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– Oh! s’écria Charles frémissant, j’ai été joué! J’ai été attiré dans un traquenard!…

– La deuxième, continua Pardaillan, c’est que la dame masquée et déguisée en gentilhomme, la charmante et digne messagère ne s’appelait nullement du nom honorable d’Aubigné…

– Et comment s’appelle-t-elle? fit Charles, frissonnant.

– Elle s’appelle Fausta! répondit tranquillement Pardaillan.

– Fausta?…

– Ce nom ne vous dit rien. Patience! Vous ne tarderez pas à connaître et à apprécier à sa valeur la femme extraordinaire qui s’appelle ainsi…

– Mais enfin, est-ce une d’Aubigné?

– Non, c’est une Borgia. Avez-vous entendu parler de Borgia, monseigneur?

– Hélas, Pardaillan, dans ma propre famille, n’y a-t-il pas une femme plus funeste que la célèbre Lucrèce, puisque la mère de Charles IX et d’Henri III s’appelle Catherine de Médicis?

– Oui, certes, la grande Catherine est une scélérate de belle envergure; et pour ma part j’ai pu admirer de près ce sombre génie des ténèbres. Je dirai même que depuis l’avant-dernière nuit où j’ai reçu dans mon cachot une bienheureuse visite, mon admiration pour Catherine est devenue si violente que je n’aurai plus de repos tant que je n’aurai pas rejoint cette illustre princesse…

– Qu’avez-vous donc appris? Que vous a-t-elle fait? balbutia Charles qui frissonna.

– Elle m’a fait… Mais il ne s’agit pas d’elle. Je voulais vous dire que Catherine de Médicis n’est qu’une écolière auprès de la descendante des Borgia. Prenez garde à Fausta, monseigneur! Je ne vois pas encore le but où elle tend, bien que j’aie deviné une partie de ses espérances. Mais ce que je comprends très bien, ce qui était encore obscur il y a quelques jours et qui s’éclaire maintenant de la livide lueur de ce nom, l’enlèvement de Violetta par Belgodère, Violetta traînée au supplice comme hérétique, sous le nom d’une fille de Fourcaud, oui, je comprends tout cela! Car tout cela est l’œuvre de Fausta…

– Oh! en ce cas, malheur à cette femme! gronda le duc d’Angoulême. Pardaillan, il faut retrouver cette tigresse, et dussé-je l’étrangler de mes mains…

– Patience! Vous ne la retrouverez peut-être que trop tôt! Prenez garde! Par la visite qu’elle vous a faite, par ce piège qu’elle vous a tendu et où vous avez donné tête baissée, vous devez comprendre à quelle force vous vous heurtez…

– Dussé-je y laisser la vie! palpita Charles…

– Eh! mordieu, s’il ne s’agissait que de mourir, ce serait vraiment trop facile! Il ne s’agit pas de mourir: il s’agit de vivre et de rendre la vie à celle que vous aimez…

– Oui, oui!…

– Et pour cela, je vous l’ai dit, il suffit de mettre la main sur le sire de Maurevert…

– Oh! Pardaillan, ma tête se perd à sonder ces abîmes. Que vient faire Maurevert en tout ceci?…

Pardaillan jeta un regard de pitié sur son compagnon.

«Pauvre petit! songea-t-il. Que dirais-tu si tu savais que ta fiancée est l’épouse de Maurevert!…»

– Je dis, reprit-il tout haut, qu’il faut se saisir de Maurevert, parce que Fausta l’emploie à son œuvre de destruction. Par lui nous saurons bien des choses. Maurevert pris, peut-être aurons-nous arraché à la main de Fausta une de ses armes les plus redoutables.

– Pourquoi ne pas vous attaquer directement à elle? Pardaillan, vous ne voyez donc pas que je ne vis plus?

Pardaillan saisit le bras de Charles.

– Laissez-moi faire! dit-il… Je crois vous l’avoir dit: il n’y a d’irréparable que la mort. Violetta est vivante, voilà tout ce qu’il importe de savoir pour l’instant. Quant à Fausta, vous êtes maintenant un de ceux sur qui son regard mortel s’est appesanti. Prenez garde! Je ne devine pas l’intérêt qu’elle peut avoir à frapper Violetta. Mais n’en doutez pas, si elle sait que vous aimez cette enfant… et elle sait!… elle vous frappera vous-même comme elle a essayé de me frapper, comme elle a frappé ce Farnèse et ce Claude…

– Mais elle est donc armée d’une véritable puissance? dit Charles hors de lui.

