– Sera-ce bient?t?
– Regarde!
Et Christophe, faisant un supr?me effort pour soulever la t?te, – (Dieu! qu’elle ?tait pesante!) – vit le fleuve d?bord?, couvrant les champs, roulant auguste, lent, presque immobile. Et, comme une lueur d’acier, au bord de l’horizon, semblait courir vers lui une ligne de flots d’argent, qui tremblaient au soleil. Le bruit de l’Oc?an… Et son c?ur, d?faillant, demanda:
– Est-ce Lui?
La voix de ses aim?s lui r?pondit:
– C’est Lui.
Tandis que le cerveau, qui mourait, se disait:
– La porte s’ouvre… Voici l’accord que je cherchais!… Mais ce n’est pas la fin? Quels espaces nouveaux!… Nous continuerons demain.
? joie, joie de se voir dispara?tre dans la paix souveraine du Dieu, qu’on s’est efforc? de servir, toute sa vie!…
– Seigneur, n’es-tu pas trop m?content de ton serviteur? J’ai fait si peu! Je ne pouvais davantage… J’ai lutt?, j’ai souffert, j’ai err?, j’ai cr??. Laisse-moi prendre haleine dans tes bras paternels. Un jour, je rena?trai, pour de nouveaux combats.
Et le grondement du fleuve, et la mer bruissante chant?rent avec lui:
– Tu rena?tras. Repose! Tout n’est plus qu’un seul c?ur. Sourire de la nuit et du jour enlac?s. Harmonie, couple auguste de l’amour et de la haine! Je chanterai le Dieu aux deux puissantes ailes. Hosanna ? la vie! Hosanna ? la mort!
Saint Christophe a travers? le fleuve. Toute la nuit, il a march? contre le courant. Comme un rocher, son corps aux membres athl?tiques ?merge au-dessus des eaux. Sur son ?paule gauche est l’Enfant, fr?le et lourd. Saint Christophe s’appuie sur un pin arrach?, qui ploie. Son ?chine aussi ploie. Ceux qui l’ont vu partir ont dit qu’il n’arriverait point. Et l’ont suivi longtemps leurs railleries et leurs rires. Puis, la nuit est tomb?e, et ils se sont lass?s. ? pr?sent, Christophe est trop loin pour que les cris l’atteignent de ceux rest?s l?-bas. Dans le bruit du torrent, il n’entend que la voix tranquille de l’Enfant, qui tient de son petit poing une m?che cr?pue sur le front du g?ant, et qui r?p?te: «Marche!» – Il marche, le dos courb?, les yeux, droit devant lui, fix?s sur la rive obscure, dont les escarpements commencent ? blanchir.
Soudain, l’ang?lus tinte, et le troupeau des cloches s’?veille en bondissant. Voici l’aurore nouvelle! Derri?re la falaise, qui dresse sa noire fa?ade, le soleil invisible monte dans un ciel d’or. Christophe, pr?s de tomber, touche enfin ? la rive. Et il dit ? l’Enfant:
– Nous voici arriv?s! Comme tu ?tais lourd! Enfant, qui donc es-tu?
Et l’Enfant dit:
– Je suis le jour qui va na?tre.