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Ensuite, Madame me montra sa chambre, ses armoires, ses penderies, la place de chaque chose, me mit au courant du service, avec des réflexions qui me paraissaient drôles et pas naturelles…

– Maintenant, dit-elle… Allons chez M. Xavier… vous ferez aussi le service de M. Xavier… C’est mon fils, Mary…

– Bien Madame…

La chambre de M. Xavier était située à l’autre bout du vaste appartement; une coquette chambre, tendue de drap bleu relevé de passementeries jaunes. Aux murs, des gravures anglaises en couleur, représentant des sujets de chasse, de courses, des attelages, des châteaux. Un porte-cannes tenait le milieu d’un panneau, véritable panoplie de cannes avec un cor de chasse au milieu, flanqué de deux trompettes de mail entrecroisées… Sur la cheminée, entre beaucoup de bibelots, de boîtes de cigares, de pipes, une photographie de joli garçon, tout jeune, sans barbe encore, physionomie insolente de gommeux précoce, grâce douteuse de fille, et qui me plut.

– C’est M. Xavier… présenta Madame.

Je ne pus m’empêcher de m’écrier avec trop de chaleur, sans doute:

– Oh! qu’il est beau garçon!

– Eh bien, eh bien, Mary! fit Madame.

Je vis que mon exclamation ne l’avait pas fâchée… car elle avait souri.

– M. Xavier est comme tous les jeunes gens… me dit-elle. Il n’a pas beaucoup d’ordre… Il faudra que vous en ayez pour lui… et que sa chambre soit parfaitement tenue… Vous entrerez chez lui, tous les matins, à neuf heures… Vous lui porterez son thé… à neuf heures, vous entendez, Mary?… Quelquefois M. Xavier rentre tard… Il vous recevra peut-être mal… mais, cela ne fait rien… Un jeune homme doit être réveillé à neuf heures.

Elle me montra où l’on mettait le linge de M. Xavier, ses cravates, ses chaussures, accompagnant chaque détail d’un:

– Mon fils est un peu vif… mais c’est un charmant enfant…

Ou bien:

– Savez-vous plier les pantalons?… Oh! M. Xavier tient à ses pantalons, par dessus tout.

Quant aux chapeaux, il fut convenu que je n’avais pas à m’en occuper et que c’était le valet de chambre à qui appartenait la gloire de leur donner le coup de fer quotidien.

Je trouvai extrêmement bizarre que, dans une maison où il y avait un valet de chambre, ce fût moi que Madame chargeât du service de M. Xavier.

– C’est rigolo… mais ce n’est peut-être pas très convenable… me dis-je, parodiant le mot que répétait constamment ma maîtresse, à propos de n’importe quoi.

Il est vrai que tout me paraissait bizarre dans cette bizarre maison.

Le soir, à l’office, j’appris bien des choses.

– Une boîte extraordinaire… me dit-on. Ça étonne d’abord, et puis on s’y fait. Des fois, il n’y a pas un sou, dans toute la maison. Alors Madame va, vient, court, repart et rentre, nerveuse, exténuée, des gros mots plein la bouche. Monsieur, lui, ne quitte pas le téléphone… Il crie, menace, supplie, fait le diable dans l’appareil… Et les huissiers!… Souvent, il est arrivé que le maître d’hôtel fût obligé de donner de sa poche des acomptes à des fournisseurs furieux, qui ne voulaient plus rien livrer. Un jour de réception, on leur coupa l’électricité et le gaz… Et puis, tout d’un coup, c’est la pluie d’or… La maison regorge de richesses. D’où viennent-elles? Ça, par exemple, on ne le sait pas trop… Quant aux domestiques, ils attendent, des mois et des mois, leurs gages… Mais ils finissent toujours par être payés… seulement, au prix de quelles scènes, de quels engueulements, de quelles chamailleries!… C’est à ne pas croire…

Ah! vrai!… J’étais bien tombée… Et telle était ma chance, pour une fois que j’avais de forts gages…

– M. Xavier n’est pas encore rentré cette nuit, dit le valet de chambre.

– Oh! fit la cuisinière, en me regardant avec insistance, il rentrera peut-être, maintenant…

Et le valet de chambre raconta que, le matin même, un créancier de M. Xavier était venu encore faire du potin… Cela devait être bien malpropre, car Monsieur avait filé doux, et il avait dû payer une forte somme, au moins quatre mille francs…

– Monsieur était joliment furieux, ajouta-t-il. Je l’ai entendu qui disait à Madame: «Ça ne peut pas durer… Il nous déshonorera… il nous déshonorera!…»

La cuisinière, qui semblait avoir beaucoup de philosophie, haussa les épaules.

