Ayant ainsi retrouvé Fantômas d’une part, Sir Ascott, devenu lord Duncan et Nini Guinon, d’autre part, je m’apprêtais tout bonnement à vous annoncer ces découvertes lorsque les événements ont pris une orientation inquiétante…

Suivez-moi bien.

Mais comme il écrivait – très absorbé – Jérôme Fandor, soudain, releva la tête :

— Personne ? fit-il… bon. C’est moi alors qui ai dû faire tomber cela en prenant de l’encre…

«  Suivez-moi bien, continuait Fandor, connaissant mes personnages je m’occupe de les pister, or, je fais cette extraordinaire découverte : Fantômas vole un enfant de dix-huit mois à une artiste française, nommée Françoise Lemercier, et cet enfant, il l’apporte à Nini pour qu’il remplace aux yeux de lord Duncan le petit Jack si malencontreusement décédé. C’est un chantage qui s’organise, un chantage facile, et dont la réussite semble, je vous le répète, assurée, par le fait que Tom Bob est au-dessus de tout soupçon, en raison précisément de sa situation en tant que détective… Mon cher Juve, vous comprendrez cela, la gravité de l’heure présente, Tom Bob est difficile à attaquer… Mais, d’autre part, il ne doit prévoir aucun piège, il doit se croire assuré de l’impunité…, Fantômas, pense-t-il est oublié… C’est bien cet état d’esprit, n’est-il pas vrai, qui peut nous donner le plus de chance, le plus d’espoir d’arr… »

Fandor cette fois s’interrompit… Ah ça, il n’avait pas rêvé ! Que se passait-il ? Quelle était l’explication ?

…Pour empêcher son papier à lettre de s’écrouler hors de la boîte, Fandor, quelques instants auparavant, en guise de presse-papier, avait appuyé sur la pile d’enveloppes, son outil principal, ses ciseaux de journaliste… or, les ciseaux n’étaient plus à l’endroit où il les avait mis…

— Nom d’un chien ! cria le journaliste, qu’est-ce que cela veut dire ? Mes ciseaux étaient là ! Je suis certain que je les avais posés sur ce papier…

C’était en vérité quelque chose d’insignifiant que la disparition de cette paire de ciseaux…

Un esprit ordinaire n’y eût attaché aucune importance… Sans doute le journaliste se trompait-il…

— Mes ciseaux… mes ciseaux… où sont mes ciseaux ?

Et il ne les trouvait pas…

Mais, comme le journaliste déplaçait un dossier, il aperçut son revolver. Instinctivement Fandor s’en saisit, de l’index il souleva la plaquette masquant le barillet pour vérifier le chargement de l’arme, et le faisant, il pâlit :

— Ah nom de Dieu ! jura-t-il…

Le barillet était vide.

Cette fois, la stupéfaction de Fandor, son émotion, furent terribles.

Puis, renonçant à réfléchir, Fandor, repoussa sa chaise, voulut se lever, courir à son armoire pour recharger son arme.

Mais comme le journaliste tentait de se mettre debout, Il s’aperçut qu’on lui avait lié les jambes au pied de la chaise. Dans son brusque mouvement, il s’empêtra, il roula par terre… À peine avait-il eu le temps de crier, fou de rage : « Nom de Dieu de nom de… » qu’un bâillon lui fermait la bouche, des liens immobilisaient ses bras… Il était mis hors d’état de bouger…

— Monsieur Fandor, gouailla une voix ironique, ne cherchez ni vos cartouches, ni vos ciseaux, ni votre coupe-papier… Armes dangereuses dans les mains d’un enfant terrible comme vous…

L’homme qui parlait c’était le détective Tom Bob, c’était l’effroyable bandit Fantômas…

Dans la chambre, où le drame, rapide, venait de se jouer, un silence lourd d’effroi pesa…

— Ma foi, pensait le jeune homme, je puis dire adieu à l’existence… Puisque j’ai identifié Fantômas, c’est la mort…

Mais le roi du crime prenait la parole :

— Monsieur Fandor, commença-t-il, je ne pense pas qu’il soit besoin que je me présente à vous. Je suis Fantômas, je me fais appeler Tom Bob. Nous sommes, vous et moi, de vieilles connaissances, il y a plus de dix ans que vous me poursuivez, vous souhaitez ma mort… et moi… et moi je ne vous veux pas de mal… Je ne vous veux pas de mal, et vous auriez tort de ne point me croire. Une fois déjà, d’ailleurs, nous nous sommes trouvés en présence, vous et moi, dans une situation ayant beaucoup de rapports avec celle où nous sommes en ce moment… Vous rappelez-vous ? C’était dans le grenier du père Moche ?

