– Faut être raide, faut beaucoup boire à partir de maintenant. Et attraper du loup. Plus tu baises dur, moins tu cogites et mieux tu dors. D'ailleurs, qu'est-ce que tu dirais de ramener du loup à la chambre, ce soir? Des fois qu'on se fasse serrer plus tôt que prévu, on n'a pas intérêt à déconner avec ça. J'voudrais pas m'faire enfermer sans avoir eu mon indigestion de foutre… J'attraperais bien un surfer blond, lui coller mon gun sur la tempe et qu'il me lèche le clit pendant que je regarde les clips.
Manu trouve la rime satisfaisante et la décline sur tous les tons, Nadine l'interrompt:
– Moi, je préfère un garçon consentant.
– Toi, c'est différent: c'est plutôt sucer le canon qui t'intéresse, c'est pas la même option. Mais, en fait, je disais ça dans le vague, histoire de causer. J'aime pas les surfers. Au fait, sur Minitel, tu mettais quoi dans ton CV?
– Jeune fille vénale mais très docile cherche monsieur sévère.
– OK… À partir de là, tu pouvais lever que des loups passionnants. On y va?
Nadine demande l'addition. Le serveur lui est reconnaissant depuis le début du repas parce qu'il a l'impression qu'elle modère les ardeurs de la petite et qu'il peut compter sur elle pour le défendre en cas de dérapage trop virulent.
Elle remplit son chèque, pense à Séverine et réfléchit à voix haute:
– Je me demande si quelqu'un l'a découverte. Je me demande si quelqu'un en a quelque chose à foutre.
5
Assises au comptoir d'un bar éclairé en bleu glauque, elles dévisagent les garçons qui entrent, traquent le mâle éhontément.
Bientôt, Manu se frotte contre un jeune garçon qui porte un pantalon taille basse, on lui voit les épaules parce qu'il porte un tee-shirt sans manche. Les muscles sont ronds et donnent envie d'y mettre la main, de sentir avec la langue. Il sourit comme elle raconte n'importe quoi, il a l'air gentiment ailleurs et pas farouche, se laisse approcher et toucher et continue de sourire. Pas dérangeant.
Nadine écoute le garçon qui la tient par la taille lui raconter son voyage en Thaïlande. Il revient en France le temps de faire un peu d'argent pour repartir aussitôt. Il est content de lui, se trouve beau gosse, fait dans la désinvolture et distribue les clins d'œil. L'habitude de plaire aux filles. Elle regarde ses mains pendant qu'il parle, pense: «Bientôt, ces doigts-là me toucheront au bas du ventre, m'écarteront la vulve pour me fouiller le plus profond qu'ils peuvent.» Les veines sont saillantes et énormes le long de son avant-bras. Il l'embrasse dans le cou, très tendresse de baroudeur. Elle a envie de lui, vraiment, elle regrette juste qu'il parle autant. Elle tire Manu par la manche, dit qu'elle veut rentrer. Ils sortent tous les quatre.
En marchant, Nadine repense aux photos des journaux achetés à la station-service. Comment la fille se tient à califourchon sur un tabouret de bar et se fait remplir par le cul et la bouche par deux types en costard. Elle se demande comment ça va se passer une fois qu'ils seront dans la chambre. Elle surveille Manu du coin de l'œil. La petite est égale à elle-même: braillarde et débraillée. Le garçon châtain à côté d'elle l'écoute scrupuleusement, comme s'il la soupçonnait de pouvoir dire des choses cruciales et justes.
Celui qui marche avec Nadine lui chuchote à l'oreille, très enjoué et complice: «Sacré numéro, ta copine.» L'avant-baise serait moins fastidieuse si ce garçon pouvait se taire.
Elle caresse son dos sous le tee-shirt, joue du bout de l'ongle le long de sa colonne vertébrale.
À l'hôtel, couples côte à côte sur les lits.
Toujours très initié, le garçon qui bouge sur Nadine demande:
– Vous faites souvent des plans à quatre?
Elle répond:
– Oui, mais si tu fais un peu attention, tu remarqueras que ce soir ça n'a rien d'un plan à quatre.
Elle l'embrasse à pleine bouche, sort sa queue qu'il enfonce tout de suite du plus profond qu'il peut, sans même avoir besoin de s'aider de la main. Joli coup. Il la travaille lentement, la creuse en respirant très fort, elle empoigne ses propres cuisses pour s'ouvrir davantage, qu'il vienne un peu plus loin dedans, elle noue ses jambes autour de lui quand il accélère le mouvement. Palpitations au fond de son ventre, il a éjaculé. Il ne se retire pas tout de suite, elle bouge doucement de haut en bas, cherche la grosse vague. Coup de hanche et elle se sent basculer l'intérieur, le ventre dénoué et apaisée des chevilles aux épaules. Bien baisée. Elle s'écarte de lui, se renverse sur le dos.
Nadine tourne la tête vers le lit voisin. Manu chevauche son petit camarade, ondule et chantonne presque, elle se trémousse gentiment et avec grâce, en s'empalant consciencieusement. Elle ne se ressemble pas. Nadine pense en la regardant: «Elle chasse le mal», ça ressemble à une cérémonie d'exorcisme. Le garçon caresse ses seins et la laisse faire. Manu noue ses mains derrière sa nuque et tord sa bouche comme en sanglots, les mains du garçon l'attirent brusquement contre lui. La scène est en drôle de noir et blanc, des couleurs de nuit.
Le garçon se dégage de l'étreinte et la fait coucher sur le dos. Elle guide sa tête entre ses cuisses. Son regard rencontre celui de Nadine. Deux grands yeux calmes et attentifs.
