Изменить стиль страницы

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

200. LE POIDS DES PIEDS

Maximilien pensait avoir enfin trouvé une piste sérieuse. Les traces de pas étaient nettes. Une fille et un garçon étaient passés par là. Leur jeune âge était recon-naissable au fait qu'ils déportaient vers l'avant le poids de leurs pieds, imprimant ainsi une trace plus profonde au niveau des orteils qu'à celui du talon. Quant au sexe, le commissaire le détermina à partir de quelques cheveux. Les humains perdent partout leurs poils sans même s'en apercevoir. Les longs cheveux noirs ressemblaient assurément à ceux de Julie. La marque de la pointe de la canne de David acheva de le convaincre, il les avait retrouvés.

La piste le mena à une cuvette encerclée par des ronces, au centre de laquelle se dressait une colline.

Maximilien reconnaissait l'endroit. C'était là qu'il avait lutté contre les guêpes. Mais où était donc passée la pyramide forestière?

Il regarda le doigt de grès qui semblait répondre à sa question en indiquant la colline. Le monde est rempli de signes qui vous aident à chaque fois que vous avez des soucis. Cependant, son cerveau n'était pas encore prêt à y accorder attention.

Maximilien essayait de comprendre comment la pyramide avait disparu. Il sortit son carnet et examina le croquis qu'il avait pris la première fois.

Derrière lui, les autres policiers accouraient, impatients.

– Et maintenant, que fait-on, commissaire?

201. CONSCIENCE DU PRESENT

– Allons-y!

David déploya deux paires d'antennes nasales. Les appendices ressemblaient à deux petites cornes roses en plastique, soudées à l'écartement des narines et prolongées de deux tiges plus fines de quinze centimètres de long. Les parties destinées à servir d'antennes proprement dites étaient composées de onze segments percés de micropores et nantis d'une rainure afin de s'emboîter avec celles d'en face.

David brandit l'Encyclopédie et chercha le passage concernant les C.A. Il lut:

– Il faut s'introduire les antennes dans les narines, ce qui décuplera, en émission et en réception, nos sens olfactifs. La cavité nasale étant une muqueuse parcourue de petites veines perméables, toutes nos émotions y passent rapidement dans le sang. Nous allons communiquer directement de nez à nez. Derrière les cavités nasales se trouvent en effet des neurocapteurs qui transmettront directement les informations chimiques au cerveau.

Julie examinait les antennes, encore incrédule.

– Tout ça par le sens olfactif?

– Bien sûr. Le sens olfactif est notre premier sens, notre sens originel, notre sens animal. Il est particulièrement développé chez le nouveau-né qui peut reconnaître l'odeur du lait de sa mère.

David s'empara d'une antenne.

– Selon le schéma de l'Encyclopédie, elle doit contenir un système électronique, sans doute une pompe qui aspire et propulse nos molécules odorantes.

Le jeune homme appuya sur le petit bouton marqué on, s'introduisit une paire d'antennes dans les narines et invita Julie à faire de même.

Au début, ils eurent un peu mal car le plastique comprimait la paroi nasale. Ils s'y habituèrent, fermèrent les yeux et inspirèrent.

Julie fut immédiatement assaillie par les relents de leurs deux sueurs. À sa grande surprise, ces odeurs de sueur lui transmirent des informations qu'elle s'avéra capable de décoder au fur et à mesure. Elle y reconnut de la peur, de l'envie et du stress.

C'était à la fois merveilleux et inquiétant.

David lui fit signe d'inspirer très fort et de laisser monter les fragrances jusqu'à son cerveau. Lorsque tous deux parvinrent à maîtriser cet exercice, il demanda à la jeune fille de se rapprocher.

– Prête?

– C'est étrange, j'ai l'impression que tu vas pénétrer en moi, murmura Julie.

– Nous allons seulement connaître ce dont les humains rêvent depuis toujours: une communication totale et sincère, la rassura David.

Julie eut un mouvement de recul.

– Tu vas apprendre mes pensées les plus intimes?

– Qu'est-ce qu'il y a? Tu as des choses à cacher?

