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Bientôt nous entendîmes le craquement des fers des chevaux sur le gravier. La petite troupe s’arrêta, et un des hommes cria:

«Maintenant, qu’on aille le chercher!

– Voilà le moment!» me souffla Sapt.

Piquant des deux, nous eûmes bientôt fait le tour de la maison, et nous nous trouvâmes au milieu des misérables. Sapt m’a dit, depuis, qu’il avait descendu un homme, je le crois sur parole; pour l’instant, j’avais assez à m’occuper de mes propres affaires. D’un coup d’épée, je fendis la tête d’un soldat, monté sur un cheval bai; il tomba. Alors je me trouvai face à face avec une espèce de géant, tandis que j’en avais un autre à ma droite.

La position devenait intenable: d’un mouvement simultané, je pressai les flancs de ma bête et enfonçai mon épée dans le corps du géant. La balle de son revolver siffla à mon oreille: j’aurais juré qu’elle m’avait effleuré. Je voulus retirer mon épée; elle résista à mes efforts, et je dus l’abandonner pour galoper après Sapt, que j’apercevais à une vingtaine de mètres en avant.

De la main, je voulus faire un geste d’adieu, mais ma main retomba; je poussai un cri: une balle m’avait éraflé le doigt; le sang coulait. Le vieux Sapt se retourna sur sa selle. Un nouveau coup de feu partit sans nous atteindre, nous étions hors de portée.

Sapt se mit à rire.

«Ça doit bien en faire deux pour vous et un pour moi. Allons, allons! le petit Joseph ne voyagera pas tout seul.

– Une partie carrée», répliquai-je.

J’étais très surexcité, et n’éprouvais aucun remords.

«Ceux qui restent vont avoir de la besogne. Je voudrais bien savoir si on vous a reconnu.

– Ce grand diable d’animal m’a parfaitement reconnu. Au moment où je l’ai frappé, je l’ai entendu crier: «Le roi!»

– Bien, bien! Nous donnerons du fil à retordre au duc Noir avant d’en avoir fini.»

Nous nous arrêtâmes un moment pour panser mon doigt blessé, qui saignait abondamment et me faisait cruellement souffrir, l’os ayant été très contusionné. Après quoi, nous nous remîmes en marche, demandant à nos braves chevaux toute la célérité dont ils étaient capables. Maintenant que l’excitation de la lutte était tombée, nous restions sombres et silencieux. Le jour se leva, clair et glacé. Nous trouvâmes un fermier qui sortait du lit et à qui nous demandâmes de nous restaurer, nous et nos chevaux. Quant à moi, feignant un mal de dents, je dissimulai mon visage soigneusement. Nous reprîmes notre chemin, jusqu’à ce que Strelsau fût en vue. Il était huit heures, peut-être neuf, et les grilles de la ville étaient grandes ouvertes comme elles l’étaient toujours, à moins qu’un caprice du duc ou une intrigue ne les fît fermer. Nous rentrâmes, harassés de fatigue.

Les rues étaient plus calmes encore que lorsque nous les avions traversées à notre départ. Aussi arrivâmes-nous à la petite porte du palais sans avoir rencontré une âme. Nous trouvâmes le vieux serviteur de Sapt qui nous attendait.

Une fois entrés, nous nous rendîmes dans le cabinet de toilette. Nous y trouvâmes Fritz qui, tout habillé, dormait sur un sofa. Notre arrivée le tira de son sommeil, et, avec un cri joyeux, il se jeta à genoux devant moi.

«Dieu soit loué, Sire! Dieu soit loué! vous êtes sain et sauf», criait-il, prenant ma main pour la baiser.

Le vieux Sapt se frappa la cuisse d’un air enchanté.

«Bravo! mon garçon, bravo! Allons, ça marchera.»

Fritz leva les yeux, étonné.

«Vous êtes blessé, Sire! s’écria-t-il.

– Seulement une égratignure… mais…»

Je m’arrêtai. Fritz se releva et, me tenant toujours par la main, m’examina des pieds à la tête. Puis, tout à coup, il recula.

«Où est le roi? Où est le roi? demanda-t-il.

– Chut! chut! Vous êtes fou, siffla Sapt, pas si haut! N’est-ce pas là le roi?»

Quelqu’un frappait à la porte. Sapt me saisit par le poignet.

«Vite, vite, dans votre chambre. Enlevez vos bottes, fourrez-vous dans votre lit.»

Je fis ce qu’il m’ordonnait. Quelques moments plus tard, Sapt, entrouvrant la porte, introduisait un jeune seigneur qui, s’inclinant fort bas, s’approcha de mon lit, et m’informa qu’il appartenait à la maison de la princesse Flavie, que Son Altesse l’avait envoyé pour s’enquérir de la santé de Sa Majesté.

«Mes plus sincères remerciements à ma belle cousine, répondis-je, et dites à Son Altesse Royale que je ne me suis jamais mieux porté de ma vie.

– Le roi, ajouta le vieux Sapt qui, j’ai le regret de le dire, avait du goût pour le mensonge, a dormi d’un somme toute la nuit.»

Le jeune gentilhomme sortit en faisant force saluts. La comédie était jouée. Le visage décomposé de Fritz von Tarlenheim nous rappela bien vite au sentiment de la réalité.

«Est-ce que le roi est mort? demanda-t-il, d’une voix étranglée.

– Non, Dieu merci! répondis-je. Mais il est aux mains du duc Noir.»