Plus tard, le garçon avec qui elle a fait ça se lève, se sert à boire, s'étire et, d'un air complice et affranchi, propose:
– Ce qui serait sympa, les filles, ce serait de nous faire un petit tête-bêche.
Assis au bord du lit l'autre garçon allume une clope, comme s'il n'avait pas entendu, et feint d'ignorer le sourire de connivence que l'autre lui adresse. Manu répond:
– J'ai pas envie de te distraire. Pour tout te dire, j'ai bien envie que tu te casses. Tout de suite, un problème d'odeur. Tu pues la merde, connard, c'est insupportable.
En disant ça, elle se tourne vers Nadine, comme pour lui demander l'autorisation de le faire sortir. Lui aussi se tourne vers Nadine, attend qu'elle intervienne. Avec ce qu'il vient de lui mettre et comme il l'a sentie enthousiaste, il s'attend à ce qu'elle prenne sa défense. Nadine hausse les épaules. Elle préférerait ne pas se réveiller avec lui demain matin, mais elle ne veut pas non plus se prendre la tête. Qu'ils se débrouillent; en ce qui la concerne, elle en a pris pour son grade et elle voudrait surtout dormir.
Il hésite un moment. Manu commente:
– Et ben au moins, connard, t'auras eu l'air désarçonné une fois dans la soirée, tu seras pas venu pour rien.
Se trouve drôle et ricane un moment. Lui, très grand seigneur, se rhabille prestement et s'arrache sans rien ajouter.
Nadine attrape la bouteille et déclare:
– Le coup de reins était convaincant, vraiment.
Manu hoche la tête et approuve:
– Il avait l'air de se débrouiller. Mais c'est pas une raison pour être pénible.
Le garçon restant ne fait aucune réflexion, comme si tout était parfaitement normal. Quand Manu revient s'agenouiller entre ses jambes et le prendre dans sa bouche, il joue avec ses cheveux, semble prendre du plaisir en pensant à autre chose. Puis il relève la tête et sourit à Nadine, qui s'endort en les regardant faire.
Plus tard dans la nuit, il la réveille en faisant des dessins du bout des doigts sur son dos. Ça fait frisson jusqu'aux chevilles, elle n'a pas le temps de rassembler ses esprits, sa langue est toute petite dans sa bouche. Délicieuse et agile. Son corps gracile comme celui d'un enfant, son sexe est chaud et rassurant quand il vient dans son ventre. Elle lui est infiniment reconnaissante d'être comme il est, il la serre plus fort dans ses bras, quand elle murmure: «Tu me fais du bien, vraiment.» Elle voudrait pleurer contre lui.
Le marin quand elle se réveille, il est déjà parti. Elle se sent malade, trop bu la veille. Elle va boire au robinet, autant d'eau qu'elle peut en ingurgiter. Manu fait un bruit incroyable en dormant en travers du lit, la bouche grande ouverte. Nadine prend son walkman et descend faire un tour. Touch me, I’m sick. Elle fait plusieurs fois le tour du pâté de maisons, boit du jus d'orange, assise sur un banc. Il fait beau, un soleil éclatant. I’ll think I’ll think of you. If I dream, I will dream of you. I open my eyes but they cannot see. Elle revoit Francis projeté en arrière, sa gorge se noue. Elle retourne à l'hôtel réveiller Manu.
6
– C'est assez désagréable: on ne sait même pas si on est recherchées.
– Faut pas perdre de vue que les flics sont basiquement stupides.
– Faut pas non plus oublier qu'ils sont travailleurs et qu'on a pas pris trop de précautions.
– De toutes façons, il faut changer de voiture. Ma mère va rentrer et la déclarer volée. Ce serait con de se faire attraper pour vol de tire. Pis va falloir trouver de la thune. J'aurai bientôt vidé mon sac. Putain, j'y crois pas une seconde comme on l'aura claqué vite, son pauvre pognon. Faut dire que c'est chouette: on s'est pas privées de grand-chose. Ça change un peu, ça change tout.
Elles sont parties ce matin jusqu'à Quimper, ont loué une chambre immense avec des fenêtres jusqu'au plafond. Manu paie cash en extirpant les billets par poignées de son sac. Nadine a demandé du papier à la réception, s'est assise en tailleur sur son lit pour réfléchir. Ce que des gens dans leur situation doivent faire et ne pas faire. Finalement, elle dessine des cercles et des triangles de toutes tailles, repasse plusieurs fois chaque trait.
Assise sur la fenêtre, les pieds dans le vide, Manu a sa bouteille de Jack Da posée à côté d'elle. Elle mange des Bounty en surveillant la rue. Petite culotte de satin rouge avec de la dentelle noire, très western. Régulièrement, elle interpelle les passants:
– Oh, connard, reste tranquille, j't'ai à l'oeil moi. Oui, toi, j'te conseille de pas trop faire le malin.
Elle se fait rire toute seule. Nadine se lève pour se remplir un verre. Dans la chambre à côté, un mec s'engueule avec sa copine. Nadine demande:
– Comment on va faire pour l'argent?
– Des casses pourris, plein. Faire couler le sang, à flots. Du grand spectacle, on va foutre une émeute dans toutes les petites communes. On va braquer des épiceries, des petites vieilles…
– Tu as une idée de par quoi on commence?
– Bien sûr que non. Pourquoi veux-tu que je sache mieux que toi ce qu'on doit faire pour les francs? On va se promener, on va bien voir. Tu te prends trop la tête, c'est pas la peine de prévoir des trucs; de toutes façons, ça se passe jamais comme on prévoit. Y a pas de contrôle. Faut y aller à l'instinct, compter sur la chance. Moi, c'est comme ça que je vois ça, en tout cas.