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– C'est donc quelquefois une bonne chose que d'être pauvre! dit le vicomte Maurice avec un air plein de tristesse envieuse.

– Eh! Non, fit Musette: si Marcel était riche, je ne l'aurais jamais quitté.

– Allez donc, fit le jeune homme en lui serrant la main. Vous avez mis votre nouvelle robe, ajouta-t-il, elle vous sied à merveille.

– Au fait, c'est vrai, dit Musette; c'est comme un pressentiment que j'ai eu ce matin. Marcel en aura l'étrenne. Adieu! fit-elle, je m'en vais manger un peu du pain béni de la gaieté.

Musette avait ce jour-là une ravissante toilette; jamais reliure plus séductrice n'avait enveloppé le poëme de sa jeunesse et de sa beauté. Au reste, Musette possédait instinctivement le génie de l'élégance. En arrivant au monde, la première chose qu'elle avait cherchée du regard avait dû être un miroir pour s'arranger dans ses langes; et avant d'aller au baptême, elle avait déjà commis le péché de coquetterie. Au temps où sa position avait été des plus humbles, quand elle en était encore réduite aux robes d'indienne imprimée, aux petits bonnets à pompons et aux souliers de peau de chèvre, elle portait à ravir ce pauvre et simple uniforme des grisettes. Ces jolies filles moitié abeilles, moitié cigales, qui travaillaient en chantant toute la semaine, ne demandaient à Dieu qu'un peu de soleil le dimanche, faisaient vulgairement l'amour avec le cœur, et se jetaient quelquefois par la fenêtre. Race disparue maintenant, grâce à la génération actuelle des jeunes gens: génération corrompue et corruptrice, mais par-dessus tout vaniteuse, sotte et brutale. Pour le plaisir de faire de méchants paradoxes, ils ont raillé ces pauvres filles à propos de leurs mains mutilées par les saintes cicatrices du travail, et elles n'ont bientôt plus gagné assez pour s'acheter de la pâte d'amandes. Peu à peu ils sont parvenus à leur inoculer leur vanité et leur sottise, et c'est alors que la grisette a disparu. C'est alors que naquit la lorette. Race hybride, créatures impertinentes, beautés médiocres, demi-chair, demi-onguents, dont le boudoir est un comptoir où elles débitent des morceaux de leur cœur, comme on ferait des tranches de rosbif. La plupart de ces filles, qui déshonorent le plaisir et sont la honte de la galanterie moderne, n'ont point toujours l'intelligence des bêtes dont elles portent les plumes sur leurs chapeaux. S'il leur arrive par hasard d'avoir, non point un amour, pas même un caprice, mais un désir vulgaire, c'est au bénéfice de quelque bourgeois saltimbanque que la foule absurde entoure et acclame dans les bals publics, et que les journaux, courtisans de tous les ridicules, célèbrent par leurs réclames. Bien qu'elle fût forcée de vivre dans ce monde, Musette n'en avait point les mœurs ni les allures; elle n'avait point la servilité cupide, ordinaire chez ces créatures qui ne savent lire que barême et n'écrivent qu'en chiffres. C'était une fille intelligente et spirituelle, ayant dans les veines quelques gouttes du sang de Manon; et, rebelle à toute chose imposée, elle n'avait jamais pu ni su résister à un caprice, quelles que dussent en être les conséquences.

Marcel avait été vraiment le seul homme qu'elle eût aimé. C'était du moins le seul pour qui elle avait réellement souffert, et il avait fallu toute l'opiniâtreté des instincts qui l'attiraient vers «tout ce qui rayonne et tout ce qui résonne» pour qu'elle le quittât. Elle avait vingt ans, et pour elle le luxe était presque une question de santé. Elle pouvait bien s'en passer quelque temps, mais elle ne pouvait y renoncer complétement. Connaissant son inconstance, elle n'avait jamais voulu consentir à mettre à son cœur le cadenas d'un serment de fidélité. Elle avait été ardemment aimée par beaucoup de jeunes gens pour qui elle avait eu elle-même des goûts très-vifs; et toujours elle procédait envers eux avec une probité pleine de prévoyance; les engagements qu'elle contractait étaient simples, francs et rustiques comme les déclarations d'amour des paysans de Molière. Vous me voulez bien et je vous veux aussi; tope, et faisons la noce. Dix fois, si elle eût voulu, Musette aurait trouvé une position stable, ce qu'on appelle un avenir; mais elle ne croyait guère à l'avenir, et professait à son égard le scepticisme du figaro.

