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Cependant Jacques n’avait pas oublié Francine: suivant les paroles de Rodolphe, il l’embrassait tous les jours sur les lèvres de Marie, et travaillait en secret à la figure qu’il voulait placer sur la tombe de la morte.

Un jour qu’il avait reçu de l’argent, Jacques acheta une robe à Marie, une robe noire. La jeune fille fut bien contente; seulement elle trouva que le noir n’était pas gai pour l’été. Mais Jacques lui dit qu’il aimait beaucoup le noir, et qu’elle lui ferait plaisir en mettant cette robe tous les jours. Marie lui obéit.

Un samedi, Jacques dit à la jeune fille:

– Viens demain de bonne heure, nous irons à la campagne.

– Quel bonheur! fit Marie. Je te ménage une surprise, tu verras; demain il fera du soleil.

Marie passa la nuit chez elle à achever une robe neuve qu’elle avait achetée sur ses économies, une jolie robe rose.

Et le dimanche elle arriva, vêtue de sa pimpante emplette, à l’atelier de Jacques.

L’artiste la reçut froidement, brutalement presque.

– Moi qui croyais te faire plaisir en me faisant cadeau de cette toilette réjouie! dit Marie, qui ne s’expliquait pas la froideur de Jacques.

– Nous n’irons pas à la campagne, répondit celui-ci, tu peux t’en aller, j’ai à travailler.

Marie s’en retourna chez elle le cœur gros. En route, elle rencontra un jeune homme qui savait l’histoire de Jacques, et qui lui avait fait la cour, à elle.

– Tiens, mademoiselle Marie, vous n’êtes donc plus en deuil? lui dit-il.

– En deuil, dit Marie, et de qui?

– Quoi! vous ne savez pas? C’est pourtant bien connu; cette robe noire que Jacques vous a donnée…

– Eh bien? dit Marie.

– Eh bien, c’était le deuil: Jacques vous faisait porter le deuil de Francine.

À compter de ce jour Jacques ne revit plus Marie.

Cette rupture lui porta malheur. Les mauvais jours revinrent: il n’eut plus de travaux et tomba dans une si affreuse misère, que, ne sachant plus ce qu’il allait devenir, il pria son ami le médecin de le faire entrer dans un hôpital. Le médecin vit du premier coup d’œil que cette admission n’était pas difficile à obtenir. Jacques, qui ne se doutait pas de son état, était en route pour aller rejoindre Francine.

On le fit entrer à l’hôpital Saint-Louis.

Comme il pouvait encore agir et marcher, Jacques pria le directeur de l’hôpital de lui donner une petite chambre dont on ne se servait point, pour qu’il pût y aller travailler. On lui donna la chambre, et il y fit apporter une selle, des ébauchoirs et de la terre glaise. Pendant les quinze premiers jours il travailla à la figure qu’il destinait au tombeau de Francine. C’était un grand ange aux ailes ouvertes. Cette figure, qui était le portrait de Francine, ne fut pas entièrement achevée, car Jacques ne pouvait plus monter l’escalier, et bientôt il ne put plus quitter son lit.

Un jour le cahier de l’externe lui tomba entre les mains, et Jacques, en voyant les remèdes qu’on lui ordonnait, comprit qu’il était perdu; il écrivit à sa famille et fit appeler la sœur Sainte-Geneviève, qui l’entourait de tous ses soins charitables.

– Ma sœur, lui dit Jacques, il y a là-haut, dans la chambre que vous m’avez fait prêter, une petite figure en plâtre; cette statuette, qui représente un ange, était destinée à un tombeau, mais je n’ai pas le temps de l’exécuter en marbre. Pourtant j’en ai un beau morceau chez moi, du marbre blanc veiné de rose. Enfin… ma sœur, je vous donne ma petite statuette pour mettre dans la chapelle de la communauté.

Jacques mourut peu de jours après. Comme le convoi eut lieu le jour même de l’ouverture du salon, les Buveurs d’eau n’y assistèrent pas. «L’art avant tout,» avait dit Lazare.

La famille de Jacques n’était pas riche, et l’artiste n’eut pas de terrain particulier. Il fut enterré quelque part.

1851