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– Parbleu! de la façon dont vous l’avez accommodé, il n’a pas besoin de secours; la dague est entrée dans le cerveau, et le coup était si bon et si fermement asséné que… Regardez son sourcil et sa joue, la coquille du poignard s’y est imprimée comme un cachet dans de la cire.

Mergy se mit à trembler de tous ses membres, et de grosses larmes coulaient une à une sur ses joues.

Béville ramassa la dague, et considéra avec attention le sang qui en remplissait les cannelures.

– Voici un outil à qui le frère cadet de Comminges doit une fière chandelle. Cette belle dague-là le fait héritier d’une superbe fortune.

– Allons-nous-en… Emmène-moi d’ici, dit Mergy d’une voix éteinte, en prenant le bras de son frère.

– Ne t’afflige pas, dit George en l’aidant à reprendre son pourpoint. Après tout, l’homme qui est mort n’est pas trop digne qu’on le regrette.

– Pauvre Comminges! s’écria Béville. Et dire que tu es tué par un jeune homme qui se bat pour la première fois, toi qui t’es battu près de cent fois! Pauvre Comminges!

Ce fut la fin de son oraison funèbre. Et jetant un dernier regard sur son ami, Béville aperçut la montre du défunt suspendue à son cou, selon l’usage d’alors.

– Parbleu! s’écria-t-il, tu n’as plus besoin de savoir l’heure qu’il est maintenant.

Il détacha la montre et la mit dans sa poche, observant que le frère de Comminges serait bien assez riche, et qu’il voulait conserver un souvenir de son ami.

Comme les deux frères allaient s’éloigner:

– Attendez-moi! leur cria-t-il, repassant son pourpoint à la hâte. Eh! monsieur de Mergy, votre dague que vous oubliez! N’allez pas la perdre au moins.

Il en essuya la lame à la chemise du mort, et courut rejoindre le jeune duelliste.

– Consolez-vous, mon cher, lui dit-il en entrant dans son bateau. Ne faites pas une si piteuse mine. Croyez-moi, au lieu de vous lamenter, allez voir votre maîtresse aujourd’hui même, tout de ce pas, et besognez si bien que dans neuf mois vous puissiez rendre à la république un citoyen en échange de celui que vous lui avez fait perdre. De la sorte le monde n’aura rien perdu par votre fait. Allons, batelier, rame comme si tu voulais gagner une pistole. Voici des gens avec des hallebardes qui s’avancent vers nous. Ce sont messieurs les sergents qui s’en viennent de la tour de Nesle, et nous ne voulons rien avoir à démêler avec eux.

XII – MAGIE BLANCHE

Ces hommes armés de hallebardes étaient des soldats du guet, dont une troupe se tenait toujours dans le voisinage du Pré-aux-Clercs pour être à portée de s’entremettre dans les querelles qui se vidaient d’ordinaire sur ce terrain classique des duels. Suivant leur usage, ils s’étaient avancés fort lentement, et de manière à n’arriver que lorsque tout était fini. En effet, leurs tentatives pour rétablir la paix étaient souvent fort mal reçues; et plus d’une fois on avait vu des ennemis acharnés suspendre un combat à mort pour charger de concert les soldats qui essayaient de les séparer. Aussi les fonctions de cette garde se bornaient-elles généralement à secourir les blessés ou bien à emporter les morts. Cette fois les archers n’avaient que ce dernier devoir à remplir, et ils s’en acquittèrent selon leur coutume, c’est-à-dire après avoir vidé soigneusement les poches du malheureux Comminges et s’être partagé ses habits.

– Mon cher ami, dit Béville en se tournant vers Mergy, le conseil que j’ai à vous donner, c’est de vous faire porter le plus secrètement que faire se pourra, chez maître Ambroise Paré, qui est un homme admirable pour vous recoudre une plaie et vous rhabiller un membre cassé. Bien qu’hérétique comme Calvin lui-même, il est en telle réputation de savoir, que les plus chauds catholiques ont recours à lui. Jusqu’à présent il n’y a que la marquise de Boissières qui se soit laissée mourir bravement plutôt que de devoir la vie à un huguenot. Aussi je parie dix pistoles qu’elle est en paradis.