– Demain, disait-elle parfois, c'est une fatuité du calendrier; c'est un prétexte quotidien que les hommes ont inventé pour ne point faire leurs affaires aujourd'hui. Demain, c'est peut-être un tremblement de terre. À la bonne heure, aujourd'hui, c'est la terre ferme.

Un jour, un galant homme, avec qui elle était restée près de six mois, et qui était devenu éperdument amoureux d'elle, lui proposa sérieusement de l'épouser. Musette lui avait jeté un grand éclat de rire au nez à cette proposition.

– Moi, mettre ma liberté en prison dans un contrat de mariage? Jamais! dit-elle.

– Mais je passe ma vie à trembler de la crainte de vous perdre.

– Vous me perdriez bien plus si j'étais votre femme, répondit Musette. Ne parlons plus de cela. Je ne suis pas libre d'ailleurs, ajouta-t-elle, en songeant sans doute à Marcel.

Ainsi elle traversait sa jeunesse, l'esprit flottant à tous les vents de l'imprévu, faisant beaucoup d'heureux et se faisant presque heureuse elle-même. Le vicomte Maurice, avec qui elle était en ce moment, avait beaucoup de peine à se faire à ce caractère indomptable, ivre de liberté; et ce fut dans une impatience oxydée de jalousie qu'il attendit le retour de Musette après l'avoir vue partir pour aller chez Marcel.

– Y restera-t-elle? Se demanda toute la soirée le jeune homme en s'enfonçant ce point d'interrogation dans le cœur.

– Ce pauvre Maurice! disait Musette de son côté, il trouve ça un peu violent. Ah! Bah! Il faut former la jeunesse. Puis, son esprit passant subitement à d'autres exercices, elle pensa à Marcel, chez qui elle allait; et, tout en passant en revue les souvenirs que réveillait le nom de son ancien adorateur, elle se demandait par quel miracle on avait mis la nappe chez lui. Elle relut, en marchant, la lettre que l'artiste lui avait écrite, et ne put s'empêcher d'être un peu attristée. Mais cela ne dura qu'un instant. Musette pensa avec raison que c'était moins que jamais l'occasion de se désoler, et comme en ce moment un grand vent venait de s'élever, elle s'écria:

– C'est bien drôle, je ne voudrais pas aller chez Marcel, que le vent m'y pousserait.

Et elle continua sa route en pressant le pas, joyeuse comme un oiseau qui revole à son premier nid.

Tout à coup la neige tomba avec abondance. Musette chercha des yeux si elle ne trouverait pas une voiture. Elle n'en rencontra point. Comme elle se trouvait précisément dans la rue où demeurait son amie Madame Sidonie, celle-là qui lui avait fait parvenir la lettre de Marcel, Musette eut l'idée d'entrer un instant chez cette femme pour attendre que le temps lui permît de continuer sa route.

Quand Musette entra chez Madame Sidonie, elle y trouva une nombreuse compagnie. On y continuait un lansquenet commencé depuis trois jours.

– Ne vous dérangez pas, dit Musette, je ne fais qu'entrer et sortir.

– Tu as reçu la lettre de Marcel? lui dit bas à l'oreille Madame Sidonie.

– Oui, répondit Musette, merci; je vais chez lui; il m'invite à dîner. Veux-tu venir avec moi? Tu t'amuseras bien.

– Eh! Non, je ne peux pas, fit Sidonie en montrant la table de jeu, et mon terme?

– Il y a six louis, dit tout haut le banquier qui tenait les cartes.

– J'en fais deux! s'écria Madame Sidonie.

– Je ne suis pas fier, je pars pour deux, répondit le banquier, qui avait déjà passé plusieurs fois. Roi et as. Je suis flambé! continua-t-il en faisant tomber les cartes, tous les rois sont morts…

– On ne parle pas politique, fit un journaliste.

– Et l'as est l'ennemi de ma famille, acheva le banquier, qui retourna encore un roi. Vive le roi! s'écria-t-il. Ma mie Sidonie, envoyez-moi deux louis.