Изменить стиль страницы

Il n’y avait qu’une chose à faire.

Il mit son habit passable, se noua un foulard au cou, prit son chapeau, et sortit, sans faire plus de bruit que s’il eût marché sur de la mousse avec des pieds nus.

D’ailleurs la Jondrette continuait de fourgonner dans ses ferrailles.

Une fois hors de la maison, il gagna la rue du Petit-Banquier.

Il était vers le milieu de cette rue près d’un mur très bas qu’on peut enjamber à de certains endroits et qui donne dans un terrain vague, il marchait lentement, préoccupé qu’il était, la neige assourdissait ses pas; tout à coup il entendit des voix qui parlaient tout près de lui. Il tourna la tête, la rue était déserte, il n’y avait personne, c’était en plein jour, et cependant il entendait distinctement des voix.

Il eut l’idée de regarder par-dessus le mur qu’il côtoyait.

Il y avait là en effet deux hommes adossés à la muraille, assis dans la neige et se parlant bas.

Ces deux figures lui étaient inconnues. L’un était un homme barbu en blouse et l’autre un homme chevelu en guenilles. Le barbu avait une calotte grecque, l’autre la tête nue et de la neige dans les cheveux.

En avançant la tête au-dessus d’eux, Marius pouvait entendre.

Le chevelu poussait l’autre du coude et disait:

– Avec Patron-Minette, ça ne peut pas manquer.

– Crois-tu? dit le barbu; et le chevelu repartit:

– Ce sera pour chacun un fafiot de cinq cents balles, et le pire qui puisse arriver: cinq ans, six ans, dix ans au plus!

L’autre répondit avec quelque hésitation et en grelottant sous son bonnet grec:

– Ça, c’est une chose réelle. On ne peut pas aller à l’encontre de ces choses-là.

– Je te dis que l’affaire ne peut pas manquer, reprit le chevelu. La maringotte du père Chose sera attelée.

Puis ils se mirent à parler d’un mélodrame qu’ils avaient vu la veille à la Gaîté.

Marius continua son chemin.

Il lui semblait que les paroles obscures de ces hommes, si étrangement cachés derrière ce mur et accroupis dans la neige, n’étaient pas peut-être sans quelque rapport avec les abominables projets de Jondrette. Ce devait être là l’affaire.

Il se dirigea vers le faubourg Saint-Marceau et demanda à la première boutique qu’il rencontra où il y avait un commissaire de police.

On lui indiqua la rue de Pontoise et le numéro 14.

Marius s’y rendit.

Et passant devant un boulanger, il acheta un pain de deux sous et le mangea, prévoyant qu’il ne dînerait pas.

Chemin faisant, il rendit justice à la providence. Il songea que, s’il n’avait pas donné ses cinq francs le matin à la fille Jondrette, il aurait suivi le fiacre de M. Leblanc, et par conséquent tout ignoré, que rien n’aurait fait obstacle au guet-apens des Jondrette, et que M. Leblanc était perdu, et sans doute sa fille avec lui.

Chapitre XIV Où un agent de police donne deux coups de poing à un avocat

Arrivé au numéro 14 de la rue de Pontoise, il monta au premier et demanda le commissaire de police.

– Monsieur le commissaire de police n’y est pas, dit un garçon de bureau quelconque; mais il y a un inspecteur qui le remplace. Voulez-vous lui parler? est-ce pressé?

– Oui, dit Marius.

Le garçon de bureau l’introduisit dans le cabinet du commissaire. Un homme de haute taille s’y tenait debout, derrière une grille, appuyé à un poêle, et relevant de ses deux mains les pans d’un vaste carrick à trois collets. C’était une figure carrée, une bouche mince et ferme, d’épais favoris grisonnants très farouches, un regard à retourner vos poches. On eût pu dire de ce regard, non qu’il pénétrait, mais qu’il fouillait.

Cet homme n’avait pas l’air beaucoup moins féroce ni beaucoup moins redoutable que Jondrette; le dogue quelquefois n’est pas moins inquiétant à rencontrer que le loup.

– Que voulez-vous? dit-il à Marius, sans ajouter monsieur.

– Monsieur le commissaire de police?

– Il est absent. Je le remplace.

– C’est pour une affaire très secrète.

– Alors parlez.

– Et très pressée.

– Alors, parlez vite.

Cet homme, calme et brusque, était tout à la fois effrayant et rassurant. Il inspirait la crainte et la confiance. Marius lui conta l’aventure. – Qu’une personne qu’il ne connaissait que de vue devait être attirée le soir même dans un guet-apens; – qu’habitant la chambre voisine du repaire il avait, lui Marius Pontmercy, avocat, entendu tout le complot à travers la cloison; – que le scélérat qui avait imaginé le piège était un nommé Jondrette; – qu’il aurait des complices, probablement des rôdeurs de barrières, entre autres un certain Panchaud, dit Printanier, dit Bigrenaille; – que les filles de Jondrette feraient le guet; – qu’il n’existait aucun moyen de prévenir l’homme menacé, attendu qu’on ne savait même pas son nom; – et qu’enfin tout cela devait s’exécuter à six heures du soir au point le plus désert du boulevard de l’Hôpital, dans la maison du numéro 50-52.

À ce numéro, l’inspecteur leva la tête, et dit froidement:

– C’est donc dans la chambre du fond du corridor?

– Précisément, fit Marius, et il ajouta: – Est-ce que vous connaissez cette maison?

L’inspecteur resta un moment silencieux, puis répondit en chauffant le talon de sa botte à la bouche du poêle:

– Apparemment.

Il continua dans ses dents, parlant moins à Marius qu’à sa cravate:

– Il doit y avoir un peu de Patron-Minette là dedans.

Ce mot frappa Marius.

– Patron-Minette, dit-il. J’ai en effet entendu prononcer ce mot-là.

Et il raconta à l’inspecteur le dialogue de l’homme chevelu et de l’homme barbu dans la neige derrière le mur de la rue du Petit-Banquier.

L’inspecteur grommela:

– Le chevelu doit être Brujon, et le barbu doit être Demi-Liard, dit Deux-Milliards.

Il avait de nouveau baissé les paupières, et il méditait.

– Quant au père Chose, je l’entrevois. Voilà que j’ai brûlé mon carrick. Ils font toujours trop de feu dans ces maudits poêles. Le numéro 50-52. Ancienne propriété Gorbeau.

Puis il regarda Marius.

– Vous n’avez vu que ce barbu et ce chevelu?