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Elle avait susurré ça d'un ton presque languide.

– Croyez que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir…

Anita ne le crut pas plus et décida de dévier l’assaut.

– Dites-moi monsieur Boorvalt, si on abordait maintenant ce que M. Vorster avait de si capital à nous communiquer…

Boorvalt eut un sourire tout à fait instinctif secrétant un venin d'absolue fierté et de sûreté de soi, qui empoisonna l'atmosphère plus sûrement que le gros cigare cubain. Anita en eut presque la nausée.

– Je vous en prie, docteur Vorster.

Un râclement de gorge leur parvint du divan de cuir.

– Oui, Dieter… Bien, tout d'abord, comme vous l'a dit Dieter, M. Boorvalt, je suis le médecinpsychologue personnel de Mme Kristensen…

Il se racla une nouvelle fois la gorge, semblant s'accorder, comme un piano incertain.

Tiens, pensa Anita, il n'a pas prononcé le mot psychiatre, pourtant c'est ce que nous a affirmé le cabinet Huyslens… Cela p6uvait signifier que l'homme n'était pas un vrai docteur. Il n'avait d'ailleurs cité aucun titre.

– Ce que j'ai à dire est assez délicat… Certains points vont à l'encontre du secret professionnel, aussi me permettrez-vous de rester flou, concernant certains détails.

Il observa un instant le dossier qui reposait sur ses genoux, puis il le prit sous son bras et se leva péniblement, en faisant grincer quelques vieilles mécaniques arthritiques.

Il alla se poster devant l'horizon barré par les montagnes, spectacle dans lequel il sembla puiser le courage nécessaire pour continuer.

Anita décela quelque chose d'ambigu chez le vieil homme un peu voûté qui se retournait lentement vers eux en ouvrant son dossier et en ajustant ses lunettes.

– Voyez-vous, madame Van Dyke, je traite principalement Mme Kristensen, lors de séances de sophrologie et de méditation surtout, mais il m'est arrivé d'avoir à m'occuper d'Alice, la fille de Mme Kristensen.

Anita ne le questionna surtout pas. Qu'il dise tout ce qu'il avait à dire. Elle se cala plus profondément dans l'élégant fauteuil français et invita du regard Peter à en faire autant. Voyons voir ce que ce cher «Dr» Vorster avait à leur raconter.

– Il y a de cela un certain temps, environ trois ans, la petite Alice a commencé à faire des cauchemars.

Il se racla à nouveau la gorge en parcourant un passage de son rapport.

– Des rêves récurrents. Très angoissants. A de multiples reprises et à un rythme croissant qui culmina à la fin de l'année 1991, début 1992… Mon traitement a commencé à être vraiment efficace dans le courant de l'année 1992 et cet hiver les cauchemars ont cessé… Néanmoins…

Anita était vraiment impatiente de connaître la suite.

– Néanmoins, je pense pouvoir affirmer raisonnablement que cette présumée «pièce aux cassettes vidéo» dont vous faites état relève elle aussi d'un processus onirique.

Il se racla à nouveau la gorge.

– Qu'est-ce que vous entendez par là, exactement? lâcha froidement Anita.

Le vieil homme sembla chercher une formulation satisfaisante.

– Hé bien… Je veux dire par là que cette «pièce aux vidéos» est un phantasme que la personnalité troublée de cette jeune enfant a projeté sur la réalité.

– Vous êtes sérieux? Et la cassette que nous avons visionnée, c'était un phantasme aussi?

Le vieil homme eut un geste apaisant.

– Calmez-vous, je vous en prie. Non. Bien sûr. Je ne dis pas cela. Je parle de la «pièce aux videos». Ce que je dis, c'est que cette cassette s'est retrouvée accidentellement chez les Kristensen qui entreposaient effectivement des films pornographiques, qu'ils détournaient ensuite pour des projections de vidéos expérimentales et que…

Anita ouvrit la bouche pour tenter de répondre quelque chose mais se ravisa. C'est Peter qui s'en chargea, en coupant, d'un ton parfaitement détaché:

– Vidéos expérimentales? Vous parlez des trucs où une fille se fait défoncer l'anus avec un couteau électrique, c'est ça?

