se la sont fait expliquer.

Le préfet Dupeyron et l'ambassadeur nippon, ravis de leur succès, sortirent d'autres blagues. Ils s'aperçurent qu'il n'était pas facile d'en trouver qui soient aussi amusantes pour les deux peuples, tant les blagues abondent en références culturelles n'ayant de sens que dans leur pays d'origine.

– Croyez-vous qu'il existe un humour universel capable de faire rire tout le monde? demanda le préfet.

Le calme ne revint que lorsque le maître d'hôtel sonna la clochette pour annoncer que tout le monde pouvait s'installer à table car le dîner allait être servi. Des serveuses déposèrent devant chaque assiette des petits pains ronds.

25. ENCYCLOPÉDIE

RECETTE DU PAIN: À l'usage de ceux qui l'ont oubliée.

Ingrédients:

600 g de farine

1 paquet de levure sèche

1 verre d'eau

2 cuillerée à café de sucre

1 cuillerée à café de sel, un peu de beurre.

Versez la levure et le sucre dans l'eau et laissez-les reposer pendant une demi-heure. Une mousse épaisse et grisâtre se forme alors. Versez la farine dans une jatte, ajoutez le sel, creusez un puits au centre pour y verser lentement le liquide. Mélangez tout en versant. Couvrez la jatte et laissez reposer un quart d'heure dans un endroit tiède et à l'abri des courants d'air. La température idéale est de 27 °C mais, à défaut, il vaut mieux une température plus basse. La chaleur tuerait la levure. Quand la pâte a levé, travaillez-la un peu à pleines mains. Puis laissez-la à nouveau lever pendant trente minutes. Ensuite vous pouvez la faire cuire pendant une heure dans un four ou dans des cendres de bois. Si vous n'avez pas de four ni de cendres, faites-la cuire sur une pierre en la laissant au grand soleil.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

26. UNE MENACE

103 683e exige encore un peu d'attention de ses douze compagnes. Elle n'a pas tout dit. Si elle tient à rejoindre au plus yite sa cité natale, c'est qu'un danger terrible pèse sur Bel-o-kan.

Les Doigts communicants sont très bricoleurs. Ils peuvent œuvrer longtemps pour réussir à produire ce dont ils ont besoin. Ainsi, comme ils voulaient à tout prix lui faire comprendre leur monde de visu, ils ont travaillé pour lui fabriquer une mini-télévision à son échelle.

C'est quoi une télévision? demande 16e.

La vieille fourmi a du mal à se faire comprendre. Elle agite ses antennes pour dessiner un carré. La télévision, c'est une boîte nantie d'une antenne qui, au lieu de percevoir les odeurs, perçoit les images qui traînent dans l'air du monde des Doigts.

Les Doigts ont donc des antennes? s'étonne 10e.

Oui, mais des antennes particulières, incapables de dialoguer entre elles. Elles servent uniquement à recevoir des images et des sons.

Elle explique que ces images montrent tout ce qui se passe dans le monde des Doigts. Elles en sont la représentation et apportent toutes les informations nécessaires pour le comprendre. 103 683e sait bien que ce n'est pas facile à expliquer. Là encore, il faut la croire sur parole. Grâce à la télévision, et sans même avoir à se déplacer, la vieille fourmi rousse a réussi à tout voir et tout connaître du monde des Doigts.

Or, un jour, elle a vu à la télévision, dans une émission régionale, une pancarte blanche plantée précisément à quelques centaines de pas de la grande fourmilière de Bel-o-kan.

Les douze soldates dressent leurs antennes de surprise.

C'est quoi, une pancarte?

103 683e explique: quand les Doigts apposent des pancartes blanches quelque part, cela signifie qu'ils s'apprêtent à couper des arbres, saccager des cités et tout aplatir. En général, les pancartes blanches annoncent la construction d'un de leurs nids cubiques. Ils en mettent une et toute la région est vite transformée en un désert plat, dur, sans herbe, sur lequel s'élève bientôt un nid à Doigts.

