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— Une jolie femme a le droit de rêver l’impossible, fit remarquer l’antiquaire d’un ton sucré qui lui allait aussi mal que possible. De belle taille, le cheveu en voie de disparition, le nez important et le port majestueux, Gilles Vauxbrun ressemblait suivant l’éclairage à Napoléon ou à Louis XI s’ils s’étaient habillés à Londres. C’était un homme d’une extrême élégance à tous points de vue, un ami fidèle doué d’un grand sens de l’humour sauf si l’on faisait mine d’égratigner si peu que ce soit la favorite du moment. Alors il devenait féroce.

Pour l’heure présente il irradiait la joie de vivre quand il déboula dans le vestibule pour venir chercher Morosini :

— Les officiels arrivent ! Tu dois remonter ! Et peut-être faudrait-il arrêter ce flot jusqu’à ce qu’ils aient fait le tour des salons, ajouta-t-il en désignant la lente, l’inexorable procession des invités vrais ou faux qui s’étirait depuis la cour d’honneur comme une théorie de fourmis.

— Tu as raison. Va dire à ces types du service d’ordre qu’ils arrêtent ce flot. Tu fais partie du Comité, pas moi !

— Ça ne va pas être facile ! Mais d’où peuvent sortir tous ces gens ?

Un concert de protestations s’éleva naturellement. Vauxbrun prit alors la parole pour faire entendre raison : tout le monde pourrait entrer mais plus tard. Il y en avait déjà trop et il fallait au moins permettre à la cérémonie d’inauguration de se dérouler dans l’harmonie. Il finit par convaincre et rejoignit les salons avec Aldo.

Grâce au génie de Gabriel, son architecte, le Petit Trianon, bâti au bout d’une terrasse, était construit de telle façon qu’en entrant par la cour d’honneur, côté sud, il fallait gravir un étage pour atteindre les pièces nobles alors que, vers l’ouest, celles-ci se trouvaient au rez-de-chaussée. Un rez-de-chaussée un peu surélevé auquel on accédait par des degrés divergents avec balustres. Cette façade, avec ses quatre colonnes corinthiennes d’avant-corps sertissant trois des cinq hautes fenêtres, était la plus majestueuse de ce joyau de pierre blonde, peut-être le plus pur chef-d’œuvre de l’architecture de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Elle ouvrait sur le Jardin français qui s’étendait jusqu’à une pièce d’eau ronde au-delà de laquelle apparaissait un charmant pavillon. Les quatre faces de Trianon étaient d’ailleurs différentes. Elles ouvraient toutes par cinq croisées d’une grande noblesse donnant, à l’exception de la cour d’honneur, sur des jardins dissemblables : fleuriste au nord et botanique au sud. Ainsi l’avait voulu Louis XV, amateur éclairé de plantes rares. Un attique où étaient les appartements intimes couronné lui-même d’une balustrade surmontait l’étage de réception. Et ce petit château en forme de cube qui aurait pu être pesant réussissait l’exploit d’être une merveille de grâce et d’élégance. En le recevant en cadeau de son époux, la jeune Marie-Antoinette en avait été si charmée qu’elle ne l’avait plus guère quitté, y passant ses journées d’abord puis ses nuits de plus en plus souvent, n’y recevant que ses amis proches, la « coterie » qu’on lui avait tant reprochée, faisant arranger différemment les jardins et surtout le Hameau, un joli jouet pour une grande fille ! En fait, elle n’avait abandonné son Trianon que pour les prisons d’un peuple aux yeux de qui le délicieux domaine n’était qu’un lieu de débauches…

Aldo, pour sa part, adorait Trianon. S’il rendait au sublime Versailles le tribut d’admiration méritée par ce chef-d’œuvre absolu dans son extraordinaire splendeur, il s’était pris de tendresse pour ce petit joyau de sobre élégance bien propre à séduire une jeune reine ou un homme de goût. C’était une raison de plus, et non la moindre, de laisser exposer au public l’un de ses précieux trésors.

