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[21] Rien n'est impossible: il y a des voies qui conduisent à toutes choses; et si nous avions assez de volonté, nous aurions toujours assez de moyens (max. 243, I 265 et 272, Ier état).

[22] La pitié est un sentiment de nos propres maux dans un sujet étranger; c'est une prévoyance habile des malheurs où nous pouvons tomber, qui nous fait donner des secours aux autres pour les engager à nous les rendre dans de semblables occasions: de sorte que les services que nous rendons à ceux qui sont accueillis de quelque infortune, sont à proprement parler des biens anticipés que nous nous faisons (max. 264, I 287).

[23] Celui-là n'est pas raisonnable qui trouve la raison, mais celui qui la connaît, qui la goûte, et qui la discerne (max. 105, I 115).

[24] Nous avouons nos défauts pour réparer le préjudice qu'ils nous font dans l'esprit des autres par l'impression que nous leur donnons de la justice du nôtre (max. 184, I 193).

[25] L'humilité est une feinte soumission, que nous employons pour soumettre effectivement tout le monde. C'est un mouvement de l'orgueil par lequel il s'abaisse devant les hommes pour s'élever sur eux. C'est son plus grand déguisement, et son premier stratagème; et comme il est sans doute que le Protée des fables n'a jamais été, il est certain aussi que l'orgueil en est un véritable dans la nature, car il prend toutes les formes comme il lui plaît. Mais quoiqu'il soit merveilleux et agréable à voir dans toutes ses figures et dans toutes ses industries, il faut pourtant avouer qu'il n'est jamais si rare, ni si extraordinaire, que lorsqu'on le voit les yeux baissés, sa contenance modeste et reposée, ses paroles douces et respectueuses, pleines de l'estime des autres et de dédain pour lui-même: il est indigne de tous les honneurs, il est incapable d'aucun emploi, et ne reçoit les charges où l'on l'élève que comme un effet de la bonté des hommes, et de la faveur aveugle de la fortune (max. 254, I 277).

[26] La modération dans la bonne fortune n'est que la crainte de la honte qui suit l'emportement ou la peur de perdre ce que l'on a. C'est le calme de notre humeur adoucie par la satisfaction de l'esprit; c'est aussi la crainte du blâme et du mépris qui suivent ceux qui s'enivrent de leur bonheur; c'est une vaine ostentation de la force de notre esprit; et enfin, pour la définir intimement, la modération des hommes dans leurs plus hautes élévations, c'est une ambition de paraître plus grands que les choses qui les élèvent (MS 3 et max. 17-18, I 18-19-20).

[27] Qui ne rirait de cette vertu et de l'opinion qu'on a conçue d'elle? Elle n'a garde, ainsi qu'on le croit, de combattre et de soumettre l'ambition, puisque jamais elles ne se peuvent trouver ensemble, la modération n'étant véritablement qu'une paresse, une langueur, et un manque de courage: de manière qu'on peut justement dire que la modération est la bassesse de l'âme, comme l'ambition en est l'élévation (max. 293, I 17).

[28] La chasteté des femmes est l'amour de leur réputation et de leur repos (max. 205, I 217).

[29] Il n'y a point de libéralité, et ce n'est que la vanité de donner que nous aimons mieux que ce que nous donnons (max. 263, I 286).

[30] La sobriété est l'amour de la santé, ou l'impuissance de manger beaucoup (MS 24, I 135).

[31] La fidélité est une invention rare de l'amour-propre par laquelle l'homme, s'érigeant en dépositaire des choses précieuses, se rend lui-même infiniment précieux. De tous les trafics de l'amour-propre, c'est celui où il fait moins d'avance et de plus grands profits. C'est un raffinement de sa politique, car il engage les hommes par leur liberté et par leur vie (qu'ils sont forcés de confier en quelques occasions) à élever l'homme fidèle au-dessus de tout le monde (max. 247, I 269).

[32] L'éducation qu'on donne aux princes est un second amour-propre qu'on leur inspire (max. 261, I 284, Ier état).

[33] Notre repentir ne vient point de nos actions, mais du dommage qu'elles nous causent (max. 180, I 189).

[34] Il est bien malaisé de distinguer la bonté répandue et générale pour tout le monde de la grande habileté (MS 44, I 252).

[35] Qui considérera superficiellement tous les effets de la bonté qui nous fait sortir de nous-mêmes, et qui nous immole continuellement à l'avantage de tout le monde, sera tenté de croire que lorsqu'elle agit, l'amour-propre s'oublie et s'abandonne lui-même, et même qu'il se laisse dépouiller et appauvrir sans s'en apercevoir: en sorte qu'il semble que l'amour-propre soit la dupe de la bonté. Cependant la bonté est en effet le plus propre de tous les moyens dont l'amour-propre se sert pour arriver à ses fins. C'est un chemin dérobé par où il revient à lui-même plus riche et plus abondant. C'est un désintéressement qu'il met à une furieuse usure. C'est enfin un ressort délicat avec lequel il réunit et dispose et tourne tous les hommes en sa faveur (max. 236, I 250).

[36] Nul ne mérite d'être loué de bonté, s'il n'a la force et la hardiesse de pouvoir être méchant; toute autre bonté n'est en effet qu'une privation de vices, et leur endormissement (max. 237, I 251).

[37] L'amour de la justice dans les bons juges qui sont modérés n'est que l'amour de leur élévation; dans la plupart des hommes ce n'est que la crainte de souffrir l'injustice, et qu'une vive appréhension qu'on ne nous ôte ce qui nous appartient. De là vient cette considération et ce respect pour tous les intérêts du prochain, et cette scrupuleuse application à ne lui faire aucun préjudice. Sans cette crainte qui retient l'homme dans les bornes des biens que sa naissance ou la fortune lui a donnés, pressé par la violente passion de se conserver, il ferait des courses continuellement sur les autres (MS 15, I 89; max. 78, I 91; MS 14, I 88).

[38] La véritable justice ne voit que ce qu'il faut voir, la droiture prend tout le bon droit des choses, la délicatesse aperçoit les choses imperceptibles, et le jugement prononce ce que les choses sont. Si on l'examine bien, on trouvera que toutes ses qualités ne sont autre chose que la grandeur de l'esprit, lequel voit en toutes rencontres, dans la plénitude de ses lumières, tous les avantages dont nous venons de parler (cf. la maxime suivante).

[39] Le jugement n'est autre chose que la grandeur de la lumière de l'esprit. On peut dire la même chose de son étendue, et de sa profondeur, de son discernement, de sa justice, de sa droiture et de sa délicatesse: l'étendue de l'esprit est la mesure de la lumière, la profondeur est celle qui découvre le fond des choses, le discernement compare et distingue les choses (pour cette maxime et la précédente: max. 97, I 107).

[40] La persévérance n'est digne de blâme ni de louange, parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments, qu'on ne s'ôte ni qu'on ne se donne (max. 177, I 186).

[41] La vérité qui fait les gens véritables est une imperceptible ambition qu'ils ont de rendre leur témoignage considérable et d'attirer à leurs paroles un respect de religion (max. 63, I 72).

[42] La vérité est le fondement et la justification de la raison, de la perfection et de la beauté, car il est certain qu'une chose, de quelque nature qu'elle soit, est belle et parfaite si elle est tout ce qu'elle doit être et si elle a tout ce qu'elle doit avoir (MS 49, I 260).