– Comme tout le monde. Après tout, mon crâne est mon dernier rempart.

David la prit gentiment par la nuque et la pria de fermer les yeux. Il approcha d'elle son appendice sensoriel. Leurs antennes se cherchèrent un instant, se touchèrent et se titillèrent avant de se caler l'une contre l'autre dans leurs rainures. Julie eut un petit rire nerveux. À présent, elle se sentait un peu ridicule avec cette prothèse en plas tique au bout des narines. Elle devait ressembler à une langouste.

David lui reprit fermement la tête. Leurs deux fronts se touchèrent sur toute la surface. Ils refermèrent les yeux.

– Écoutons nos sensations, dit David doucement.

Ce n'était pas facile. Julie avait peur de ce que David allait découvrir en elle. À choisir, la jeune fille, si pudique, aurait préféré dévoiler son corps plutôt que de montrer à quiconque l'intérieur de son cerveau.

– Inspire, chuchota David.

Elle obtempéra et fut aussitôt assaillie par une affreuse odeur de nez, l'odeur du nez de David. Elle faillit se dégager. Elle se retint car juste après l'odeur de nez, elle avait perçu autre chose, une brume rose, attirante et embaumée. Elle rouvrit les yeux.

En face d'elle, paupières bien closes, David respirait harmonieusement avec sa bouche. Julie s'empressa de l'imiter.

Très naturellement, leurs deux respirations s'accordèrent.

La jeune fille ressentit ensuite d'étranges petits picotements dans sa cavité nasale, comme si on y avait introduit du jus de citron. Là encore, elle voulut se retirer mais l'acidité du citron laissa peu à peu place à une lourde odeur opiacée. Elle la visualisa. La brume rose s'était transformée en une matière épaisse qui coulait vers elle comme une lave cherchant à pénétrer de force dans ses narines.

Elle eut une pensée désagréable. Dans l'Antiquité, avant de les momifier, les Égyptiens arrachaient le cerveau de leurs pharaons à l'aide de tiges passées dans les narines. Là, c'était le contraire: un cerveau était en train de s'immiscer dans ses cavités nasales.

Elle renifla un grand coup et, soudain, les pensées de David affluèrent dans ses hémisphères cérébraux. Julie n'en revenait pas. Les idées de David circulaient à la vitesse de la pensée dans son propre cerveau. Elle recevait les images, les sons, les musiques, les odeurs, les projets, les souvenirs qui sortaient du cerveau voisin. Par moments, en dépit de toute la résistance du jeune homme, une petite pensée de couleur chatoyante, rose fuchsia, apparaissait comme un lapin effarouché pour s'évanouir aussitôt.

David, pour sa part, visualisa un nuage bleu marine et une porte qui s'ouvrait dans ce nuage. Derrière, une petite fille courait et il la suivit. Elle le conduisit à un terrier que bouchait une énorme tête de Julie, pleine de circonvolutions et de couloirs. Le visage de Julie s'ouvrit comme une porte et dévoila un cerveau en forme de fourmilière. Il y avait un petit tunnel dans lequel il entra.

David entreprit de circuler dans le cerveau de Julie; les images s'effacèrent et une voix jaillit non pas de l'extérieur mais de l'intérieur de lui-même.

– Tu y es, maintenant, non?

Julie s'adressait directement à son esprit.

Elle lui montra comment elle le voyait et il fut très étonné.

Elle le considérait comme un jeune homme chétif et timide.

Il lui montra comment lui la voyait. Pour lui, elle était une fille d'une beauté et d'une intelligence extraordinaires.

Ils s'expliquèrent tout, se révélèrent tout, comprirent leurs véritables sentiments mutuels.

Julie ressentit quelque chose de nouveau. Ses neurones pactisèrent avec ceux de David: les uns et les autres bavardèrent, s'apprécièrent et devinrent amis. Puis, dans sa brume rose, le petit lapin fuchsia si effarouché réapparut, se tint immobile, fourrure palpitante, et, cette fois, la jeune fille comprit. C'était l'affection que David éprouvait pour elle.