AIGISTHOS.

Parles-tu donc si haut, toi qui es assis au dernier aviron, quand d'autres commandent et tiennent la barre de la nef? Tu sauras bientôt ce qu'il faut savoir, bien que vieux, et qu'il soit difficile d'apprendre à ton âge. Mais les chaînes et les angoisses de la faim sont, pour la vieillesse aussi, de bons maîtres et d'excellents médecins. Vois-tu maintenant? Ouvres-tu les yeux? Ne te révolte pas contre l'aiguillon, de peur d'en gémir.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Femme! c'est donc toi, gardienne des demeures, qui, ayant souillé le lit de ton mari, as médité le meurtre du chef de l'armée, à son retour de la guerre!

AIGISTHOS .

Certes, ces paroles feront que tu pleureras! Ton langage est tout différent de celui d'Orpheus. En effet, il attirait toutes choses par le charme qui venait de sa voix, et toi, tu repousses par tes doux hurlements. Une fois sous le joug, tu seras plus traitable.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Comment serais-tu maître des Argiens, toi qui, ayant médité le meurtre de cet homme, n'as pas osé le tuer de ta propre main?

AIGISTHOS .

Il est clair que c'était à une femme de l'envelopper de ruses. Moi, son ennemi depuis longtemps, j'étais suspect. Maintenant, à l'aide de ses richesses, je tenterai de commander aux Argiens. Celui qui n'obéira pas, je le dompterai rudement comme un jeune étalon furieux et rebelle au frein. La faim unie aux ténèbres horribles le verra bientôt apaisé.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Pourquoi, dans ton lâche cœur, n'as-tu pas tué seul cet homme? C'est sa femme, souillure de cette terre et de nos dieux, qui l'a tué. Orestès ne voit-il point la lumière quelque part, et, par une fortune favorable, ne reviendra-t-il point dans sa patrie pour vous châtier tous deux?

AIGISTHOS .

Puisque tu agis et parles ainsi, tu vas savoir…

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Allons, chers compagnons! le combat est proche.

AIGISTHOS.
LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Allons! que chacun tienne en main l'épée hors la gaîne.

AIGISTHOS .

Voici mon épée nue! Moi aussi, je ne fuirai pas la mort.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Tu dis que tu acceptes la mort? Prenons donc la fortune pour juge!

KLYTAIMNESTRA.

Ô le plus cher des hommes, ne causons pas de nouveaux malheurs! Cette lamentable moisson n'a été que trop abondante. Assez de calamités, ne nous baignons plus dans le sang. Allez, vieillards, mettez-vous à l'abri dans vos demeures avant d'être frappés. Nous avons fait ce qu'il fallait faire, selon la nécessité des choses. Certes, s'il faut expier notre action, c'est assez que nous subissions la colère terrible des dieux. Telle est la pensée d'une femme, si quelqu'un a souci de la connaître.

AIGISTHOS .

Ainsi, ils m'outrageraient de leur langue insensée, ils invoqueraient contre moi la colère des daimônes, et, sans nulle prudence, ils braveraient leur maître!

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Ce ne serait point agir en Argiens que de flatter un pervers.

AIGISTHOS .

Mais moi, je te châtierai quelque jour.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Non! si un dieu excite Orestès afin qu'il revienne.

AIGISTHOS .

Je sais que les exilés se repaissent d'espérances.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Engraisse-toi! Viole la justice, puisque cela t'est permis.

AIGISTHOS .

Sache que tu seras châtié de cette insolence.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Glorifie-toi, comme le coq auprès de la poule!

KLYTAIMNESTRA.

Laisse-les aboyer en vain. Toi et moi nous commanderons dans ces demeures, et nous mettrons l'ordre partout.

Les Khoèphores

ORESTÈS.

Hermès souterrain, qui tiens de ton père cette puissance, sois mon sauveur, aide-moi, je t' en supplie! Voici que je reviens dans ce pays, après un long exil, et je parle à mon père sur le tertre de sa tombe, afin qu'il m'entende et qu'il m'exauce. Cette tresse de cheveux est pour Inakhos qui m'a nourri, et cette autre est une offrande douloureuse.

Que vois-je? Quel est ce rassemblement de femmes vêtues de robes noires? Qu'est-il arrivé? Quelle calamité nouvelle est tombée sur cette demeure? Viennent elles apporter à mon père les libations qui apaisent les morts? C'est cela, et non autre chose. Il me semble voir, en effet, Èlektra, ma sœur, qui s'avance, chargée d'un grand deuil. Ô Zeus! donne-moi de venger le meurtre de mon père! Aide-moi, sois-moi propice! Pyladès, sortons du chemin, afin que je sache sûrement quelle est cette supplication de femmes.

LE CHŒUR DES KHOÈPHORES.

Strophe I.

Envoyée de la demeure, je porte des libations en me frappant cruellement de mes mains. Ma joue est ensanglantée des déchirures récentes que mes ongles y ont faites. Mon cœur se repaît sans cesse de lamentations; et, dans les transports de mes douleurs, je mets en lambeaux mes vêtements, ce péplos noir qui couvre la poitrine de celles qu'afflige une destinée mauvaise.

Antistrophe I.

Voici que la terreur, qui hérisse les cheveux, qui se révèle par les songes, soufflant la colère dans le sommeil, brusquement, pendant la nuit, terrible, a éveillé des cris au fond des demeures, en pénétrant dans la chambre des femmes. Les divinateurs des songes, sous l'étreinte des dieux, ont dit que ceux qui habitent sous la terre étaient indignés et enflammés de fureur contre les meurtriers.

Strophe II.

Ô terre, terre! Cette femme impie m'a envoyée, cherchant par une expiation vaine à détourner le malheur; mais je crains de parler. En effet, peut-on racheter le sang répandu? Ô lamentable foyer! Ô écroulement de ces demeures! Plus de lumière! Les ténèbres odieuses aux mortels ont enveloppé cette maison à la mort de ses maîtres!