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Professionnel, Plankaert suivit selon son art le fil des boutiques de chausseurs jusqu'à ce que Paul parût se décider pour un modèle peut-être anglais, enjolivé d'un col requin de pan et d'autre du lacet. L'autre l'observait derrière la vitrine, se disant drôles de goûts. Paul s'installant pour essayer la chose, Plankaert avait le temps de chercher un téléphone.

– Arrive, dit-il. Je l'ai trouvé.

Toon était content d'être pour une fois au volant du 4x4, content d'y écouter la modulation de fréquence, content d'user du téléphone.

– Tu es formidable, dit-il, mais pourquoi tu ne t'en occuperais pas tout seul? J'ai une bonne radio, là, je n'ai pas trop envie de bouger.

– Ne sois pas idiot, il y a trop de monde. Et puis peut-être qu'il ne va pas se laisser faire. Et puis je suis fatigué. Allez, viens, on va faire comme avec Gonzales, tu te souviens comme c'était facile.

Peu après, au stand après-rasage du Printemps, Toon appliquait donc le procédé Gonzales, méthode entre mille pour enlever les personnes et qui a pour principe l'anticipation de leur comportement. Toon parlait fort, gonflait fort sa voix haute, exigeait une imaginaire lotion. La calme parfumeuse voulut apaiser, distraire ce petit client nerveux. Elle fit mine de chercher encore, promenant ses longs ongles pourpres entre les vaporisateurs, les sticks, les gros flacons de prestige pleins de fluide factice. Ça existait, monta le petit nerveux d'un cran, ça ne peut pas ne plus être, où est le responsable du rayon?

Il s'agitait du mieux qu'il pût, souhaitant passer très aperçu, alentour en effet les clients le regardaient. J'ai peine à le croire, pensait Paul dissimulé derrière une pyramide de gels. Il avait reconnu, de loin, la haute voix du jeune homme du côté des parfums, survolant les effluves; il avait eu peur. Quand même il s'était approché, dissimulé, avait identifié la silhouette sous le manteau, suivi le dialogue avec le chef de rayon puis, l'effet Gonzales jouant à plein, suivi Toon lui-même. Toon était très facile à suivre dans le grand magasin. C'est peut-être idiot de le suivre, pense Paul. Maïs c'était encore plus facile hors du grand magasin.

Toon traverse le boulevard Haussmann. Paul ne le perd pas de vue le long des rues de Rome puis de Leningrad au bout de quoi s'élève, au seuil des Batignolles, Saint-André-d'Antin. Toon entre dans l'église; Paul entre à son tour, un moment après. Cela sent la stéarine, le granit frais, pas du tout l'encens ni le désinfectant, l'orgue ne ronfle pas dans le silence extraterrestre. Il n'y a personne ici qu'un homme abîmé en prière contre un pilier du fond et une vieille dame en tailleur muraille, fondue dans le transept. Toon n'est pas visible. Bientôt la vieille dame se dégenouille et signe, elle sort sans regarder Paul. C'est encore plus vide. Puis c'est rapide.

Plankaert retire ses mains de son visage, se détache du pilier, s'approche de Paul qui recule et perçoit aussitôt un contact dur entre deux de ses vertèbres. Sans doute connecté à ce contact, le souffle de Toon lui parvient de tout près derrière son épaule. Plankaert s'approche encore, peiné mais résolu, mimique d'huissier; d'abord il confisque le sac en plastique, avec les chaussures neuves dedans. Ce sac contient ensuite la tête de Paul. Non disjoint de celle-ci, son corps ligoté gît sous une couverture à l'arrière du 4 x 4, qui roule. A l'avant, Toon examine les cols requins; trop grands, et trop petits pour Plankaert.

La voiture enfin s'arrête, on fait descendre Paul, toujours la tête dans le sac. Quand on a coupé le moteur, c'est un autre silence qu'à l'église, plein de ciel frotté d'oiseaux. On guide Paul sur un terrain souple, irrégulier. On s'arrête puis on pousse une porte, derrière laquelle ronronnent une musique à bas bruit et un fort souffle égal, haché de sifflements. Il dort, fait doucement Toon, qu'est-ce qu'on fait. Eteins ça, chuchote Plankaert, ensuite on le monte. Trois pas, la musique meurt, ensuite on pousse et tire Paul, il sent que c'est vertical, il tente de se représenter les lieux.

Toon et Plankaert le hissèrent dans le réservoir, l'y déposèrent sur le flanc, toujours empêché de tout par sa cagoule et ses liens. Justine les regarda faire, les brûleurs de butane à ses pieds veillaient l'autel d'une déité boudeuse, on lui jeta un coup d'oeil réglementaire avant de refermer la trappe. On redescendit, sans faire de bruit en passant près de Van Os toujours en sommeil.

– On attend, dit Plankaert une fois qu'on fut ressorti. On ne le réveille pas, ça l'énerverait, déjà que. J'aime autant qu'il se repose, qu'il voie Bergman après.

Ils firent le tour du château d'eau, sans se hâter. Le vent de temps à autre envisageait de se lever, se rendormait un peu, puis il s'étira sérieusement, bâilla des souffles épars, contradictoires, sous lesquels se nuançaient les couleurs des cultures: les céréales versant par masses leur tête lourde, plus claire sur l'avers, formaient de longues taches molles, mobiles, qui déclinaient en se déformant le mode chlorophyllien. C'est joli, dit Toon. Oui, dit Plankaert, c'est imposant. Mais alors des cris retentirent à l'intérieur de l'édifice, des cris de fureur ou de douleur, peut-être des deux; les deux hommes coururent vers la porte.

Les cris provenaient du réservoir. Eveillé en sursaut, Van Os se tenait écarquillé sur son séant.

– Qu'est-ce que c'est, fit-il d'une voix égarée, qui est-ce qui a éteint la radio?

– Rien, dit Plankaert, laissez. L'affaire d'un instant.

Toon le suivit à l'assaut des échelons. Ce fut un peu difficile d'ouvrir tout de suite la trappe car Paul se trouvait couché dessus, quoique provisoirement puisque se déplaçant sans cesse, roulant sur lui-même pour échapper aux griefs de Justine. Tenant encore le sac qu'elle venait de lui enlever, celle-ci brandissait de l'autre main sa chaussure à talon, ponctuant chaque futur bleu d'un cri de guerre. Paul criait également, dans le registre médium. Holà, fit Toon, il va falloir les séparer. Plankaert voulut saisir Justine, mais c'était malaisé; c'est à cause de lui, s'essoufflait-elle, à cause de ce con; il finit par la tourner de force vers lui.

– Ça va, fit-il, ça va comme ça. On ne tape pas sur un type attaché, quand même. Ce n'est pas digne. Vous m'obligez à raccourcir la chaîne.

Ils roulèrent Paul hors de portée puis ils redescendirent, un peu inquiets de l'humeur du chef. Mais Van Os se trouvait paisiblement assis sur le lit de camp, ayant rallumé la radio qui diffusait du Herb Alpert. Devant ses yeux, pendus à deux de ses doigts, il balançait les chaussures neuves à col requin.

Qu'est-ce que c'est que ça, demanda-t-il, elles sont à qui? Elles sont bien.