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– C’est aujourd’hui, Jacques Clément que tu vas savoir par quelles routes tu iras à l’immortalité, à ma gloire céleste… et au bonheur terrestre. La souveraine pontificale est chargée de t’instruire,… Écoute-la…

Aussitôt, l’ange se recula vivement, et il sembla au moine que cet être s’évaporait. La lumière, de nouveau, inonda la pièce, et hors de lui, les cheveux hérissés, le moine se relevant d’un bond se précipita vers le point où l’ange s’était montré. Mais il ne vit qu’une tapisserie qui recouvrait un pan de muraille.

La pensée d’une supercherie ne pouvait venir au moine. Mais cette pensée même lui fût-elle venue qu’il eût dû se rendre à l’évidence: derrière la tapisserie qu’il souleva, il n’y avait aucune issue.

– Au nom du ciel, madame, s’écria-t-il en essuyant la sueur froide qui couvrait son visage, n’avez-vous rien vu dans cette pièce pendant que s’est faite l’obscurité?

– Sire moine, revenez à vous, je vous prie… la lumière n’a pas cessé de briller.

– Quoi! cette pièce n’a pas été un instant plongée dans les ténèbres?

– En aucune façon…

– Et vous n ‘avez pas vu un corps aérien, là, devant cette tapisserie?…

– Je n’ai vu que vous, sire moine…

– Que Dieu me conserve la raison! reprit Jacques Clément.

– Croyez-moi, sire moine, Dieu vous conservera la raison tant que vous mettrez cette raison à son service.

– Que faut-il donc que je fasse?… s’écria le jeune moine.

Et se rappelant tout à coup les paroles de l’ange, il se remit à genoux devant Fausta, baissa son front jusqu’au plancher et, ainsi prosterné, murmura:

– Vous êtes la souveraine pontificale, je le sais, je le vois, je le crois. Ayez pitié de moi…

Fausta laissa tomber un long regard sur le moine prosterné à ses pieds. Mais ce n’était pas de la pitié que Jacques Clément eût pu lire dans ce regard, s’il l’eût surpris: c’était une froide résolution.

– Ce n’est pas de la pitié qu’il faut avoir pour vous, dit-elle avec cet accent d’autorité qui lui était particulier; c’est plutôt de l’envie, car vous êtes un élu, désigné par Dieu lui-même pour accomplir la grande œuvre.

– Vous savez donc? haleta le moine.

– Je sais que vous avez reçu d’un ange un poignard semblable à celui que j’ai reçu moi-même et que je viens de vous montrer. Avec ce poignard, vous devez frapper Valois…

– Ainsi, dit le moine avec une ardeur où on pouvait encore découvrir quelque hésitation, il est vraiment permis de tuer un roi?…

– Qui en doute, si ce roi est criminel!

– Et j’aurai l’absolution entière?

– Vous l’avez! dit gravement Fausta.

Et levant la main droite dans un geste de bénédiction, elle prononça les paroles sacramentelles que Jacques Clément écouta avec une avidité stupéfaite.

– Relevez-vous, dit alors Fausta, vous êtes armé. Soyez prompt et brave.

– Souveraine, fit le moine d’une voix tremblante, répétez l’ordre, je vous en supplie. Qu’il n’y ait pas de confusion possible… Que dois-je faire de Valois? Je dis Henri de Valois, roi de France sous le nom d’Henri III. Que dois-je faire?…

Fausta; pour la deuxième fois leva sa main où étincelait l’anneau pontifical.

– Percat iste ! dit-elle sourdement.

Le moine s’inclina:

– Vos instructions? demanda-t-il. Car seul et faible comme je suis, comment pourrais-je l’atteindre?

– Après-demain, dit Fausta, partira de Paris la grande procession qui doit aller à Chartres porter au roi les doléances du peuple de Paris. Prenez place dans le cortège. Nul ne peut s’étonner de vous y voir. Pendant la route, faites en sorte de n’attirer point l’attention sur vous par un excès de zèle. Modestement confondu dans la foule, priez en vous-même et songez que vous portez en même temps que la parole de Dieu, la fortune de la nouvelle Église!

– Et une fois à Chartres? interrogea le moine d’une voix ardente.

– Vous me retrouverez là pour vous guider… à moins que vous ne soyez guidé par l’ange lui-même…

– L’ange! dit Jacques Clément en tressaillant. Je le verrai donc?

– Je crois que vous le verrez, sinon sous sa forme aérienne, du moins sous sa forme matérielle.