C'est ce qui est en train de se passer. Il faut à tout prix prévenir Bel-o-kan avant que ne commencent les travaux de destruction et de mort.

Les douze réfléchissent.

Chez les fourmis, il n'y pas de chef, il n'y a pas de hiérarchie, il n'y a donc pas d'ordres donnés ou reçus, pas d'obligation d'obéissance. Chacun fait ce qu'il veut quand il veut. Les douze se concertent à peine. Cette vieille exploratrice leur a signalé que la cité natale est en danger. Il n'y a pas à pinailler. Elles renoncent à explorer le bord du monde et décident de regagner rapidement Bel-o-kan pour avertir leurs sœurs du danger que représente l'effroyable «pancarte des Doigts».

En avant vers le sud-ouest.

Cependant, même s'il fait chaud, la nuit tombe et il est trop tard pour se mettre en route. L'heure est venue de la mini-hibernation vespérale. Les fourmis se regroupent dans l'anfractuosité d'un arbre, replient pattes et antennes et se pelotonnent les unes contre les autres pour bénéficier quelques instants encore de leur chaleur mutuelle. Puis, presque simultanément, les antennes doucement se rabattent et elles s'endorment en rêvant du curieux monde des Doigts, ces géants aux têtes perdues loin là-haut, vers les cimes des arbres.

12e les imagine en train de manger.

27. ON COMMENCE A PARLER DE LA PYRAMIDE MYSTÉRIEUSE

Une multitude de serveurs surgirent, brandissant des plateaux de victuailles. Le responsable du protocole surveillait leur ballet de haut et de loin, comme un chef d'orchestre, donnant des ordres par de petits gestes frénétiques de la main.

Chacun des plateaux constituait une véritable œuvre d'art.

Des cochons de lait aux sourires figés, la gueule fourrée d'une belle tomate rouge, étaient accroupis parmi des montagnes de choucroute. Des chapons rebondis se prélassaient comme si la purée de châtaignes dont ils étaient farcis ne les gênait pas. Des veaux entiers présentaient leurs filets en offrande. Des homards se tenaient par les pinces pour former une ronde joyeuse au travers d'affriolantes macédoines de légumes badigeonnées de mayonnaise luisante.

Le préfet Dupeyron se chargea de porter un toast. Sen tencieusement, il sortit sa «feuille habituelle de jumelage» déjà très écornée et très jaunie car elle avait servi à plusieurs dîners avec des ambassadeurs étrangers, puis il déclara:

– Je lève mon verre à l'amitié entre les peuples et à la compréhension entre les êtres de bonne volonté de toutes les contrées. Vous nous intéressez et j'espère que nous vous intéressons. Quelles que soient les mœurs, les traditions, les technologies, je crois que nous nous enrichissons mutuellement, d'autant que nos différences sont importantes…

Enfin, les impatients furent autorisés à se rasseoir et à se concentrer sur leurs assiettes.

Le souper fut encore l'occasion d'échanger des plaisanteries et des anecdotes. Le maire d'Hachinoé parla d'un de ses habitants extraordinaires. C'était un ermite né sans bras qui vivait en peignant avec ses pieds. On l'appelait le «maître des orteils». Non seulement il savait peindre mais il contrôlait suffisamment ses orteils pour tirer à l'arc et se laver les dents.

L'anecdote passionna l'assistance qui voulait savoir s'il était marié. Le maire d'Hachinoé prétendit que non; en revanche, le maître des orteils avait de nombreuses maîtresses et les femmes en étaient folles pour des raisons inexpliquées.

Ne voulant pas être en reste, le préfet Dupeyron signala que la ville de Fontainebleau possédait aussi son lot de citoyens hors du commun. Mais de tous, le plus extravagant avait été sans conteste un savant fou, du nom d'Edmond Wells. Ce pseudo-scientifique avait carrément cherché à convaincre ses concitoyens que les fourmis constituaient une civilisation parallèle avec laquelle les hommes auraient tout intérêt à communiquer sur un plan d'égalité!