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– Samuel, mon ami! s’écria Bonissan, montrez-vous bon serviteur. Ouvrez-moi ce paquet, et ne le rendez à votre maître qu’après vous être assuré qu’il ne contient rien de suspect.

La commission n’était pas du goût de l’intendant. Sans balancer, Mergy ramassa la lettre et en rompit le cachet. Aussitôt il se trouva fort à l’aise au centre d’un cercle vide, chacun s’étant reculé comme si une mine allait éclater au milieu de l’appartement: pourtant nulle vapeur maligne ne sortit: personne même n’éternua. Un papier assez sale, avec quelques lignes d’écriture, était tout ce que contenait cette enveloppe si redoutée.

Les mêmes personnes qui avaient été les premières à s’écarter furent aussi les premières à se rapprocher en riant, aussitôt que toute apparence de danger eut disparu.

– Que signifie cette impertinence? s’écria Coligny avec colère, et se débarrassant enfin de l’étreinte de Bonissan: ouvrir une lettre qui m’est adressée!

– Monsieur l’Amiral, si par hasard ce papier eût contenu quelque poison assez subtil pour vous tuer par la respiration, il eût mieux valu qu’un jeune homme comme moi en fût victime, que vous, dont l’existence est si précieuse pour la religion.

Un murmure d’admiration s’éleva autour de lui. Coligny lui serra la main avec attendrissement, et après un moment de silence:

– Puisque tu as tant fait que de décacheter cette lettre, dit-il avec bonté, lis-nous ce qu’elle contient.

Mergy lut aussitôt ce qui suit:

«Le ciel est éclairé à l’occident de lueurs sanglantes. Des étoiles ont disparu dans le firmament, et des épées enflammées ont été vues dans les airs. Il faut être aveugle pour ne pas comprendre ce que ces signes présagent. Gaspard! ceins ton épée, chausse tes éperons, ou bien dans peu de jours les geais se repaîtront de ta chair.»

– Il désigne les Guises par ces geais, dit Bonissan; le nom d’un oiseau est mis là au lieu de la lettre qui se prononce de même.

L’Amiral leva les épaules avec dédain, et tout le monde garda le silence; mais il était évident que la prophétie avait fait une certaine impression sur l’assemblée.

– Que de gens à Paris qui s’occupent de sottises! dit froidement Coligny. Ne dit-on pas qu’il y a près de dix mille coquins à Paris qui ne vivent d’autres métiers que de celui de prédire l’avenir?

– L’avis, tel qu’il est, n’est pas à mépriser, dit un capitaine d’infanterie. Le duc de Guise a dit assez publiquement qu’il ne dormirait tranquille que lorsqu’il vous aurait donné de l’épée dans le ventre.

– Il est si facile à un assassin de pénétrer jusqu’à vous! ajouta Bonissan. À votre place, je n’irais au Louvre que cuirassé.

– Allez, mon camarade, répondit l’Amiral, ce n’est pas à de vieux soldats comme nous que s’adressent les assassins. Ils ont plus peur de nous que nous d’eux.

Il s’entretint alors pendant quelque temps de la campagne de Flandre et des affaires de la religion. Plusieurs personnes lui remirent des placets [45] pour les présenter au roi; il les recevait tous avec bonté, adressant à chaque solliciteur des paroles affables. Dix heures sonnèrent, et il demanda son chapeau et ses gants pour se rendre au Louvre. Quelques-uns des assistants prirent alors congé de lui: un grand nombre le suivit pour lui servir de cortège et de garde à la fois.

VII – UN CHEF DE PARTI (SUITE)

Du plus loin que le capitaine aperçut son frère, il lui cria:

– Eh bien! as-tu vu Gaspard Ier? Comment t’a-t-il reçu?

– Avec une bonté que je n’oublierai jamais.

– Je m’en réjouis fort.

– Oh! George, quel homme!…

– Quel homme! Un homme à peu près comme un autre; ayant un peu plus d’ambition et un peu plus de patience que mon laquais, sans parler de la différence de l’origine. La naissance de Mr de Châtillon a fait beaucoup pour lui.

– Est-ce sa naissance qui lui a montré l’art de la guerre, et qui en a fait le premier capitaine de notre temps?

– Non, sans doute, mais son mérite ne l’a pas empêché d’être toujours battu. Bah! laissons cela. Aujourd’hui tu as vu l’Amiral, c’est fort bien; à tout seigneur tout honneur, et il fallait commencer par faire ta cour à Mr de Châtillon. Maintenant… veux-tu venir demain à la chasse? et là je te présenterai à quelqu’un qui vaut bien aussi la peine qu’on le voie; je veux dire Charles, roi de France.

– J’irais à la chasse du roi!

– Sans doute, et tu y verras les plus belles femmes et les plus beaux chevaux de la cour. Le rendez-vous est au château de Madrid, et nous devons y être demain de bonne heure. Je te donnerai mon cheval gris pommelé, et je te garantis que tu n’auras pas besoin de l’éperonner pour être toujours sur les chiens.

Un laquais remit à Mergy une lettre que venait d’apporter un page du roi. Mergy l’ouvrit, et sa surprise fut égale à celle de son frère en y trouvant un brevet de cornette. Le sceau du roi était attaché à cette pièce, d’ailleurs en très bonne forme.

– Peste! s’écria George, voilà une faveur bien soudaine! Mais comment diable Charles IX, qui ne sait pas que tu es au monde, t’envoie-t-il un brevet de cornette?

– Je crois en avoir l’obligation à Mr l’Amiral, dit Mergy.

Et il raconta alors à son frère l’histoire de la lettre mystérieuse qu’il avait décachetée avec tant de courage. Le capitaine rit beaucoup de la fin de l’aventure, et l’en railla sans pitié.

VIII – DIALOGUE ENTRE LE LECTEUR ET L’AUTEUR

– Ah! monsieur l’auteur, quelle belle occasion vous avez là de faire des portraits! Et quels portraits! Vous allez nous mener au château de Madrid, au milieu de la cour. Et quelle cour! Vous allez nous la montrer, cette cour franco-italienne? Faites-nous connaître l’un après l’autre tous les caractères qui s’y distinguent. Que de choses nous allons apprendre! et qu’une journée passée au milieu de tant de grands personnages doit être intéressante!

– Hélas! monsieur le lecteur, que me demandez-vous là? Je voudrais bien avoir le talent d’écrire une Histoire de France; je ne ferais pas de contes. Mais, dites-moi, pourquoi voulez-vous que je vous fasse faire connaissance avec des gens qui ne doivent point jouer de rôle dans mon roman?

– Mais vous avez le plus grand tort de ne pas leur y faire jouer un rôle. Comment! vous me transportez à l’année 1572, et vous prétendez esquiver les portraits de tant d’hommes remarquables! Allons, il n’y a pas à hésiter. Commencez; je vous donne la première phrase: La porte du salon s’ouvrit, et l’on vit paraître…

– Mais, monsieur le lecteur, il n’y avait pas de salon au château de Madrid; les salons…

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[45] Écrit adressé à une personne détenant un pouvoir pour lui demander justice, obtenir une grâce, une faveur.