Fandor n’en croyait pas ses oreilles… Le bandit lui parlait d’un ton calme, heureux de causer, semblait-il.

Ah çà ! Fantômas n’en voulait donc pas à sa vie ?… Que méditait-il ?

Pourquoi s’était-il emparé de lui ?…

— Monsieur Fandor, poursuivait l’extraordinaire Tom Bob, permettez-moi tout d’abord de vous présenter mes plus sincères félicitations. Tout à l’heure, pendant que vous écriviez à Juve, j’escamotais votre poignard, vos ciseaux, les balles de votre revolver, je me suis permis de lire par-dessus votre épaule… Votre lettre est un chef-d’œuvre. Vous expliquez à Juve une foule d’excellentes choses qui, sans doute, l’intéresseraient beaucoup… s’il devait jamais les lire. Malheureusement…

Tom Bob-Fantômas se leva, prit sur le bureau de Fandor la feuille de papier à lettre, la déchira en mille petits morceaux qu’il glissa dans sa poche :

— …Monsieur Fandor, je n’ai aucunement l’intention de vous violenter, de vous nuire en quoi que ce soit… Tout simplement j’ai le désir de vous empêcher de me jouer de méchantes farces. Tenez, voulez-vous un gage de mes bonnes intentions ? Je vais enlever votre bâillon… Je vous préviens, d’ailleurs, que j’ai pris la précaution de louer toutes les chambres de la maison. Là ! Vous sentez-vous mieux ? Oui ? Vous allez pouvoir me répondre ?…

— Un mot, dit Fandor. Je suis en votre pouvoir, Fantômas, qu’attendez-vous de moi ? Que voulez-vous ? Ma mort, sans doute ? Eh bien, tuez-moi !

— Avant tout, répondit Fantômas, faites-moi le plaisir de m’appeler Tom Bob… c’est en Tom Bob que je suis devant vous, je tiens à rester Tom Bob. Et puis, monsieur Fandor, qui vous dit que je veuille vous torturer ?… Quel vilain mot vous employez… Ai-je donc l’air d’un tortionnaire ? Allons donc. Je vous délivre…

— Oui, fit remarquer Fandor, avec le sourire, vous m’avez enlevé mon bâillon, mais vous n’avez garde de me détacher les mains.

Fantômas se précipita :

— Oh ! pardon, mon cher ! excusez-moi… Je ne vois, au contraire, aucun inconvénient à vous rendre la liberté de mouvements que vous me demandez… Vous êtes sans arme, et j’ai moi, un petit bull-dog, qui me tranquillise…

Tout en parlant, Tom Bob déliait Fandor, aidait le journaliste à se remettre debout :

— Toutefois, je préfère ne pas vous rendre la complète liberté, et laisser vos mains prisonnières, dans ces menottes que je vous ai passées… Vous êtes si follement téméraire que vous pourriez avoir envie de vous jeter sur moi, bien que désarmé…

— Vous avez raison, dit le journaliste.

— Comme toujours… Donc, vous me demandez ce que j’ai l’intention de faire de vous ? Monsieur Fandor, apprenez-le tranquillement… Vous êtes un otage, rien de moins, rien de plus… Désormais, et pour quelque temps, considérez-vous comme prisonnier de guerre de Tom Bob !… Ma vie change. J’ai besoin d’être tranquille quelque temps, et votre ami Juve pourrait me gêner… il m’a semblé que le meilleur moyen de m’assurer le repos, de son côté, était de vous tenir à ma merci… Quand Juve saura que, s’il s’attaque à moi, vous en subirez le premier les conséquences, il devra me laisser tranquille… n’est-ce pas ?

— Non, dit Fandor.

— Ah ?

— Non ! Juve et moi, Fantômas, nous vous poursuivons sans trêve et sans merci, parce que vous êtes l’ennemi de la société, le criminel épouvantable qui n’a pitié de rien. Ce n’est pas une vengeance personnelle que nous voulons tirer de vous… mais nous sommes les vengeurs de toutes vos victimes… Juve ne s’arrêtera donc pas aux considérations que vous croyez. Il sait que j’ai fait bon marché de ma vie. Même si je suis en vos mains, même si je suis votre otage, il vous poursuivra, il vous arrêtera. C’est son devoir…