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Pardaillan avait continué sa marche foudroyante, entraînant Crillon et ses hommes d’armes. À travers des foules de ligueurs hurlants, mais qui, sans chefs, sans armes, n’osaient attaquer, la troupe de Crillon atteignit la Porte Neuve au moment où, des deux Châtelets, du Temple, de l’Arsenal, s’élançaient en courant vers la Grève les compagnies prévenues… La porte fut franchie… et lorsque les dernières gardes-françaises furent de l’autre côté du pont-levis, il y eut dans les masses profondes des bourgeois de longs cris de rage impuissante. Alors Crillon se jeta dans les bras de Pardaillan.

– Mon surnom de Brave n’est plus à moi, dit-il: il vous appartient!

– Partez vite, si vous m’en croyez, fit le chevalier, nous échangerons les salamalecs de rigueur un jour qu’il fera moins chaud…

– Oui! mais de quel côté me diriger?… J’ignore où est le roi!…

– Je l’ai vu hier fuyant et fort pâle… un triste sire, entre nous, monsieur de Crillon! Quoi qu’il en soit, il prit la route de Chartres…

– Venez avec moi, monsieur, s’écria Crillon en admirant l’étincelante et fine physionomie de son sauveur; le roi vous fera colonel!

– Eh! monsieur! fit tranquillement Pardaillan, je suis déjà maréchal moi-même, et c’est énorme. Pourquoi me faire colonel des autres?

Crillon secoua sa crinière:

– Je ne vous comprends pas, dit-il; n’importe, vous êtes un rude compagnon. Mort de ma vie! Le roi, s’il avait dix serviteurs taillés sur votre modèle, serait demain sur son trône!… Allons, adieu!… Votre main?

– La voici!

– Votre nom?…

– Chevalier de Pardaillan! Adieu, monsieur de Crillon. Dites au roi qu’il ne m’oublie pas dans ses prières à sa prochaine procession!

Le brave Crillon, ébahi, ne sachant si le chevalier avait parlé sérieusement, se tourna vers ses troupes, commanda: «En avant!» et se mit en route en saluant une dernière fois de son épée cet homme dont l’intrépidité l’avait émerveillé et dont chaque parole le stupéfiait comme une énigme d’ironie.

Pardaillan prit le duc d’Angoulême par le bras, et simplement, comme si rien d’extraordinaire ne se fût passé:

– Rentrons par la porte Montmartre et allons nous reposer en vidant un broc de Suresnes à la Devinière , chez cette bonne Dame Huguette Grégoire… une vieille connaissance à moi! Le vin de la Devinière , monseigneur, a pour moi un grand charme: c’est que mon père l’aimait… Et quant à Huguette… elle m’aime!… Et cela me rappelle les temps radieux d’espérance ou j’aimais… moi aussi!…

Sur ces mots prononcés avec une mélancolie poignante qui ne lui était pas habituelle, Pardaillan entraîna Charles d’Angoulême tout étonné de surprendre dans le clair regard de son compagnon quelque chose comme une buée vite évaporée au soleil.

Laissons Pardaillan et Charles d’Angoulême rentrer dans Paris et revenons un instant au duc de Guise qui venait de s’élancer vers son hôtel, laissant Bussi-Leclerc, sans ordres, tout stupéfait au milieu de la place de Grève.

Sous ses allures de magnifique gentilhomme, sous l’ambition effrénée qui surchauffait son cerveau, sous cette passion même qui le brûlait pour une pauvre petite fille de bohème, Henri de Lorraine, duc de Guise, roi de Paris par la force, presque roi de France par l’immense désir de la Ligue – vaste œuvre qui avait étendu ses tentacules sur tout le royaume – cet homme, donc, sous des dehors de prospérité inouïe, poussé ou plutôt conduit par la main de la Fortune, prêt à monter sur le trône, cet homme qui faisait trembler des rois portait au cœur un mal terrible, un ulcère rongeur, qui, peut-être, fut un obstacle décisif à sa volonté d’entreprises politiques: la jalousie!

Guise faillit à sa propre fortune. L’Histoire, qui s’arrête aux gestes extérieurs, montre un étonnement naïf de ses hésitations; elle constate avec stupeur ses brusques arrêts, ses reculs inconcevables… Sur la place de Grève, au lieu de se mettre à la tête des mille ligueurs que lui amène Bussi-Leclerc, il tremble, il abandonne la foule qui l’acclame, se retire, se sauve presque en son hôtel, et laisse sortir de Paris les trois mille hommes de Crillon qui allaient être le premier noyau de l’armée avec laquelle Henri III devait assiéger Paris!

Que s’était-il donc passé d’effroyable? Quelle catastrophe s’était abattue sur cet esprit violent et le paralysait? Tout simplement, Guise avait lu la lettre de la princesse Fausta, que le cardinal Farnèse lui remettait. Tout simplement, cette lettre contenait ces lignes:

«Le comte de Loignes n’est pas de ceux qui sont sortis de Paris à la suite d’Hérodes. La duchesse de Guise, que vous croyez sur la route de Lorraine et que vous avez conduite vous-même, il y a deux jours, jusqu’à Lagny, vient de rentrer dans Paris. Quelqu’un vous attend en votre hôtel pour vous expliquer ce double événement.»