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Il voulut se jeter au cou de Petchorin, mais celui-ci, assez froidement, et cependant avec un bienveillant sourire, lui tendit la main. Le capitaine resta un moment stupéfait, et puis prit avidement cette main dans les siennes; il ne pouvait encore parler.

– Comme je suis content de vous voir, mon cher Maxime! mais comment vous portez-vous? dit Petchorin.

– Mais toi! Mais vous! murmura le vieillard, avec des larmes dans les yeux, que d’années! que de jours! mais, où allez-vous?

– Je vais en Perse et plus loin.

– Est-il possible! maintenant? Mais attendez un peu, mon ami! vous ne pouvez pas nous quitter tout de suite. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes vus!

– Il le faut, Maxime, fut sa réponse.

– Mon Dieu! Mon Dieu! mais pourquoi tant se hâter? Je voudrais vous dire tant de choses, et tant vous en demander? Mais êtes-vous en congé? que faisiez-vous?

– Je m’ennuyais! dit Petchorin en souriant.

– Mais ne vous souvenez-vous plus de notre séjour dans la forteresse? votre passion pour la chasse! Vous étiez un intrépide chasseur! et Béla?

Petchorin pâlit légèrement et se retourna.

– Oui je m’en souviens, dit-il en bâillant presque malgré lui.

Maxime se mit alors à le prier de rester encore deux heures avec nous.

– Nous dînerons parfaitement, dit-il; j’ai deux faisans et le vin de Kaketinski est excellent ici, ce n’est pas le même qu’en Géorgie, et c’est le meilleur crû. Nous causerons; et vous me raconterez votre existence à Pétersbourg, n’est-ce pas?

– Vraiment je n’ai rien à raconter, mon cher Maxime… Adieu! Il faut que je me hâte!… je vous remercie de ne pas m’avoir oublié!… ajouta-t-il en lui pressant la main.

Le vieillard fronça le sourcil!… il était bien triste et bien affecté, quoiqu’il s’efforçât de le cacher.

– Oublier! s’écria-t-il; non! je n’ai rien oublié! Mais que Dieu vous accompagne! Je ne croyais pas que nous nous rencontrerions ainsi!…

– Mais c’est assez! c’est assez! dit Petchorin, en l’embrassant amicalement: Est-il possible que je ne sois plus le même? Qu’y faire? chacun suit son chemin! Nous sera-t-il donné de nous rencontrer encore? Dieu le sait!

En disant cela il s’était déjà mis en voiture et le postillon rassemblait ses rênes.

– Arrête! arrête! lui cria soudain Maxime, en se cramponnant à la portière de la calèche; Grégoire, vous avez sans doute oublié que vos papiers sont restés chez moi? je les ai conservés; je pensais vous trouver en Géorgie et voilà que Dieu nous a fait nous retrouver ici; que dois-je en faire?

– Ce que vous voudrez; dit Petchorin; adieu!

– Ainsi vous allez en Perse? et quand reviendrez-vous? lui cria Maxime en le suivant.

La calèche était déjà loin et Petchorin faisait de la main un signe qui pouvait se traduire de la façon suivante: C’est impossible! Il le faut et je ne sais pourquoi.

Dans le lointain, le son des grelots devenait déjà, moins distinct ainsi que le bruit des roues sur les cailloux du chemin, que le pauvre vieillard était encore debout à la même place et enfoncé dans une sombre rêverie.

Il me dit enfin, s’efforçant de prendre un visage plus gai, tandis que des larmes de dépit mouillaient de temps en temps ses paupières:

– Nous étions bons amis, cependant. Mais que sont les amis de maintenant! que pouvait-il trouver auprès de moi? Je ne suis ni riche, ni haut placé, et j’ai le double de son âge! Mais voyez quel petit maître il est devenu pendant son nouveau séjour à Pétersbourg! quelle voiture! que de bagages! quels laquais insolents.

Ces paroles étaient dites avec un sourire ironique:

– Dites-moi? continua-t-il en se tournant vers moi, quel démon le pousse maintenant vers la Perse? En vérité, c’est drôle; je sais que c’est un homme léger sur lequel il est impossible de compter; mais vraiment ce serait regrettable de le voir mal finir, et il est impossible qu’il en soit autrement! Je lui disais toujours que c’était mal d’oublier de vieux amis.

Il se retourna afin de cacher son agitation et alla vers la porte auprès de sa voiture, dont il me parut à peine voir les roues, tellement ses yeux s’étaient en ce moment remplis de larmes.

– Maxime, lui dis-je en m’approchant de lui; quels sont donc les papiers que vous a laissés Petchorin?

– Ah! Dieu le sait! quelques récits.

– Mais qu’en ferez-vous?

– Ce que j’en ferai, mais j’en ferai des cartouches!

– Donnez-les moi, cela vaut mieux?

Il me regarda avec étonnement, et en murmurant entre ses dents se mit à fouiller dans sa valise. Il en tira un cahier et le jeta à terre avec mépris, puis d’autres, trois, dix eurent le même sort. Dans son chagrin, il avait quelque chose d’un enfant; cela me paraissait triste et plaisant à la fois.

– Les voilà tous, dit-il, je vous félicite de leur trouvaille.

– Et j’en puis faire tout ce que je voudrai?

– Même les faire imprimer dans les journaux; ce n’est pas mon affaire! Suis-je son ami, son parent? En vérité, nous avons vécu longtemps sous le même toit; mais il y en a tant avec lesquels j’ai vécu!

Je pris les papiers et me dépêchai de les emporter de peur que le capitaine ne se repentît de me les avoir donnés. On vint nous prévenir que l’occasion repartait dans une heure; j’ordonnai d’atteler. Le capitaine entra dans la chambre lorsque je mettais déjà mon chapeau et il me sembla ne pas se préparer au départ. Il paraissait tout contraint et avait le regard froid.

– Mais vous, Maxime, est-ce que vous ne partez pas?

– Non!

– Et pourquoi?

– Je n’ai pas encore vu le commandant et je dois régler quelques affaires de service avec lui.

– Mais vous êtes allé chez lui?

– Oui, j’y suis allé effectivement dit-il, en hésitant; mais il n’y était pas et je ne l’ai pas attendu.

Je le compris… Le pauvre vieillard, pour la première fois de sa vie, avait retardé une affaire de service pour ses intérêts personnels comme on dit en termes de métier, et voilà comment il en était récompensé?

– Je regrette, lui dis-je, je regrette beaucoup qu’il faille nous séparer avant la fin du voyage.

– Ah bah! nous sommes, nous, de vieux incivilisés qui ne pouvons aller de pair avec vous. Vous êtes des jeunes gens du monde, fiers, et cependant sous les balles vous marchez à nos côtés; mais ensuite lorsque nous vous rencontrons, vous rougissez de tendre la main à vos compagnons d’armes.