La bénédiction
Nous sommes obligés de retourner à la cure pour rapporter les livres que nous avons empruntés.
C'est de nouveau une vieille femme qui nous ouvre la porte. Elle nous fait entrer, elle dit:
– M. le curé vous attend.
Le curé dit;
– Asseyez-vous.
Nous posons les livres sur son bureau. Nous nous asseyons.
Le curé nous regarde un moment, puis il dit:
– Je vous attendais. Il y a longtemps que vous n'êtes pas venus.
Nous disons:
– Nous voulions finir les livres. Et nous sommes très occupés.
– Et pour votre bain?
– Nous avons tout ce qu'il faut pour nous laver maintenant. Nous avons acheté un bassin, du savon, des ciseaux, des brosses à dents.
– Avec quoi? Avec quel argent?
– Avec l'argent que nous gagnons en faisant de la musique dans les bistrots…
– Les bistrots sont un lieu de perdition. Surtout a votre âge.
Nous ne répondons pas. Il dit:
– Vous n'êtes pas venus non plus pour l'argent de l'aveugle. Maintenant, cela fait une somme considérable. Prenez-le.
Il nous tend l'argent. Nous disons:
– Gardez-le. Vous avez assez donné. Nous avons pris votre argent quand c'était absolument nécessaire. Maintenant, nous gagnons suffisamment d'argent pour en donner à Bec-de-Lièvre. Nous lui avons aussi appris à travailler. Nous l'avons aidée à bêcher la terre de son jardin et à y planter des pommes de terre, des haricots, des courges, des tomates. Nous lui avons donné des poussins, des lapins à élever. Elle s'occupe de son jardin et de ses animaux. Elle ne mendie plus. Elle n'a plus besoin de votre argent.
Le curé dit:
– Alors, prenez cet argent pour vous-mêmes. Ainsi vous ne serez plus obligés de travailler dans les bistrots.
– Nous aimons travailler dans les bistrots.
Il dit:
– J'ai appris que vous aviez été battus, torturés.
Nous demandons:
– Qu'est-elle devenue, votre servante?
– Elle s'est engagée sur le front pour soigner les blessés. Elle est morte.
Nous nous taisons. Il demande:
– Voulez-vous vous confier à moi? Je suis tenu par le secret de la confession. Vous n'avez rien à craindre. Confessez-vous.
Nous disons:
– Nous n'avons rien à confesser.
– Vous avez tort. Un tel crime est très lourd à porter. La confession vous soulagerait. Dieu pardonne à tous ceux qui regrettent sincèrement leurs péchés.
Nous disons:
– Nous ne regrettons rien. Nous n'avons rien à regretter.
Après un long silence, il dit:
– J'ai tout vu par la fenêtre. Le morceau de pain… Mais la vengeance appartient à Dieu. Vous n'avez pas le droit de vous substituer à Lui.
Nous nous taisons. Il demande:
– Puis-je vous bénir?
– Si cela vous fait plaisir.
Il pose ses mains sur notre tête:
– Dieu tout-puissant, bénissez ces enfants. Quel que soit leur crime, pardonnez-leur. Brebis égarées dans un monde abominable, eux-mêmes victimes de notre époque pervertie, ils ne savent pas ce qu'ils font. Je vous implore de sauver leur âme d'enfant, de la purifier dans votre infinie bonté et dans votre miséricorde. Amen.
Ensuite, il nous dit encore:
– Revenez me voir de temps en temps, même si vous n'avez besoin de rien.