Le bandit, arrêté sur l’indication de Juve, et même par les soins du célèbre policier, au moment où il se faisait passer pour l’empereur de Russie, avait été appréhendé à la frontière franco-belge.

Le monstre, toutefois, faisant preuve d’une stupéfiante présence d’esprit, avait eu le soin de se faire arrêter en territoire belge, et même, de s’accuser d’un crime qu’il n’avait pas commis, ceci uniquement pour se rendre justiciable des tribunaux belges, qui continuent de condamner à mort mais tout en sachant pertinemment qu’on n’exécute plus dans le Royaume, depuis bientôt un demi-siècle.

C’est ainsi que Fantômas, sitôt les formalités de la commutation de peine effectuées, avait été conduit à la prison réservée aux coupables de son espèce, à la maison d’arrêt de Louvain, généralement connue sous le nom de « Bagne de Louvain ».

***

Un matin du mois d’avril, le directeur de la prison, M. Van den Grossen, était avisé par son courrier volumineux qu’il dépouillait, dès sept heures, qu’un lot de prisonniers assez important allait lui être livré dans l’après-midi, et en effet au moment indiqué, la grosse porte de la prison s’était ouverte à deux battants pour laisser pénétrer, entre une haie de gendarmes, sabres au clair, une vingtaine de misérables enchaînés qui étaient envoyés au bagne par les différentes prisons belges, où ils avaient été détenus en attendant leur condamnation définitive.

Parmi ces prisonniers se trouvait un homme d’une quarantaine d’années, à la silhouette robuste, au visage énergique.

Lorsqu’on appela le D. 33, M. Van den Grossen releva la tête et le considéra attentivement. Le D. 33 c’était l’homme au visage énergique.

Le directeur appela le gardien-chef de la division D.

— Major, dit-il, je vous recommande tout particulièrement le 33.

Le gardien-chef feuilleta les papiers qu’il avait à la main.

— Compris, monsieur le directeur. Eh bien, soyez tranquille, on l’aura à l’œil. D’ailleurs, les plus mauvaises têtes sont vite matées ici.

— Je sais, major, je réprouve toute brutalité, car les prisonniers après tout sont des hommes, mais il faut avoir une main de fer.

Quelques instants plus tard, un sergent de section posait la main sur l’épaule du 33.

— Allons en route, et à la douche.

Le 33 ne broncha pas, mais on lut dans son regard comme un éclair de révolte. Il baissa les yeux. Toute résistance était inutile.

Quand il eut pris le bain obligatoire, il voulut regagner la sorte de cabine dans laquelle il s’était dévêtu, son gardien l’en empêcha :

— Pas de ce côté, mais en face, droit devant vous.

Le 33 alla droit devant lui, pénétra dans un vestiaire, le long des murs duquel pendaient des vêtements tous identiques.

Sans un mot, sans un geste de protestation, l’homme endossa la livrée d’infamie. Mais ce n’était pas tout. On l’introduisit chez le coiffeur qui, en l’espace de quelques secondes, d’une tondeuse négligente, fit tomber chevelure, barbe et moustache.

Une voix hurla :

— Le 33 à sa cellule, division D.

Un gardien se présentait :

— C’est pour moi, fit-il, mais auparavant, ne faut-il pas le conduire à M. le directeur des ateliers ?

— Vous avez raison, répliqua le surveillant, qui avait donné l’ordre. Nous avons tellement de monde en ce moment qu’on ne sait plus où donner de la tête.

Sous la conduite de son gardien, le 33 parcourut un long couloir, puis il arriva dans une grande pièce, où se trouvait un bureau, derrière lequel un petit vieillard à lunettes d’or trônait dans un amoncellement de paperasses.

— Qu’est-ce que c’est ? interrogea-t-il de la voix énervée de quelqu’un qu’on dérange perpétuellement.

Puis apercevant le gardien et son prisonnier :

— Encore un nouveau, ça fait le trentième, que je vois aujourd’hui.

Le petit vieillard se redressa, toisa le détenu.

— Approchez, dit-il. Que savez-vous faire ?

