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– Quant à moi, dis-je, je suis convaincu qu'il existe une complicité entre ces deux personnes. Il faut qu'elle n'ait vraiment pas de cœur pour rire quelques heures après la mort de son mari!

– En effet. Elle ne se conduit guère comme une bonne épouse, et pendant sa déposition elle paraissait bien froide. Je ne suis pas un admirateur forcené du sexe faible, comme vous le savez, Watson, mais si j'en juge par mon expérience de la vie, peu de femmes éprouvant le moindre sentiment à l'égard de leur mari auraient accepté qu'une simple parole les éloignât du cadavre dudit mari. Si je me marie un jour, Watson, j'espère inspirer à ma femme un sentiment qui lui interdira de se laisser emmener par la femme de chambre quand mon cadavre sera à quelques mètres. Là, la mise en scène a été mauvaise, car le plus nul des enquêteurs serait frappé par l'absence des habituelles lamentations féminines. À défaut d'autre chose, cet incident m'aurait suggéré une entente délictueuse préalablement conclue.

– Vous pensez donc, en définitive, que Barker et Mme Douglas sont coupables du meurtre?

– Il y a dans vos questions, Watson, une consternante absence de nuances! soupira Holmes en me menaçant de sa pipe. Elles m'arrivent comme autant de boulets de canon. Si vous voulez dire que Mme Douglas et Barker connaissent la vérité sur le crime et s'entendent pour la cacher, alors je puis vous répondre avec certitude: oui. Mais votre conclusion, beaucoup plus terrible, ne me paraît pas tout à fait aussi démontrée. Examinons un instant les difficultés que nous avons à surmonter en chemin.

» Supposons que ce couple; soit uni par les liens d'un amour coupable, que Barker et Mme Douglas aient décidé de se débarrasser de l'homme qui est leur suprême obstacle. C'est une supposition audacieuse, car une enquête discrète auprès des domestiques et des gens du pays ne permet absolument pas de l'établir. Au contraire, tout semble indiquer que les Douglas étaient très unis.

– De cela je suis sûr, que non, dis-je en me rappelant le beau visage souriant que j'avais vu dans le jardin.

– Au moins ils donnaient cette impression. Supposons par conséquent que le couple coupable était extraordinairement astucieux, suffisamment pour tromper tout le monde et pour conspirer la mort du mari. Il se trouve que celui-ci, sur la tête duquel planait un certain danger…

– Hypothèse qui nous a été suggérée par eux seuls!

Holmes réfléchit.

– Je vois, Watson. Vous êtes en train de bâtir une théorie selon laquelle tout ce qu'ils disent est faux depuis le commencement. Selon vous, il n'y a jamais eu de menace latente ni de société secrète, ni de vallée de la peur, ni de chef de corps M. Je-ne-sais-qui. Considérons ce que nous apportent vos dénégations. Ils inventent cette théorie pour expliquer le crime. Puis ils ont l'idée de laisser une bicyclette dans le parc afin de prouver l'existence d'un étranger. La tache sur l'appui de la fenêtre participe de la même idée. De même, le carton sur le cadavre, qui aurait pu être préparé au manoir. Tout cela cadre avec votre hypothèse, Watson. Mais maintenant nous tombons sur le mauvais angle, sur des bouts de faits qui ne cadrent plus. Pourquoi un fusil scié? Et pourquoi un fusil américain? Comment auraient-ils pu avoir la certitude que le coup de feu ne serait entendu de personne? C'est pur hasard, en effet, que Mme Allen ne soit pas sortie de sa chambre à cause de cette porte qui aurait claqué. Pourquoi votre couple coupable aurait-il agi de la sorte, Watson?

– J'avoue que je ne peux pas l'expliquer.

– Et puis, si une femme et son amant s'entendent pour tuer le mari, vont-ils afficher leur crime en retirant son alliance après sa mort? Est-ce une éventualité probable, Watson?

– Non.

– Et encore ceci: si vous aviez eu l'idée de laisser une bicyclette dissimulée à l'extérieur, ne l'auriez-vous pas écartée en réfléchissant que le détective le plus obtus dirait tout naturellement qu'il lait d'une feinte, puisque la bicyclette était la première chose dont le fugitif avait besoin pour réussir sa fuite?

– Je ne conçois pas d'explications.

– Et cependant aucune combinaison d'événements n'échappe à l’explication humaine. Une sorte d'exercice mental, sans aucune garantie de vérité, m'indique une ligne possible qui correspond aux faits. C'est, je le confesse, un travail de pure imagination; mais combien de fois l'imagination ne s'est-elle pas révélée mère de la vérité?

» Supposons qu'il existait un secret coupable, un secret réellement honteux, dans la vie de ce Douglas. Cela aboutit à son assassinat par quelqu'un de l'extérieur, je suppose un vengeur. Ce vengeur, pour un certain motif que j'avoue être encore impuissant à préciser, a subtilisé l'alliance du mort. La vendetta pourrait raisonnablement remonter au premier mariage de Douglas, ce qui justifierait le vol de l'alliance. Avant que ce vengeur ait pu fuir, Barker et Mme Douglas sont entrés dans le bureau. L'assassin a pu les convaincre que son arrestation entraînerait la publication d'un scandale abominable. Ils se sont ralliés à cette idée et ont préféré le laisser fuir. Dans ce but, ils ont probablement abaissé le pont-levis, ce qu'ils pouvaient faire sans bruit, et ils l'ont relevé ensuite. L'assassin a donc pu s'échapper et, pour une raison que j'ignore, il a pensé qu'il valait mieux partir à pied qu'à bicyclette. Il a donc laissé son vélo là où celui-ci ne risquait pas d'être découvert avant qu'il ait pris du champ. Jusque-là nous sommes dans les limites du possible, non?

– C'est possible, sans doute! répondis-je sans conviction.

– Nous devons nous rappeler, Watson, que ce qui s'est passé sort à coup sûr du banal. Reprenons mon hypothèse. Le couple, pas forcément un couple coupable, réalise après le départ du criminel qu'il s'est placé dans une situation délicate: car comment prouver qu'ils n'ont pas tué ou qu'ils n'étaient pas de connivence avec le criminel? Rapidement, et assez maladroitement, ils ont arrêté leurs décisions. Barker a placé l'empreinte de sa pantoufle tachée de sang sur l'appui de la fenêtre pour suggérer le mode d'évasion du meurtrier. De toute évidence eux seuls avaient entendu la détonation: ils ont donc donné l'alarme, mais une bonne demi-heure après l'événement.

– Et comment vous proposez-vous de prouver tout cela?

– D'abord, s'il s'agit d'un étranger, je ne désespère pas qu'il soit arrêté. Ce qui serait la meilleure des preuves. Mais sinon… Eh bien! les ressources de la science sont loin d'être épuisées! Je pense qu'une soirée seul dans ce bureau m'aiderait beaucoup.

– Une soirée là-bas tout seul!

– J'ai l'intention d'y aller tantôt. J'ai tout arrangé avec l'estimable Ames. Je m'assoirai dans cette pièce dont l'atmosphère, m'inspirera peut-être. Je crois dans le genius loci. Vous souriez, ami Watson? Eh bien! nous verrons, À propos, vous avez bien votre gros parapluie ici, n'est-ce pas?

– Il est là.

– Je vais donc vous l'emprunter, si vous le permettez.

– Certainement. Mais… Quelle mauvaise arme! Si un danger se présente…