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– Un autre détail maintenant, dit l'inspecteur MacDonald. Vous avez rencontré M. Douglas dans une pension de famille de Londres, n'est-ce pas, et vous vous êtes fiancés dans la capitale. Ce mariage comportait-il un élément secret ou mystérieux? Un élément romanesque?

– Du romanesque? Il y en a eu. Il y a toujours du romanesque. Il n'y a rien eu de mystérieux.

– Avait-il un rival?

– Non. J'étais entièrement libre.

– Vous avez appris, naturellement, l'enlèvement de son alliance. Ce fait vous suggère-t-il un indice quelconque? En supposant que l'un de ses anciens adversaires l'ait pisté jusqu'ici et ait commis le crime, à quel motif aurait-il obéi en lui retirant son alliance?

Pendant un instant, j'aurais juré avoir vu l'ombre d'un sourire flotter autour des lèvres de Mme Douglas.

– Je n'en sais rigoureusement rien, répondit-elle. C'est tout à fait extraordinaire.

– Eh bien! nous ne vous retiendrons pas plus longtemps; et nous regrettons vivement de vous avoir infligé cet ennui à un moment pareil! dit l'inspecteur. Sans doute reste-t-il encore différents points à examiner, mais nous pourrons toujours faire appel à vous le cas échéant.

Elle se leva, et je surpris encore une fois le regard interrogateur qu'elle porta sur notre groupe. «Quelle impression vous a fait ma déposition?» Elle aurait pu aussi bien le demander à haute voix. Puis elle quitta la salle à manger.

– Une belle femme! Une très belle femme! murmura pensivement MacDonald dès la porte refermée. Ce Barker a longtemps vécu ici. C'est un homme qui plaît aux femmes. Il a admis que Douglas était jaloux; peut-être sa jalousie n'était-elle pas dépourvue de fondement. Et puis il y a cette alliance. Nous ne pouvons pas négliger cela. L'homme qui arrache à un cadavre son alliance… Qu'en pensez-vous, monsieur Holmes?

Mon ami était assis, la tête reposant sur ses mains, perdu dans ses pensées. Il se leva et sonna.

– Ames, dit-il quand entra le maître d'hôtel, où est maintenant M. Cecil Barker?

– Je vais voir, monsieur.

Il revint quelques instants plus tard pour annoncer que M. Barker était dans le jardin.

– Pouvez-vous vous rappeler, Ames, comment était chaussé M. Barker la nuit dernière quand vous l'avez retrouvé dans le bureau?

– Oui, monsieur Holmes. Il avait des pantoufles. Je lui ai apporté des souliers quand il est sorti pour aller prévenir la police.

– Où sont ces pantoufles maintenant?

– Elles sont encore sous la chaise du vestibule.

– Très bien, Ames. Il est, vous comprenez, très important pour nous de pouvoir distinguer entre les traces qu'a pu laisser M. Barker et celles de quelqu'un de l'extérieur.

– Oui, monsieur. Je puis vous dire que j'avais remarqué qu'elles étaient tachées de sang; mais les miennes aussi.

– C'est bien normal, étant donné l'état du bureau! Très bien, Ames. Nous sonnerons si nous avons besoin de vous.

Quelques minutes plus tard, nous étions de retour dans le bureau. Holmes avait ramassé les pantoufles dans le vestibule. Comme Ames l'avait déclaré, elles étaient rouges de sang.

– Bizarre! murmura Holmes en se tenant devant la fenêtre pour les examiner attentivement. Très bizarre en vérité!

Il se baissa avec un geste souple de félin et plaça la pantoufle sur la tache de sang de l'appui. Elle correspondait exactement. Il sourit en regardant ses collègues.

L'inspecteur fut bouleversé, surexcité.

– Mon cher, s'écria-t-il, il n'y a aucun doute. Barker a placé lui-même une empreinte sur la fenêtre. Elle est nettement plus large qu'une empreinte ordinaire. Je me rappelle que vous avez dit que c'était un pied plat; voilà l'explication. Mais quel jeu joue-t-il, Monsieur Holmes? Quel jeu joue-t-il?

– Hé! oui. Quel jeu joue-t-il? répéta mon ami en réfléchissant.

White Mason émit un petit rire et se frotta les mains avec une satisfaction toute professionnelle.

– Je vous avais prévenus! s'écria-t-il. Du fil à retordre! Et un drôle de fil, celui-là!

CHAPITRE VI Une lueur naissante

Les trois détectives ayant à vérifier de nombreux points de détail, je décidai de rentrer seul dans nos appartements du village. Mais auparavant je voulus faire le tour du jardin qui flanquait le manoir. Entouré par des ifs vénérables, il contenait une belle pelouse au centre de laquelle était placé un antique cadran solaire; son aspect reposant avait de quoi détendre mes nerfs. Dans cette ambiance profondément paisible, il devenait possible d'oublier (ou de s'en souvenir seulement comme d'un cauchemar fantastique) ce sombre bureau et le cadavre étendu, souillé de sang, sur le plancher. Et pourtant, pendant que j'essayais d'y rafraîchir mon âme, un incident imprévu reporta mes pensées vers la tragédie et m'impressionna fâcheusement.

J'ai dit que des massifs d'ifs cernaient le jardin. Du côté le plus éloigné du manoir ils s'épaississaient pour former une haie continue. Derrière cette haie, dissimulé aux regards des promeneurs venant du manoir, il y avait un banc de pierre. M'en approchant, je perçus le bruit d'une phrase prononcée par la voix grave d'un homme et, en réponse, un petit rire aigu féminin. Un moment plus tard j'avais contourné la haie, et je vis Mme Douglas et Barker. La physionomie de Mme Douglas me stupéfia. Dans la salle à manger, elle s'était montrée grave et réservée. À présent, tout simulacre de chagrin avait disparu. Ses yeux pétillaient de la joie de vivre, et son visage frémissait encore du plaisir amusé qu'avait provoqué la phrase de son compagnon. Lui était assis, penché en avant, les mains jointes et les coudes sur les genoux; un sourire éclairait son fier visage viril. Dès qu'ils me virent, mais un peu tard, ils reprirent un air solennel. Ils se chuchotèrent quelques mots brefs; puis Barker se leva et se dirigea vers moi.

– Excusez-moi, monsieur, dit-il. N'est-ce pas au docteur Watson que j'ai l'honneur de parler?…

Je saluai avec une froideur qui dût devoir lui montrer, je pense, l'impression que j'avais ressentie.

– … Nous pensions que c'était vous, dont l'amitié avec M. Sherlock Holmes est notoire. Auriez-vous l'obligeance de venir par ici? Mme Douglas désirerait vous dire deux mots.

Je le suivis en fronçant le sourcil. J'avais encore en mémoire l'image du mort défiguré sur le plancher. Or, à quelques heures de la tragédie, sa femme et son meilleur ami riaient ensemble derrière un buisson dans le jardin qui lui avait appartenu. Je saluai Mme Douglas avec réserve. J'avais sympathisé avec le chagrin qu'elle avait manifesté dans la salle à manger. À présent j'affrontais son visage implorant d'un œil inexpressif.

– Je crains que vous ne me considériez comme une femme sans cœur? me dit-elle.