Jacques Clément, cette fois, fixa un regard de défiance sur la Fausta et demanda:

– Quoi! madame, vous connaissez donc cette forme matérielle? Comment la connaissez-vous?

– Comme vous la connaissez vous-même. J’ai vu ce que vous avez vu, en d’autre lieux et d’autres temps que vous, voilà tout. J’ai entendu ce que vous avez entendu. Douteriez-vous de ces apparitions, sire moine? Douteriez-vous que Dieu a pu donner permission à des êtres célestes de communiquer avec nous pour nous transmettre sa volonté?

– Le ciel m’en garde! dit le moine avec ferveur.

– Donc, si je vous dis que peut-être verrez-vous l’ange sous sa forme matérielle, c’est que la duchesse de Montpensier sera à Chartres en même temps que vous et moi-même.

Le front pâle du moine s’empourpra. Il baissa ses paupières pour voiler le feu de son regard, et il balbutia ce seul mot:

– Marie!…

Alors la Fausta eut un sourire livide, et reprenant ce ton d’autorité souveraine par lequel elle inspirait le respect à de plus forts esprits que celui de ce moine:

– Regardez-moi bien, dit-elle.

– Je vous regarde, fit le moine, et je vois en vous une souveraine.

– Croyez-vous vraiment que je sois en communication avec la puissance céleste?

– Je le crois de toute mon âme…

– Eh bien, vous devez croire que toutes mes paroles me sont dictées, inspirées même…

– Oh! haleta le moine, qu’allez-vous donc me dire?…

– Ceci seulement: autant vous devez avoir confiance dans la forme aérienne de l’ange, autant vous devez vous défier de sa forme matérielle…

– Me défier de Marie! murmura le moine.

– N’a-t-elle pas déjà cherché à vous induire au péché mortel? Souvenez-vous de cette salle que vous venez de traverser pour arriver ici! Souvenez-vous de ce soir où vous y fûtes entraîné… Souvenez-vous du coup terrible qui frappa votre esprit lorsque se démasqua la femme qui vous tenait dans ses bras, et qu’en cette femme, vous reconnûtes celle que vous aimez depuis longtemps, en silence… Marie de Montpensier!

– Oh! vous savez donc tout, puisque vous savez que je reçus un coup terrible au cœur…

Le moine avait grondé ces quelques mots en grinçant des dents. Fausta qui l’étudiait avec la froide attention d’un chirurgien qui fait crier la chair sous son scalpel, Fausta qui apparaissait au moine, rayonnante de beauté et de majesté, véritable incarnation de la souveraineté pontificale, Fausta, disons-nous, voyant le jeune homme haleter, se hâta de continuer:

– Souvenez-vous que depuis cette nuit fatale, vos veines semblent charrier des laves enflammées, et que vos lèvres brûlées de fièvre cherchent dans la nuit un baiser pareil à celui qu’elle y déposa alors!…

– Grâce, madame et souveraine, râla le moine. Je ne sais par quel prodige vous êtes au courant de sensations que je n’ai même pas la force de m’avouer à moi-même, bien loin d’en avoir parlé à qui que ce soit au monde. Mais ces sensations, vous me les peignez avec une vérité affreuse, terrible, et qui achève de dévorer ce malheureux cœur.

– Soit, reprit Fausta avec une infinie douceur. Ne parlons donc plus du passé, et songeons à l’avenir. Vous voilà donc en garde. Et si vous vous trouvez en face de la duchesse de Montpensier…

– Eh bien? bégaya le moine.

– Eh bien, je vous l’ai dit: soyez en défiance… car… mon devoir est de vous prévenir… de vous prémunir… soyez en défiance… car…

– Madame, ma souveraine, de grâce…

– Eh bien, elle vous aime! dit la Fausta.

Le moine jeta un cri terrible et tomba prosterné, la face contre terre. Longtemps, il demeura ainsi, avec cette seule pensée vivante en lui, flamboyante comme un éclair qui l’eût aveuglé:

«Elle m’aime!… Me méfier d’elle… moi!… Ah! dût-elle me conduire en enfer!…»

Lorsqu’il se releva, il vit avec surprise que Fausta avait disparu. À sa place, une jeune femme souriante l’attendait. Elle le prit par la main, le conduisit à une porte qui, sur un signal donné par elle, venait de s’entrouvrir.

Le moine franchit cette porte, et se retrouvant dans l’auberge du Pressoir de fer , il put croire qu’il avait rêvé. Sans s’attarder, d’ailleurs, il quitta l’auberge et s’éloigna rapidement.