– La blessure n’est rien, dit George; dans trois jours elle sera fermée. Mais Comminges a des parents à Paris, et je crains qu’ils ne prennent sa mort un peu trop à cœur.

– Ah! oui! il y a bien une mère qui par convenance se croira obligée de poursuivre notre ami. Bah! fais demander sa grâce par Mr de Châtillon, le roi l’accordera aussitôt: le roi est comme une cire molle sous les doigts de l’Amiral.

– Je voudrais, s’il était possible, dit alors Mergy d’une voix faible, je voudrais que l’Amiral ne sût rien de tout ce qui vient de se passer.

– Pourquoi donc? Croyez-vous que la vieille barbe grise sera fâchée d’apprendre de quelle gaillarde manière un protestant vient de dépêcher un catholique?

Mergy ne répondit que par un profond soupir.

– Comminges était assez connu à la cour pour que sa mort fasse du bruit, dit le capitaine. Mais tu as fait ton devoir en gentilhomme, et il n’y a rien que d’honorable pour toi dans tout ceci. Depuis bien longtemps je n’ai pas rendu visite au vieux Châtillon, et voici une occasion de renouer connaissance avec lui.

– Comme il est toujours désagréable de passer quelques heures sous les verrous de la justice, reprit Béville, je vais mener ton frère dans une maison où l’on ne s’avisera pas de le chercher. Il y sera parfaitement tranquille en attendant que son affaire soit arrangée; car je ne sais si en sa qualité d’hérétique il pourrait être reçu dans un couvent.

– Je vous remercie de votre offre, Monsieur, dit Mergy; mais je ne puis l’accepter. Je pourrais vous compromettre en le faisant.

– Point, point, mon très cher. Et puis ne faut-il pas faire quelque chose pour ses amis? La maison où je vous logerai appartient à un de mes cousins, lequel n’est pas à Paris dans ce moment. Elle est à ma disposition. Il y a même quelqu’un à qui j’ai permis de l’habiter, et qui vous soignera: c’est une vieille fort utile à la jeunesse et qui m’est dévouée. Elle se connaît en médecine, en magie, en astronomie. Que ne fait-elle pas! Mais son plus beau talent, c’est celui d’entremetteuse. Je veux être foudroyé si elle n’irait pas remettre une lettre d’amour à la reine si je l’en priais.

– Eh bien, dit le capitaine, nous le conduirons dans cette maison aussitôt après que maître Ambroise aura mis le premier appareil.

En parlant ainsi, ils abordèrent à la rive droite. Après avoir guindé Mergy sur un cheval, non sans quelque peine, ils le conduisirent chez le fameux chirurgien, puis de là dans une maison isolée du faubourg Saint-Antoine, et ils ne le laissèrent que le soir, couché dans un bon lit, et recommandé aux soins de la vieille.

Quand on vient de tuer un homme, et que cet homme est le premier que l’on tue, on est tourmenté pendant quelque temps, surtout aux approches de la nuit, par le souvenir et l’image de la dernière convulsion qui a précédé sa mort. On a l’esprit tellement préoccupé d’idées noires, qu’on peut à grand’peine prendre part à la conversation la plus simple; elle fatigue et ennuie; et d’un autre côté l’on à peur de la solitude, parce qu’elle donne encore plus d’énergie à ces idées accablantes. Malgré les visites fréquentes de Béville et du capitaine, Mergy passa dans une tristesse affreuse les premiers jours qui suivirent son duel. Une fièvre assez forte, causée par sa blessure, le privait de sommeil pendant les nuits, et c’était alors qu’il était le plus malheureux. L’idée seule que madame de Turgis pensait à lui et avait admiré son courage le consolait un peu, mais ne le calmait pas.