Изменить стиль страницы

– Ici, vous! dit Baldwin à McMurdo. Vous resterez en bas devant la porte et vous veillerez à ce que la route soit libre et dégagée pour notre sortie. Les autres, accompagnez-moi! Ne craignez rien, les garçons, car nous avons une douzaine de témoins qui certifieront que nous nous trouvons en ce moment au bar de la maison syndicale.

Il était presque minuit. La rue était déserte. Le groupe traversa la chaussée et, après avoir poussé la porte des bureaux du journal, Baldwin et ses hommes se ruèrent dans l'escalier qui leur faisait face. McMurdo et un autre étaient restés en bas: ils entendirent au premier étage un cri, un appel au secours, des bruits de pas et un fracas de chaises. Un instant plus tard, un homme aux cheveux gris se précipita sur le palier. Avant de pouvoir aller plus loin, il fut empoigné et ses lunettes tombèrent aux pieds de McMurdo. Le bruit sourd d'une chute fut suivi d'un gémissement. Il demeura étendu la face contre terre. Une demi-douzaine de bâtons s'abattirent sur son dos. Il se tortillait, ses longs membres minces tremblaient sous les coups. Ses agresseurs s'arrêtèrent enfin; seul Baldwin, avec un sourire de dément, s'acharna sur la tête de la victime, qui essayait de se protéger avec ses mains. Des taches de sang apparurent parmi ses cheveux blancs. Baldwin, penché au-dessus du vieillard, ajustait un dernier coup qui l'aurait sans doute achevé, quand McMurdo grimpa l'escalier et l'écarta.

– Vous allez le tuer! dit-il. Assez!

Baldwin le considéra avec stupéfaction.

– Allez-vous-en au diable! cria-t-il. Qu'est-ce qui vous prend, vous qui êtes nouveau à la loge? Reculez!

Il leva son gourdin. Mais McMurdo avait déjà sorti son revolver.

– Reculez vous-même! cria-t-il. Si vous portez la main sur moi, je vous brûle la cervelle. Quant à la loge, le chef de corps n'a-t-il pas commandé que Stanger ne soit pas mis à mort? Or vous, que faites-vous sinon le tuer?

– C'est vrai, ce qu'il dit! approuva l'un des garçons.

– Vous feriez bien de vous dépêcher! cria l'homme de faction au rez-de-chaussée. Les fenêtres s'allument; vous allez avoir toute la ville à vos trousses.

De fait, on entendait des cris au-dehors, et un petit groupe de typographes et linotypistes se rassemblait dans le couloir pour passer à la contre-attaque. Laissant le corps inanimé du rédacteur en chef en haut des marches, les criminels descendirent quatre à quatre et s'enfuirent dans la rue. Quand ils eurent atteint la maison syndicale, quelques-uns se mêlèrent à la foule des clients pour chuchoter à l'oreille de McGinty que le travail avait été fait. D'autres, dont McMurdo, s'égaillèrent dans de petites rues pour rentrer chez eux.

CHAPITRE IV La vallée de la peur

Quand McMurdo s'éveilla le lendemain, il se rappela immédiatement qu'il avait été initié à la loge: la quantité d'alcool qu'il avait bu lui avait donné la migraine, et son bras, à l'endroit où il avait été marqué au fer chaud, était brûlant et enflé. Comme il avait ses revenus personnels, il ne travaillait qu'irrégulièrement; ce matin-là, il prit fort tard son petit déjeuner et ne bougea pas de chez lui. Il écrivit une longue lettre à un ami. Puis il parcourut le Herald. Dans une «dernière heure», il lut: «Agression contre les bureaux du Herald. Le rédacteur en chef grièvement blessé». Suivait un bref compte rendu des faits qu'il connaissait mieux que quiconque. L'article se terminait ainsi:

«L'affaire est maintenant commise aux soins de la police. Mais on peut à peine espérer que ses efforts soient couronnés d'un plus grand succès que par le passé. Certains agresseurs ont été reconnus; une condamnation devrait intervenir. À l'origine de cet attentat, faut-il le préciser, on retrouve cette société infâme qui tient la ville en esclavage depuis si longtemps, et contre laquelle le Herald a pris nettement position. Les nombreux amis de M. Stanger se réjouiront d'apprendre que, bien qu'il ait été frappé avec une sauvagerie cruelle et qu'il porte de nombreuses blessures à la tête, sa vie n'est pas en danger immédiat.»

Au-dessous de l'article, un entrefilet annonçait qu'une garde fournie par la police du charbon et du fer, armée de winchesters, assurerait désormais la défense des bureaux.

McMurdo avait rejeté le journal et il était en train d'allumer une pipe d'une main mal assurée quand on frappa à sa porte; la logeuse lui apportait un billet qu'un jeune garçon venait de lui remettre pour son pensionnaire. Non signé, il était conçu en ces termes:

Je voudrais vous parler, mais je préférerais que ce soit hors de chez vous. Vous me trouverez à côté du mât du drapeau au haut de Miller Hill. Si vous venez maintenant, je vous dirai quelque chose d'important pour vous et pour moi.

McMurdo lut et relut ce billet avec la plus vive surprise, car il ne pouvait deviner ce qu'il signifiait ni qui en était l'auteur. S'il avait été rédigé par une main de femme, il aurait pu supposer que c'était le commencement de l'une de ces aventures dont il avait été friand. Mais c'était une écriture masculine, et même l'écriture d'un homme instruit. Il hésita puis décida qu'il éclaircirait l'affaire.

Miller Hill est un jardin public mal tenu en plein centre de la ville. En été, les promeneurs y sont nombreux, mais en hiver il est peu fréquenté. D'en haut, on a une bonne vue non seulement sur toute la ville, mais sur la vallée. McMurdo gravit l'allée qui conduisait au restaurant désert en cette saison. À côté du restaurant il y avait un mât, et au pied du mât un homme au chapeau rabattu sur les yeux et au col de manteau relevé. Quand il se tourna vers lui, McMurdo le reconnut: c'était le frère Morris, qui la veille au soir avait encouru les foudres du chef de corps. Ils échangèrent entre eux le salut de la loge.

– Je désirais vous dire deux mots, monsieur McMurdo, commença le vieil homme sur un ton hésitant qui montrait qu'il se mouvait sur un terrain délicat. Je vous remercie d'être venu.

– Pourquoi n'avez-vous pas signé votre billet?

– Il faut être prudent, monsieur. On ne sait jamais, par les temps qui courent, les conséquences de la moindre des choses. On ne sait jamais non plus à qui se fier.

– On peut tout de même se fier aux frères de la loge?

– Non, non! Pas toujours! cria Morris avec véhémence. Quoi que nous disions, quoi que nous pensions même, tout revient à ce McGinty.

– Écoutez-moi bien! déclara McMurdo avec fermeté. Ce n'est qu'hier soir, vous le savez bien, que j'ai juré fidélité à notre chef de corps. Me demanderiez-vous aujourd'hui de me parjurer?

– Si c'est ainsi que vous prenez les choses, murmura tristement Morris, je vous répondrai seulement que je suis désolé de vous avoir dérangé. Les choses en sont arrivées à une bien mauvaise passe si deux Hommes libres ne peuvent pas se communiquer l'un à l'autre leurs pensées.

McMurdo, qui avait surveillé attentivement son interlocuteur, se détendit un peu.

– Bien entendu, je ne parlais que pour moi, dit-il. Je suis un nouveau, vous ne l'ignorez pas, et je ne sais rien. Ce n'est pas à moi d'ouvrir la bouche, monsieur Morris, mais si vous croyez utile de me dire quelque chose, je suis venu ici pour vous écouter.