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— Montez,Hélène.

Fandorétait toujours à quelques mètres. Un dernierregard d’Hélène supplia Fantômas.

Hélas !l’âme de Fantômas était inaccessible àla pitié.

— Montez,répéta le bandit.

EtHélène, une fois encore, dut obéir àl’ordre qu’on lui donnait.

Alorsque Juve et Fandor, alors que son mari était à quelquespas d’elle, alors qu’elle ne pouvait point douter queFandor eût donné jusqu’à la dernièregoutte de son sang pour la sauver, la prisonnière de la peurdut embarquer dans cette voiture qui allait sans doute la conduirevers de tragiques destinées…

Hélène,défaillante, s’installa sur les coussins del’automobile. Fantômas prenait place à côtéd’elle. Le chauffeur démarra…

— Attention,disait alors Fantômas. Voici l’instant capital…N’oubliez pas…

Lavoiture effectuait un grand virage dans la cour du palais, pour sediriger vers la grille, et, de là, gagner les ruesd’Amsterdam. Elle allait frôler Juve et Fandor. Ilsuffisait d’un regard de Fandor ou de Juve, d’un crid’Hélène, pour que Fantômas futirrémédiablement pris.

Fantômas,pourtant, demeurait impassible, suprêmement calme.

— Attention,répétait-il simplement. Il faut que vous vous enfonciezsur cette banquette ; voici un éventail, servez-vous-en,je ne veux pas qu’on vous aperçoive…

Cettedernière cruauté, cette cruauté qui contraignaitHélène à se cacher elle-même, il fallutbien que la jeune femme la subît.

Commel’avait dit Fantômas, Hélène s’éventa.À l’instant où la voiture frôlait Juve etFandor, marchant doucement, tout doucement, et cela pour ne pointattirer l’attention, le policier et le journaliste quiinterrogeaient un homme de garde, se retournaient et, d’unregard anxieux, dévisageaient les occupants de la voiture.

NiJuve, ni Fandor ne purent voir Hélène. Ilsdistinguèrent en revanche, et parfaitement, les traits dugentilhomme qui occupait cette automobile. Mais, pendant les quelquessecondes que durait cette vision, Juve et Fandor ne pouvaient pasmatériellement avoir le temps de reconnaître Fantômasdéguisé, grimé, Fantômas qui n’étaitplus ni lui-même, ni le Grand Éclusier, qui, merveilleuxacteur, s’était savamment composé un visagenouveau.

Juveet Fandor, à peine de donner l’alarme et de provoquer unscandale redoutable pour la reine, ne pouvaient d’autre part,fouiller toutes les voitures qui quittaient le château.

L’automobilequi s’en allait à petite allure n’étaitsuspecte par aucun détail. Ils la laissèrent aller.

Àcet instant, Fantômas, redoutant encore un geste d’Hélène,s’agenouillait sur la banquette. Par la petite lucarne percéedans le dossier de la limousine, Fantômas braquait toujoursFandor. Et Fantômas, lentement, disait à Hélène :

— Lerevolver que je tiens porte avec précision jusqu’àdeux cents mètres environ. Dans quelques instants, vous serezlibre de hurler si bon vous semble.

Maisc’était là, en vérité, une dernièreraillerie, raillerie inutile.

Brusquement,en effet, et sans laisser à la jeune femme le tempsd’esquisser un mouvement de défense, Fantômas sejetait sur elle, et la bâillonnait. Il avait fermé lesrideaux des portières, il n’avait plus rien àcraindre. Après avoir employé la peur, Fantômasavait recours à la force.

Ledrame s’accomplissait.

L’automobilede Fantômas avait stoppé, deux heures plus tard, auxbords extrêmes du quai qui termine le port d’Amsterdam.Une sorte de péniche, une barge hollandaise, étaitamarrée là. Elle était sale, et couverte demorceaux de charbon. Il semblait en apparence que ce fût unepéniche ordinaire, attendant les bons offices d’unremorqueur. Telle était cependant l’habitationmystérieuse que Fantômas s’était choisiedès l’instant où Juve, en sauvant la reine,l’avait contraint d’abandonner la retraite qu’ils’était d’abord ménagée dans lavieille frégate désaffectée que connaissait sibien le vieux M. Eair, ou plus exactement, ÉtienneRambert, puisque M. Eair n’était autre que le pèrede Fandor.

L’automobileavait à peine stoppé, que Fantômas prenait Hélènedans ses bras et la soulevant comme il eût soulevé leplus léger des fardeaux, l’emportait à bord decette péniche.

Fantômasse dirigeait vers l’arrière du bateau. Là setrouvait une sorte de petite cabine, sale en apparence, couverte àl’extérieur de poussière et de charbon écrasé,et qui, à l’intérieur, constituait en réalité,un fort luxueux salon.

