Crab légua sa fortune aux organismes de lutte contre la faim, la maladie et la pauvreté dans le monde – et, comme il était très riche, tous ces fléaux furent rapidement et définitivement éradiqués.

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Une buée légère troubla le petit miroir approché de ses lèvres. Il est vivant! Cependant, le cœur de Crab avait bel et bien cessé de battre. On refit par précaution l'expérience du miroir. La même buée légère troubla à nouveau sa surface. Il est vivant! Cependant, le corps de Crab, glacé, sans mouvement, présentait déjà les symptômes rarement trompeurs de la rigidité cadavérique la plus inflexible. Nul'n'y comprenait rien. On approcha une fois encore le miroir de ses lèvres. Une fois encore, la même buée légère troubla sa surface. Crab est vivant! Cependant, l'air dans la chambre devint vite irrespirable. Plus de doute possible. Et le corps de Crab fut porté en terre. Mais, se demande-t-on, cette buée qui jusqu'au bout troubla le petit miroir approché de ses lèvres? Le reflet de son visage.

Faut-il dire la vérité au cadavre de Crab?

Oh, bien sûr, notre affliction demeure aussi vive, mais il est tout de même réconfortant de savoir que Crab – l'esthète que nous connaissions, amateur de meubles de style – voyagera pour l'éternité dans ce cercueil magnifique, de chêne massif, verni, capitonné de satin mauve, avec ses poignées ouvragées et son crucifix de bronze.

Notre douleur reste intolérable, mais c'est une satisfaction tout de même que de voir tant de gens émus dans le convoi funèbre, un si long cortège, malgré l'hiver et la distance qui sépare la maison du cimetière, une rude ascension.

Et les quelques mots prononcés sur la tombe, qui évoquent avec tant de délicatesse notre malheureux ami et rendent hommage à ses qualités innombrables, si généreusement déployées durant toute sa vie, nous mettent un peu de baume au cœur. C'est un beau monument, sobre, comme il aurait aimé, suffisamment imposant malgré tout pour exprimer notre respect immense, notre affection éternelle, et nos regrets infinis.

Une mélancolie douce se mêle déjà à notre chagrin, qui annonce ce que sera désormais pour nous la compagnie de Crab, quand le temps aura apaisé notre douleur, son souvenir nous inspirera des sentiments délicats, subtils, de tristesse et de joie confondues, finalement assez agréables, une rêverie nouvelle distraira notre esprit de la réalité.

Nous quittons le cimetière. Rentrons. Notre pas se ralentit, nos regards se troublent, humides encore, un sourire léger flotte sur nos lèvres, peu à peu nous nous laissons aller au songe, à cette tendresse délicieuse qui nous lie maintenant à Crab, par-delà la mort, aussi nous sera-t-il difficile de cacher notre irritation, en arrivant à la maison, lorsque nous constaterons que les employés des pompes funèbres ont mal fait leur travail et que Crab gît sur le dos, les mains jointes, les yeux clos, redevenu ce cadavre importun, encombrant, qui monopolise un lit et cause tant de dérangement – nous ne serons donc jamais débarrassés de lui, si oui, comment?