Nelly sortit à son tour et fut remplacée peu après par ses azis qui lui apportaient un verre.

— Nous sommes désolés, dit Florian.

Leurs expressions confirmaient ses paroles.

Ils l’avaient accompagnée à l’hôpital puis étaient restés près d’elle. Ils semblaient se tenir prêts à bondir sur tout individu à l’aspect douteux. Ari leur avait donné l’ordre de la laisser, sur les conseils d’oncle Denys. Il disait qu’ils avaient besoin de repos. Elle avait émergé du sommeil le temps de leur affirmer qu’ils n’avaient rien à se reprocher et devaient rentrer à la Maison, avant d’ajouter :

— J’irai bientôt vous rejoindre.

Ce qu’elle venait de faire.

Le D r Ivanov déclarait qu’elle pouvait s’estimer heureuse de s’être brisé un bras plutôt que le crâne. Un point de vue qu’elle partageait sans réserve. Elle revoyait le ciel et le sol tournoyer et sentait encore l’impact ébranler tous ses os.

Oncle Denys disait lui aussi qu’elle avait eu beaucoup de chance et que Cheval aurait pu la tuer, ce qui le mettait dans tous ses états.

C’était exact, mais elle tenait à préciser que sa monture ne l’avait pas fait exprèsc qu’elle s’était simplement déplacée, en quelque sorte.

— Cheval va bien, n’est-ce pas ?

— À merveille, avait-il répondu. C’est pour toi que nous étions inquiets.

Il était très gentil. Tous l’étaient, bien plus que d’habitude. Le D r Ivanov venait prendre de ses nouvelles, les infirmières lui apportaient à boire, Florian et Catlin restaient près d’elle tant qu’on ne les chassait pas. Le seul point noir était Giraud : il n’avait pas décidé de passer la voir, mais elle se sentait quoi qu’il en soit trop lasse pour le Travailler.

Elle était dans son lit, avec ses azis à ses côtés, et il lui semblait se trouverc très loin de tout le reste. Tranquille. Elle se félicitait de cette gentillesse, parce qu’elle n’aurait pu affronter personne et était épuisée. Elle n’avait d’autre désir que de rester allongée et souffrir un peu moins.

— Ce n’est pas votre faute, répéta-t-elle à Florian et Catlin. C’était mon idée, il me semble ?

— Nous aurions dû vous en empêcher, dit Florian.

— Vous n’aviez pas le choix. Vous devez exécuter mes ordres, non ?

— Oui, c’est exact, répondit Catlin après un moment de réflexion.

Et les deux jeunes azis en parurent soulagés.

Elle dormit tout l’après-midi, le bras levé et immobilisé dans une gouttière : une mesure prescrite par le D r Ivanov pour que sa main ne pût enfler. Elle doutait que ce fût d’une quelconque utilité, étant donné quelle changeait sans cesse de position, mais la fatigue eut finalement raison d’elle. Elle se réveilla quand Nelly vint lui dire de prendre une pilule. Puis elle se rendormit aussitôt, parce qu’elle était dans son lit et que l’antalgique avait des propriétés soporifiques.

Puis l’azie lui apporta son repas, qu’elle mangea de la main gauche. Le D r Ivanov lui avait tenu un long discours sur la prédominance d’une main sur l’autre et précisé qu’elle devrait éviter d’écrire tant qu’elle aurait son plâtre. Il lui conseillait d’employer un scripteur pour faire ses devoirs, et elle trouvait cette suggestion à son goût.

Il disait encore qu’elle ne garderait ce plâtre que trois semaines – parce qu’il avait fait le nécessaire pour hâter sa guérison – et que son bras serait ensuite comme neuf, après quelques séances de rééducation destinées à lui rendre ses muscles. Elle n’avait aucune objection à émettre. Ce qu’elle venait de vivre était une aventure, mais elle ne tenait pas à rester handicapée.

Il était agréable de faire l’objet de tant d’attentions. L’inquiétude était à l’origine de changements d’attitude fascinants. Elle y réfléchissait, pendant ses périodes d’éveil.

On lui servit son dîner, des plats qu’elle pouvait manger avec les doigts, et ensuite elle voulut que Florian et Catlin restent dans sa chambre car elle se sentait désormais bien réveillée. Mais oncle Denys choisit cet instant pour venir la voir et leur dit de sortir un moment. Il désirait s’entretenir avec elle.

— Je ne veux pas, protesta Ari.