Fantômasferma la porte, posa son revolver sur la table, et défitlentement le bâillon d’Hélène.

— Vousavez besoin de calme, dit le bandit. Reposez-vous.

MaisHélène, depuis l’instant où elle avait étébâillonnée, depuis l’instant où elle avaitperdu de vue Fandor, qu’elle s’étaitirrémédiablement sentie aux mains de Fantômas,s’était précisément efforcée aucalme, s’était précisément contrainte àréfléchir.

Hélènetoisa le bandit.

— Jene puis avoir de repos, répondit-elle, tant que je metrouverai sous votre dépendance. Vous prétendez quevous m’aimez, Fantômas ; vous prétendez quevous voulez, malgré tout me considérer toujours commevotre fille, je vous somme de me répondre, et de me direpourquoi vous causez en ce moment, et mon désespoir, et ledésespoir de Fandor ?

Ilfallait en vérité qu’Hélène fûtbien sûre de l’amour de Fantômas, de l’affectionque le bandit lui portait pour oser ainsi interroger, pour osersurtout prononcer devant lui le nom de Fandor.

Enécoutant celle qu’il regardait, en effet, comme safille, Fantômas avait froncé les sourcils. Un plibarrait son front. Il interrompit Hélène.

— Neme parlez point de Fandor, fit-il. Je le hais, comme je hais Juve…Et vous ne saurez jamais ce que j’ai souffert tout àl’heure, quand je le tenais au bout de mon revolver et quandj’ai dû me contraindre à ne point l’abattre !

Àson tour, Hélène interrompit Fantômas.

— Cettehaine, fit-elle, vous n’avez pas le droit d’en parler,Fantômas. Fandor est un honnête homme, et Fandor fait sondevoir en luttant contre vous. Votre haine n’a pas de motifavouable.

— Si,fit rudement Fantômas.

— Lequel ?

Àl’interrogation précise de sa fille, car c’étaittoujours sa fille à ses yeux, Fantômas frissonna. Lesveines de ses tempes se gonflèrent. Un accès de colèrele secoua.

— Jehais Fandor, commença-t-il, parce que…

— Parceque ? demanda Hélène.

— Parceque vous l’aimez !

Maisà cette sombre déclaration, Hélènes’emporta :

— Vousmentez ! murmura-t-elle. Vous mentez, Fantômas !…Vous haïssiez Fandor avant ! D’ailleurs, que vousferait que j’aime Fandor ? Fandor est mon mari…Voudriez-vous donc mon malheur ? Préféreriez-vousque je sois la femme d’un homme que je n’aimerais point ?

Hélènehaletait…

Peut-êtreespérait-elle, connaissant l’affection sincèreque Fantômas avait pour elle, arriver à toucher soncœur. Peut-être se disait-elle que l’âmefarouche de Fantômas, cette âme inaccessible à lapitié, n’avait jamais eu, en somme, qu’une seulefaiblesse, cette affection qu’il lui vouait.

Nepourrait-elle s’en faire une arme ? N’obtiendrait-ellepas sa liberté ?

Lamalheureuse dut abandonner rapidement toute lueur d’espoir.Fantômas de ce ton impérieux qu’il prenaitquelquefois, et qui rendait toute discussion impossible, rétorquaitdéjà :

— Jevous défends, Hélène, de jamais oser prétendredevant moi que vous êtes la femme de Fandor. Vous ne lui êtesrien, et il ne vous est rien, voilà la vérité…

Maisà cette affirmation, Hélène protestait encore :

— Lavérité à vos yeux peut-être, disait-elle.Mais il n’empêche que la loi elle-même…

Lajeune femme se tut.

Fantômasvenait d’éclater d’un rire infernal.

— Laloi est pour moi, déclarait-il, en affectant une pitiéplutôt méprisante à l’endroit de sa fille.La loi est pour moi, et je dois vous rapprendre… Hélène,vous croyez être la femme de Fandor… Vous ne l’êtespas ! Vous ne le serez jamais ! Oh ! sans doute, je neme fais point d’illusion, vous allez me répondre quevous avez épousé Fandor à la maison de santédu docteur Paul Drop.Vousallez me rappeler que Fandor, par je ne sais quel moyen, obtint duprésident de la République lui-même la dispensede publicité que rendait nécessaire votre agonieapparente. Vous allez me rappeler tout cela, vous allez me citercette cérémonie grotesque, au cours de laquelle eninfirmier Claude, je fus votre témoin, tout comme l’étaitVladimir, le comte d’Oberkhampf. Eh bien, tout cela, Hélène,apprenez-le, n’a aucune valeur, ne compte pas, n’existepoint, pas plus à mes yeux qu’aux yeux de la loi !