— Monsieur j’ai fait un peu tous les métiers, et je m’efforcerai de faire celui qui vous conviendra le mieux.

Le directeur technique grommela :

— Moi ça m’est parfaitement égal, je n’ai pas à choisir. Vous savez que tout le monde doit travailler ici, décidez-vous pour l’une des professions suivantes.

Le vieillard, alors, prit un carton sur lequel quelques lignes étaient tracées, d’une belle écriture de ronde, très administrative :

— Voici les métiers que l’on peut exercer ici : cordonnier, serrurier, relieur, tailleur, fabricant d’engins de pêche, copiste ou traducteur. Nous manquons un peu de serruriers. Savez-vous tenir la lime ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, alors, vous serez serrurier.

Puis, heureux d’en avoir terminé, il ordonna au gardien :

— Emmenez-le.

Au second étage d’un des six corps de bâtiments, à droite en allant vers l’extrémité, après avoir passé devant une quantité de portes fermées, le gardien qui pilotait le numéro 33 dans cette immense demeure, lui ouvrit une cellule et l’invita à y pénétrer :

— Voici la règle de la maison, expliqua-t-il, réveil à cinq heures, toilette et déjeuner. De la chicorée avec du lait et du pain sec. Puis, travail jusqu’à midi, une soupe pour dîner, reprise du travail de une heure jusqu’à cinq heures, souper : pommes de terre avec un autre légume. À cinq heures et demie, reprise du travail jusqu’à neuf heures du soir, puis, extinction des feux et coucher. Ah, j’oubliais de vous demander : êtes-vous fumeur ?

— Pourquoi ?

— Parce que, déclara le gardien, l’administration vous autorise le matin, pendant que vous vous promenez dans le préau, à y fumer la pipe. La journée est trop avancée, pour qu’on vous occupe aujourd’hui. Demain, vous recevrez votre tâche.

Puis il se retira, verrouilla la porte. Son pas s’atténua. Puis ce fut le silence. Le 33 était seul dans sa prison.

La cellule avait environ deux mètres cinquante de large et trois mètres de haut. Elle était éclairée par une fenêtre grillée pourvue d’un petit vasistas. Au plafond, une lampe électrique dont un commutateur général pour toutes les cellules commandait la lumière. La porte, épaisse et lourde, ne s’ouvrant que de l’extérieur, était en bois doublé de fer, au centre se trouvait un guichet permettant de passer les aliments. Au-dessus, un trou, sorte de monocle appelé « espion », percé à hauteur d’homme et permettant de surveiller le détenu du dehors.

Le 33 étudia son mobilier : un lit qui, replié, formait une véritable table ; une chaise, un paillasson, une gamelle et un couvert. C’est tout.

Le 33, ayant rapidement terminé cet inventaire, se prit la tête entre les mains et soupira :

— Est-ce le tombeau ? Est-ce la fin ? Fantômas, es-tu désormais retiré du monde des vivants ?

Un éclair d’espoir brillait dans les yeux du prisonnier.

— J’en ai, pensa-t-il, au moins pour quatre mois encore.

Et si Fantômas émettait cette opinion en son for intérieur, c’est qu’il avait, pour cela, ses raisons.

Comme on le transférait de Bruxelles à Louvain, dans le convoi de prisonniers dont il faisait partie, il avait remarqué un certain gaillard à la mine éveillée. Fantômas le connaissait pour l’avoir déjà rencontré dans les bouges de Paris, alors que le sinistre malfaiteur était à la tête de bandes dont les membres ne lui cédaient en rien sous le rapport de l’audace ou de la férocité. Le gaillard avait reconnu Fantômas.

Sans pouvoir échanger de paroles, ils avaient correspondu par signes.

Fantômas avait compris que le détenu qui s’entretenait avec lui, n’avait que quatre mois à faire à la prison de Louvain, et qu’après cela, il s’occuperait des intérêts du Roi de l’Épouvante, du Maître de l’Effroi.

C’était en cette conversation silencieuse que Fantômas, plaçait désormais tout son espoir.

***

Avec une monotonie désespérante, car les jours succédaient aux jours selon une uniformité absolue, quatre mois et demi s’écoulèrent.