Il y eut une lueur indicible dans le regard que l'homme jeta furtivement à Peter. Une lueur faite d'une angoisse sourde mêlée à un étrange mélange de compassion, de dégoût et de fatalisme. Il se racla la gorge et reprit, comme si rien ne s'était passé.

– J'ai peur de m'être mal fait comprendre. Il y a effectivement un élément d'importance que je n'avais pas osé vous livrer… Le secret professionnel…

Anita le laissa se débrouiller avec sa conscience.

– Ce que je suis en mesure de vous dire c'est qu'il s'agit bien d'une projection phantasmatique, élaborée à partir de quelques éléments concrets qui s'emboîtent parfaitement dans le scénario préétabli. La pièce remplie de vidéos représente le phantasme, la cassette est l'élément de réalité.

Anita n'en croyait pas ses oreilles.

– Voyez-vous ce que je ne vous avais pas dit c'est que tous les rêves traduisent incontestablement une très mauvaise résolution du complexe d'Œdipe, qui dans le cas d'Alice a pris, ou prend, des proportions hors norme…

Voyons jusqu'à quel point les proportions vont gonfler, pensa-t-elle, légèrement ébranlée.

L'homme feuilleta quelques pages, à la recherche d'un passage qu'il entreprit de lire:

– Tous les rêves possèdent la même structure fondée autour d'une image destructrice de la Mère, dans un schéma terrifiant de lutte et de poursuite, voire de cannibalisme incestueux. Le père apparaît toujours comme un personnage lointain et mystérieux, porteur d'une cape de lumière et d'un habit de toréador, ou de marin, vers lequel Alice court désespérément, alors que sa mère la poursuit, un couteau ou une arme quelconque à la main…

Une sorte de plissement malicieux apparaissait aux coins de ses lèvres, et un éclair, presque enfantin, dans les yeux au bleu insondable.

Anita était paralysée par la diabolique précision de la mécanique analytique que le vieil homme dévoilait. Elle devinait déjà ce qui allait suivre.

Le vieil homme referma son dossier.

– Aussi, me permettrez-vous de dire ceci? Ne peut-on sérieusement se demander si cette jeune pré-adolescente fugueuse ne fait pas ce que des millions d'autres, comme elle, ont fait avant elle; transformer le rêve en réalité. Le Grand Jeu. Échapper à la Mère compétitrice et rejoindre Papa. En transformant pour de bon le phantasme en réel, la Mère en mante religieuse, à cause de cette malencontreuse cassette, qui a inopportunément réduit à néant des mois et des mois d'effort et de travail patient.

Il y avait là une dose de sincérité à laquelle Anita ne fut pas insensible. Se pourrait-il que ce vieux «docteur» en psycho machin-chose dise la verité?

– C'est ce que vous affirmeriez sous la foi du serment, dans un tribunal, docteur Vorster?

Le titre médical envoyait un message clair.

L’ homme eut un léget frémissement d'épaules, comme s'il se débarrassait d'un poids vraiment pénible à porter.

– Je dirai que c'est une théorie probable, qui explique de nombreuses choses, et que ce phénomène se retrouve plus souvent qu'on ne veut bien se l'avouer… chez de jeunes personnes de son âge, quand les parents viennent de subir un divorce. Délires névrotiques. Fugues… Et maintenant qui sait, peut-être drogues, prostitution…

– C'est ce que vous diriez, donc? Qu'il s'agit d'une élaboration névrotique due à un complexe d'Œdipe très mal résolu?

– Je dirai que c'est hautement probable, au vu des dizaines de consultations que j'ai effectuées en deux ans et demi et de la bonne trentaine de rêves que j'ai consignés, oui.

Son ton était sans appel.

Dieter Boorvalt souriait à peine, savourant son plantureux cigare.

Le vieil homme se retourna en direction des montagnes, géants d'ardoise, d'azur et de lumière.

– Bien, laissa tomber Anita, et maintenant l'un d'entre vous peut-il m'expliquer ce que Mlle Chatarjampa faisait sur cette cassette?

Le vieil homme ne broncha pas à l'évocation de la victime.