Certes, elle est en démence, elle obéit à un esprit insensé, cette femme qui, ayant quitté sa ville conquise d'hier, esclave, est venue ici. Elle ne s'accoutumera point au frein qu'elle ne l'ait souillé d'une écume sanglante. Mais je ne veux pas subir l'affront de lui parler encore.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Moi, la pitié me saisit, je ne m'irrite point. Va, ô malheureuse, quitte ce char, cède à la nécessité, fais l'apprentissage de la servitude.

KASANDRA.

Strophe I.

Ô dieux! dieux! ô terre! ô Apollôn! ô Apollôn!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Pourquoi cries-tu vers Loxias? Ce n'est point un dieu qu'on invoque par des lamentations.

KASANDRA.

Antistrophe I.

Ô dieux! dieux! ô terre! ô Apollôn! ô Apollôn!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Elle invoque de nouveau par des cris désespérés le dieu qui n'écoute point les lamentations.

KASANDRA.

Strophe II.

Apollôn! Apollôn! toi qui m'entraînes! vrai Apollôn pour moi! tu m'as perdue de nouveau!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Elle semble prédire ses propres maux. L'esprit des dieux est resté en elle, bien qu'elle soit esclave.

KASANDRA.

Antistrophe II.

Apollôn, Apollôn! toi qui m'entraînes! vrai Apollôn pour moi! où m'as-tu menée? vers quelle demeure?

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Vers la demeure des Atréides. Si tu ne le sais pas, je te le dis, et c'est la vérité.

KASANDRA.

Strophe III.

Demeure détestée des dieux! Complice d'innombrables meurtres et pendaisons! Égorgement d'un mari! Sol ruisselant de sang!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

L'étrangère semble sagace comme un chien chasseur. Elle flaire les meurtres qu'elle doit découvrir.

KASANDRA.

Antistrophe III.

Certes, j'en crois ces témoins, ces enfants en pleurs, égorgés, et ces chairs rôties mangées par un père.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Certes, nous savions que tu étais divinatrice; mais nous n'avons nul besoin de divinateurs.

KASANDRA.

Strophe IV.

Hélas! dieux! Que se prépare-t-il? Quel grand et nouveau malheur médite-t-on dans ces demeures, affreux pour des proches, et sans remède? Le secours est trop loin!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Je ne comprends point ceci. Quant aux autres prophéties, je les connais; toute la ville les répète.

KASANDRA.

Antistrophe IV.

Ah! misérable! Feras-tu cela? Tu vas laver dans le bain celui qui a partagé ton lit! Comment dirai-je le reste? La chose arrivera bientôt. Elle allonge le bras et saisit de la main!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Je n'ai pas encore compris. En vérité, ce sont autant d'énigmes sous d'obscurs oracles. Je ne sais qu'en penser.

KASANDRA.

Strophe V.

Ah! ah! dieux! dieux! qu'est-ce que ceci? serait-ce quelque filet de Aidès? C'est le voile qui enveloppe les époux, l'instrument du meurtre! Érinnyes insatiables de cette race, criez lugubrement, à cause de ce meurtre horrible!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

A quelle Érinnys ordonnes-tu de pousser des cris sur cette demeure? Tes paroles ne me rendent pas joyeux. Mon sang couleur de safran a reflué vers mon cœur. C'est comme si j'avais reçu un coup de lance; c'est comme l'ombre sur les rayons d'une vie mourante. Certes, Atè est rapide.

KASANDRA.

Antistrophe V.

Hélas! hélas! voilà, voilà! Éloignez le taureau de la vache! Elle le frappe, ayant embarrassé ses cornes noires dans un voile. Il tombe dans l'eau de la baignoire, je vous le dis, dans la baignoire de la ruse et du meurtre.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Je ne me vante point d'être un habile interprète des oracles, mais je pense que ceci cache quelque malheur. Quelle prospérité les oracles ont-ils jamais prédite aux hommes? En effet, la science antique des divinateurs n'annonce que les maux et n'apporte que la terreur.

KASANDRA.

Strophe VI.

Ah! ah! malheureuse! ô mes misères lamentables! Certes, je pleure et je gémis aussi sur ma propre calamité. Pourquoi m'as-tu menée ici, moi, malheureuse! si ce n'est pour y mourir avec toi? Pourquoi, en effet?

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Es-tu tellement saisie de la fureur du souffle divin, que tu te lamentes sur toi-même en cris discordants? Ainsi le fauve rossignol, insatiable de gémissements, hélas! et passant sa vie dans les douleurs, le cœur déchiré, va, gémissant: Itys! Itys!

KASANDRA.

Antistrophe VI.

Dieux! dieux! le destin du sonore rossignol! Les dieux lui ont donné un corps ailé et une douce vie sans douleur; mais moi, ce qui m'est réservé, c'est d'être déchirée par l'épée à deux tranchants!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

D'où te viennent cette angoisse vaine et prophétique qui t'envahit, ces cris terribles et funestes, ces chants aigus? Pourquoi hantes-tu les sombres chemins de la colère divinatrice?

KASANDRA.

Strophe VII.

Ô noces, noces de Pâris, funestes aux siens! ô Skamandros, fleuve de la patrie! Alors, auprès de tes eaux, malheureuse! ma jeunesse a grandi. Maintenant, sur les bords du Kôkytos et du fleuve douloureux, je vais bientôt prophétiser!