Elle bouda un peu, parce qu’elle souffrait et qu’oncle Denys avait cessé d’être gentil. Après l’avoir choyée toute la journée, son entourage redevenait comme avant sans lui laisser le temps de se préparer à ce qu’elle voyait poindre à l’horizon.

— Je serai bref, affirma-t-il en refermant la porte. Et il n’est pas dans mes intentions de te gronder pour ta petite escapade.

Elle s’était donc trompée sur ses intentions, ce qui éveilla sa curiosité et sa méfiance. Il prit la chaise de Nelly et l’approcha. Elle fut soulagée de constater qu’il ne s’assoirait pas sur le lit, juste au moment où elle avait trouvé une position presque confortable.

Il se pencha vers elle.

— Il faut que tu saches pourquoi nous nous sommes tant inquiétés. Ce n’est pas parce que tu es allée en Ville, mais parce que tu es très importante et que des gensc n’hésiteraient pas à te faire du mal s’ils réussissaient à entrer dans Reseune. C’est pour cela que la sécurité a eu si peur.

C’était sérieux. Les propos d’oncle Denys complétaient ses mises en garde et expliquaient pourquoi elle était, à sa connaissance, la seule enfant qui avait pour compagnons deux azis des services de sécurité. Elle en fut à la fois intéressée et effrayée. Il lui semblait que des grappins miniatures crochetaient une multitude d’informations dispersées.

— Qui me veut du mal ?

— Des individus qui voulaient nuire à ton prédécesseur. Sais-tu ce que signifient les lettres DP, à la fin d’un matricule de CIT ?

— Dupliqué Parental.

— Connais-tu le sens de ce terme ?

Elle hocha la tête, sans la moindre hésitation.

— Ça veut dire que la personne en question est le jumeau de sa maman ou de son papa.

— Un simple jumeau ?

— Non. Sa copie exacte.

— Ils sont absolument identiques, même au niveau du généset, n’est-ce pas ?

Un autre mouvement de tête.

— Bien que ton matricule ne s’achève pas par ces lettres, elles pourraient s’y trouver.

Une déclaration déconcertante. Effrayante. Et absurde.

— Prête-moi bien attention. Contente-toi de m’écouter, sans m’interrompre. Ta maman, Jane Strassen, avait une excellente amie. Cette dernière est décédée, elle a connu une fin tragique. Reseune ne pouvait pas se passer de cette femme et les spécialistes l’ont dupliquée ; ils ont créé un bébé à son image. Jane a décidé de l’élever pour qu’il ne soit pas confié à des étrangers. Elle a fait cela pour son amie défunte. Et quand elle a eu ce bébé elle la autant aimé que s’il était le sien. Me comprends-tu, Ari ?

Une sorte de boule obstruait le fond de sa gorge. Elle avait froid, jusqu’au bout de ses membres.

— Me comprends-tu, Ari ?

Elle hocha la tête.

— Jane est ta maman, Ari. Rien ne peut le changer. Une maman, c’est la dame qui aime un bébé, qui s’occupe de lui et lui apprend tout ce qu’il doit savoir, comme Jane l’a fait pour toi.

— Alors, pourquoi m’a-t-elle abandonnée ?

— Parce qu’elle a été chargée d’un travail qu’elle seule pouvait mener à bien. Par ailleurs, Jane a eu une première fille, Juliac une adulte très jalouse de toi qui a elle aussi une enfant de ton âge : Gloria. Elles ont rendu la vie très difficile à ta maman et ont été envoyées avec elle à Lointaine. Elles n’ont jamais pardonné à Jane d’être devenue ta maman, tu sais. Elle n’a pas eu le choix. Quand elle est partie, elle a dû les emmener avec elle, parce qu’elle craignait qu’elles ne soient méchantes avec toi si elles demeuraient ici. Alors, elle t’a confiée à moi en me disant qu’elle ferait son possible pour revenir un jour. Mais Lointaine est située à l’autre bout de l’espace et la santé de ta maman est précaire. Elle est âgée, et le voyage de retour risquerait de lui être fatal. Tu sais maintenant pourquoi elle est partie en sachant que ce serait sans doute pour toujours. Elle devait s’en aller avant que tu ne sois devenue grande. Au début, elle croyait que ce serait facile. Mais elle est devenue pour toi une véritable maman, et si elle t’a aimée à ce point ce n’est pas à cause de l’Ari qui est morte mais parce que tu es Ari et qu’ellec qu’elle t’aime, tout simplement.