– Elle est plus reine en France qu’Henri III n’y a jamais été roi; elle est plus reine à Paris que Guise n’y est roi! Guise lui obéit. Elle est plus que le chef visible de cette prodigieuse association qui s’appelle la Sainte-Ligue: elle en est l’âme! Elle a bouleversé le royaume. Elle bouleversera Paris pour vous atteindre, s’il y va de son intérêt… Que sont les poisons des Borgia et des Médicis! Que sont les poignards des reîtres lorrains! Des jeux d’enfant auprès des inventions formidables de cette femme! Elle a son armée à elle! Elle a sa justice à elle! Des milliers d’espions sillonnent pour elle la capitale et le royaume. Elle voit tout, elle sait tout. Et pour atteindre ceux qui sont un obstacle à sa marche flamboyante, elle dédaigne le poison, elle dédaigne le poignard… elle emploie des armes plus violentes encore, et ces armes s’appellent: Religion et Justice!… Monseigneur, prenez garde aux juges de Fausta, aux prêtres de Fausta!… Ses prêtres font et défont des mariages! Ses juges saisissent l’ennemi de Fausta, et le conduisent à la Bastille pour le questionner et jeter ensuite son corps pantelant au gibet ou à l’échafaud!…

– Impossible! Oh! tout cela n’est qu’un rêve affreux!…

– Enfin! Songez à Henri III chassé de Paris! Songez au bûcher préparé pour Violetta! Songez que nous-mêmes, il n’y a pas deux heures que nous sommes hors de la Bastille!… Songez à maître Claude! Songez au prince Farnèse!

– Qui sait ce que sont devenus ces deux infortunés!…

– Je le sais, moi… toujours grâce à la bienheureuse visite que j’ai reçue dans mon cachot.

– Pardaillan, haleta Charles, il faut délivrer ces deux hommes!… L’un est le père de Violetta… et l’autre… Ah! je ne comprends pas… Mais Violetta l’aime et le vénère!… Où sont-ils? Oh! si vous le savez… ‘

– Ils sont là! dit Pardaillan en désignant une maison à Charles qui s’arrêta, frémissant.

Depuis quelques minutes, ils étaient entrés dans la Cité et l’avaient contournée jusqu’à cette pointe qui s’allongeait derrière Notre-Dame. Le jeune duc se vit en présence de hautes murailles noires, lézardées, une façade sombre et muette avec une porte de fer, de rares fenêtres fermées, une apparence de logis abandonné depuis des années, avec ses moisissures verdâtres qui lui donnaient une figure de lépreux…

– Oh! murmura Charles avec une sourde terreur, ni la Bastille, ni le Temple, ni le Châtelet n’ont physionomie aussi repoussante et sinistre!… Pardaillan, quelle infâme prison est-ce là?…

– C’est le palais de Fausta! dit Pardaillan.

Charles eut un mouvement comme pour s’élancer. Le chevalier le saisit par le bras.

– Frappez à cette porte de fer! dit-il froidement, et dans dix minutes nous aurons rejoint Claude et Farnèse qui agonisent de faim derrière ces murs!…

– De faim! balbutia Charles en essuyant son front ruisselant de sueur.

– Oui!… Du moins d’après ce que m’a raconté le charmant cavalier qui m’est venu voir…

– Et ce cavalier?…

– C’était Maurevert!… Mais cela me rappelle que moi-même, je meurs de faim! Voici justement, près de la maison où l’on agonise par la faim et la soif, la maison où l’on mange et où l’on boit…

Charles jeta les yeux sur l’auberge que lui désignait Pardaillan. Elle était jolie, accorte, avenante et fleurie. Pardaillan se souvenait parfaitement que le soir où il était entré dans le palais de Fausta, une femme évanouie dans ses bras, le soir où il avait eu avec la maîtresse du palais cet entretien qui s’était terminé par une bagarre, il se souvenait, disons-nous, qu’entré par le palais c’était par l’auberge qu’il avait pu fuir. Il y avait donc sûrement communication et probablement accointance morale entre le sinistre palais et la jolie auberge.

– Pardaillan! fit Charles haletant, je n’ai pas faim, moi! Il faut délivrer ces deux infortunés!…

– Eh! par les cornes du diable, c’est justement pour cela qu’il nous faut aller dîner à l’auberge du… du… voyons l’enseigne… tiens, tiens!… voilà qui me rappelle étrangement…

Et Pardaillan, pâle et pensif de ses souvenirs, murmura en frissonnant:

– Le Pressoir de fer !… Entrons! ajouta-t-il brusquement.

Et il se dirigea vers le cabaret tenu, au dire de la jolie enseigne qui se balançait en agitant ses grelots, par la Roussotte et Pâquette…

Au moment où ils allaient franchir le perron, un crieur public apparut, escorté de quatre pertuisaniers, et sonna de la trompe à trois reprises. Si désert que fût l’endroit, les ruelles voisines dégorgèrent aussitôt un flot respectable de curieux et de commères qui entourèrent le crieur. Sur le perron de l’auberge se montrèrent des femmes, des écoliers, des soldats.

– Écoutons, dit Pardaillan. Les crieurs racontent souvent des choses fort curieuses, d’autant que celui-ci est escorté de gardes aux armes de notre bien-aimé duc de Guise…