Accoudé à une balustrade, il regarda la longue voiture noire avec chauffeur et valet de pied s’arrêter au bas des marches sur lesquelles le Comité avait fait disposer des laquais en perruque poudrée et livrée aux couleurs de la reine. Deux personnes en descendirent : d’abord l’ambassadeur des États-Unis, Myron T. Herrick, vieil et fidèle ami de la France représentant à la fois son pays et le mécène John Rockefeller, ensuite la présidente d’honneur, qu’il aida galamment à mettre pied à terre… Une autre voiture noire venait derrière amenant le président du Conseil, André Tardieu, mais sans escorte officielle.

Vêtue de crêpe georgette de ce bleu tendre qu’affectionnait Marie-Antoinette, blonde et belle, la princesse Sixte de Bourbon-Parme, née Edwige de La Rochefoucauld et belle-sœur par mariage de l’impératrice Zita, s’accordait à merveille au décor ambiant, ce qui n’était pas le cas de son compagnon en sévère jaquette noire. Seuls les cheveux blancs et les vifs yeux bleus du diplomate le rattachaient à l’instant présent mais tous deux semblaient ravis d’être ensemble, n’ayant pas jugé bon d’interrompre l’alerte conversation qu’ils avaient dû entamer dans la voiture. La princesse riait franchement en atteignant le haut des marches où l’attendait le Comité. Cela donna tout de suite le ton de la fête : et l’on échangea saluts, baisemains et autres politesses dans un aimable brouhaha, après quoi le conservateur du château de Versailles, M. André Pératé, souhaita une bienvenue érudite mais assez courte pour n’être pas ennuyeuse, à laquelle le président du Conseil joignit quelques mots louangeurs à l’adresse de l’Amérique et de son ambassadeur… qui ne put moins faire que de répondre en termes tout aussi flatteurs. Cela fait, la princesse coupa le ruban bleu interdisant l’accès à l’exposition, tandis que l’on délivrait la foule à cartons entassée dans l’antichambre et une partie du salon de réception délimitée par des cordons de velours rouge. Et la visite commença…

L’exposition rassemblait d’abord de nombreuses effigies de la Reine : peintures, sculptures ou simples dessins. En marbre, en bronze, en albâtre ou sur toile, partout l’on rencontrait le beau visage altier. Des meubles aussi, appartenant au château ou prêtés par des collectionneurs. Des livres aux armes ou au monogramme de Marie-Antoinette étaient revenus dans la pièce qui avait été la bibliothèque, et sur les murs provisoirement tendus de soie quelques billets écrits de sa main et encadrés d’or voisinaient avec trois aquarelles peintes par elle. Dans les vitrines des éventails, des flacons, des mouchoirs et un objet très émouvant, le livre supportant les échantillons de tissus de toutes ses robes, ce registre qu’elle avait mille fois feuilleté et qu’apportait chaque matin la dame d’atour. D’habiles ouvrières avaient réussi à reconstituer, à partir de ce livre, deux des toilettes de la Reine exposées sur des mannequins avec des gants brodés et des souliers de satin. Des jouets d’enfants et des timbales évoquaient la mère. Des miroirs, des brosses, des peignes, des flacons et de petits pots de Sèvres, de vermeil ou d’argent, la femme coquette, et plus loin un nécessaire de voyage qui n’avait guère servi puisque, au contraire de toutes les reines de France, Marie-Antoinette n’avait jamais quitté Versailles ni surtout Trianon.

Laissant la foule piétiner sur les pas du conservateur qui lui délivrait une conférence itinérante et Vauxbrun, complètement détaché du sujet, se consacrer à Léonora, Aldo rejoignit l’appartement de la Reine par le chemin qui lui avait permis, tout à l’heure, d’éviter la cohue. Il se composait de trois « petites » pièces entresolées où chacune des précieuses vitrines avait été disposée. Il n’y restait que peu de meubles. Encore les avait-on retirés au bénéfice de torchères dont les lumières mettaient les joyaux en valeur. Une vitrine par salon permettait une circulation réduite sans doute mais assurant une meilleure surveillance.

C’était surtout le boudoir de Marie-Antoinette qui attirait Aldo. Là étaient les bijoux les plus précieux et il voulait examiner d’aussi près que possible la « larme » de diamant que l’on y avait installée auprès de ses girandoles et des bracelets de son beau-père.