– Les déshonorer? dit-elle en ricanant. Ils s’en fichent un peu… C’est de payer qui les embête…

Cette conversation me mit mal à l’aise. Je compris, vaguement, qu’il pouvait y avoir un rapport entre les chiffons de Madame, les paroles de Madame, et M. Xavier… Mais, lequel, exactement?

– C’est de payer qui les embête…

Je dormis très mal, cette nuit-là, poursuivie par d’étranges rêves, impatiente de voir M. Xavier…

Le valet de chambre n’avait pas menti. Une drôle de boîte, en vérité.

Monsieur était dans les pèlerinages… je ne sais pas quoi, au juste… quelque chose comme président ou directeur… Il racolait des pèlerins où il pouvait, parmi les juifs, les protestants, les vagabonds, même parmi les catholiques, et, une fois l’an, il conduisait ces gens-là à Rome, à Lourdes, à Paray-le-Monial, non sans tapage et sans profit, bien entendu. Le pape n’y voyait que du feu, et la religion triomphait. Monsieur s’occupait aussi d’œuvres charitables et politiques: Ligue contre l’enseignement laïque… Ligue contre les publications obscènes… Société des bibliothèques amusantes et chrétiennes… Association des biberons congréganistes pour l’allaitement des enfants d’ouvriers… Est-ce que je sais?… Il présidait des orphelinats, des alumnats, des ouvroirs, des cercles, des bureaux de placement… Il présidait de tout… Ah! il en avait des métiers. C’était un petit bonhomme rondelet, très vif, très soigné, très rasé, dont les manières, à la fois doucereuses et cyniques, étaient celles d’un prêtre malin et rigolo. On parlait de lui et de ses œuvres, dans les journaux, quelquefois… Naturellement, les uns exaltaient ses vertus humanitaires et sa haute sainteté d’apôtre, les autres le traitaient de vieille fripouille et de sale canaille. À l’office, nous nous amusions beaucoup de ces querelles, quoique ce soit assez chic et flatteur de servir chez des maîtres dont on parle dans les journaux.

Toutes les semaines, Monsieur donnait un grand dîner suivi d’une grande réception, où venaient des célébrités de toute sorte, des académiciens, des sénateurs réactionnaires, des députés catholiques, des curés protestataires, des moines intrigants, des archevêques… Il y en avait un, surtout, qu’on soignait d’une façon spéciale, un très vieil assomptionniste, le père je ne sais qui, bonhomme papelard et venimeux qui disait toujours des méchancetés, avec des airs contrits et dévots. Et, partout, dans chaque pièce, il y avait des portraits du pape… Ah! il a dû en voir de raides, dans cette maison, le Saint-Père.

Moi, il ne me revenait pas, Monsieur. Il faisait trop de choses, il aimait trop de gens. Encore ignorait-on la moitié des choses qu’il faisait et des gens qu’il aimait. Sûrement, c’était un vieux farceur.

Le lendemain de mon arrivée, comme je l’aidais dans l’antichambre à endosser son pardessus:

– Est-ce que vous êtes de ma Société, me demanda-t-il, la Société des Servantes de Jésus?…

– Non, Monsieur…

– Il faut en être… c’est indispensable… Je vais vous inscrire…

– Merci, Monsieur… Puis-je demander à Monsieur ce que c’est que cette Société?

– Une Société admirable, qui recueille et éduque chrétiennement les filles-mères…

– Mais, Monsieur, je ne suis pas une fille-mère…

– Ça ne fait rien… Il y a aussi les femmes qui sortent de prison… il y a les prostituées repenties… il y a un peu de tout… Je vais vous inscrire…

Il retira de sa poche des journaux soigneusement pliés et me les tendit.

– Cachez ça… lisez ça… quand vous serez seule… C’est très curieux…

Et il me prit le menton, disant avec un léger claquement de langue:

– Hé mais!… elle est drôlette, cette petite, elle est ma foi, très drôlette…

Quand Monsieur fut parti, je regardai les journaux qu’il m’avait laissés. C’était le Fin de siècle … le Rigolo … les Petites femmes de Paris . Des saletés, quoi!

Ah! les bourgeois! Quelle comédie éternelle! J’en ai vu et des plus différents. Ils sont tous pareils… Ainsi, j’ai servi chez un député républicain. Celui-là passait son temps à déblatérer contre les prêtres… Un crâneur, fallait voir!… Il ne voulait pas entendre parler de la religion, du pape, des bonnes sœurs… Si on l’avait écouté, on eût renversé toutes les églises, fait sauter tous les couvents… Eh bien, le dimanche, il allait à la messe, en cachette, dans des paroisses éloignées… Au moindre bobo, il faisait appeler les curés, et tous ses enfants étaient élevés chez les jésuites. Jamais, il ne consentit à revoir son frère qui avait refusé de se marier à l’église. Tous hypocrites, tous lâches, tous dégoûtants, chacun dans leur genre…