Cette autre curiosité contraire, en laquelle je n'ay point aussi faute d'exemple domestique, me semble germaine à ceste-cy: d'aller se soignant et passionnant à ce dernier poinct, à regler son convoy, à quelque particuliere et inusitee parsimonie, à un serviteur et une lanterne. Je voy louer cett'humeur, et l'ordonnance de Marcus Æmylius Lepidus, qui deffendit à ses heritiers d'employer pour luy les ceremonies qu'on avoit accoustumé en telles choses. Est-ce encore temperance et frugalité, d'eviter la despence et la volupté, desquelles l'usage et la cognoissance nous est imperceptible? Voila une aisee reformation et de peu de coust. S'il estoit besoin d'en ordonner, je seroy d'advis, qu'en celle là, comme en toutes actions de la vie, chascun en rapportast la regle, au degré de sa fortune. Et le Philosophe Lycon prescrit sagement à ses amis, de mettre son corps où ils adviseront pour le mieux: et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques. Je lairrois purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m'en remettray à la discretion des premiers à qui je tomberay en charge. Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris . Et est sainctement dict à un sainct: Curatio funeris, conditio sepulturæ, pompa exequiarum, magis sunt vivorum solatia, quàm subsidia mortuorum . Pourtant Socrates à Criton, qui sur l'heure de sa fin luy demande, comment il veut estre enterré: Comme vous voudrez, respond-il. Si j'avois à m'en empescher plus avant, je trouverois plus galand, d'imiter ceux qui entreprennent vivans et respirans, jouyr de l'ordre et honneur de leur sepulture: et qui se plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent resjouyr et gratifier leur sens par l'insensibilité, et vivre de leur mort!
A peu, que je n'entre en haine irreconciliable contre toute domination populaire: quoy qu'elle me semble la plus naturelle et equitable: quand il me souvient de cette inhumaine injustice du peuple Athenien: de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouïr en leurs defenses, ces braves capitaines, venants de gaigner contre les Lacedemoniens la bataille navalle pres les Isles Arginenses: la plus contestee, la plus forte bataille, que les Grecs aient onques donnee en mer de leurs forces: par ce qu'apres la victoire, ils avoient suivy les occasions que la loy de la guerre leur presentoit, plustost que de s'arrester à recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse, le faict de Diomedon. Cettuy cy est l'un des condamnez, homme de notable vertu, et militaire et politique: lequel se tirant avant pour parler, apres avoir ouy l'arrest de leur condemnation, et trouvant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s'en servir au bien de sa cause, et à descouvrir l'evidente iniquité d'une si cruelle conclusion, ne representa qu'un soin de la conservation de ses juges: priant les Dieux de tourner ce jugement à leur bien, et à fin que, par faute de rendre les voeux que luy et ses compagnons avoient voué, en recognoissance d'une si illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des Dieux sur eux: les advertissant quels voeux c'estoient. Et sans dire autre chose, et sans marchander, s'achemina de ce pas courageusement au supplice. La fortune quelques annees apres les punit de mesme pain souppe. Car Chabrias capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du combat contre Pollis Admiral de Sparte, en l'isle de Naxe, perdit le fruict tout net et content de sa victoire, tres-important à leurs affaires, pour n'encourir le malheur de cet exemple, et pour ne perdre peu de corps morts de ses amis, qui flottoyent en mer; laissa voguer en sauveté un monde d'ennemis vivants, qui depuis leur feirent bien acheter cette importune superstition.
Quoeris, quo jaceas, post obitum, loco?
Quo non nata jacent.
Cet autre redonne le sentiment du repos, à un corps sans ame,
Neque sepulcrum, quo recipiat, habeat portum corporis:
Ubi, remissa humana vita, corpus requiescat à malis.
Tout ainsi que nature nous faict voir, que plusieurs choses mortes ont encore des relations occultes à la vie. Le vin s'altere aux caves, selon aucunes mutations des saisons de sa vigne. Et la chair de venaison change d'estat aux saloirs et de goust, selon les loix de la chair vive, à ce qu'on dit.