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— Marie-Antoinette ne relève pas de l’archéologie !

— Tu n’y connais rien ! Un parallèle entre sa bien-aimée reine et Néfertiti par exemple aurait de grandes chances de le séduire. Surtout présenté par moi !

On se sépara dès la grille franchie. Crawford annonça que le Comité se réunirait le lendemain à midi chez la présidente et demanda à Morosini d’en aviser Mlle du Plan-Crépin.

— La date de la fête nocturne se rapproche, soupira-t-il. Il nous faut prendre une décision. Annuler me paraît difficile mais d’autre part la presse va nous tomber dessus en nous accusant de danser dans le sang.

Une dernière poignée de main et il s’éloignait de son pas lourd appuyé sur sa canne.

— C’est un type sympathique, remarqua Aldo. Mais veux-tu me dire pourquoi je pense à la statue du Commandeur de Don Juanchaque fois que je le vois ?…

— Oh, c’est son côté monolithique ! Et à propos de voir, tu ne saurais pas où est passé Karloff ?

En effet ni lui ni sa voiture n’étaient en vue. Ce qui ne lui ressemblait pas… On eut beau remonter la rue des Réservoirs jusqu’au château, fouiller les alentours du théâtre, on ne trouva rien.

— Il ne « fait » plus la nuit, dit Aldo. Il n’aurait pas pris un client ?

— C’est peut-être la police qui l’a mis en fuite. Lui et Lemercier ne sont pas franchement copains… De toute façon il sait toujours très bien ce qu’il fait. Alors allons nous mettre au sec… et nous humecter le gosier. J’ai une soif de tous les diables !

— D’autant qu’il nous faut aller au rapport. Imaginer Tante Amélie et son fidèle bedeau dormant du sommeil des anges relève de la pure fiction. Et puis Karloff nous rejoindra peut-être.

Mais on ne le revit ni cette nuit-là ni le lendemain matin.

Interrogé, le réceptionniste du Palace s’avoua surpris : il avait eu pour lui un client et non seulement il n’était pas venu stationner comme d’habitude mais il ne répondait pas au téléphone. D’un même mouvement les deux hommes s’élancèrent vers la petite Amilcar rouge et noire…

CHAPITRE V

UN APPEL AU SECOURS

Quelques heures plus tard, le Comité au complet – les Parisiens avaient été appelés par téléphone ! – se rendait en ordre dispersé chez la comtesse de La Begassière pour y tenir une réunion d’urgence que l’aimable dame convertissait en déjeuner, en vertu de ce principe que les pilules les plus difficiles à avaler passent mieux quand on les accompagne d’une cuisine raffinée et de vins choisis avec discernement par un maître d’hôtel que tout Versailles lui enviait.

Elle habitait rue de l’Indépendance américaine, une de ces anciennes demeures de dignitaires, construites de briques et de pierres blanches afin d’être en harmonie avec un élément du château appelé l’aile des Princes qui, face au Grand Commun, occupait une partie de la rue. De ses fenêtres elle avait vue sur l’Orangerie, ce que beaucoup considéraient comme un privilège. Ceux tout au moins qui ne résidaient pas dans ce beau quartier du vieux Versailles, noyau de la ville royale, bâti entre la cathédrale Saint-Louis et le palais du Soleil couronné.

Laissant Adalbert tenir compagnie à Tante Amélie, Aldo et Marie-Angéline choisirent de s’y rendre à pied. Le temps était redevenu clément même si l’air bleuté restait un peu froid pour la saison. Tous deux appréciaient cette promenade d’environ un kilomètre à travers la noble cité. Lavé de frais, Versailles étincelait et embaumait la terre, l’herbe et les plantes mouillées mêlées à une légère senteur de bois brûlé évocatrice de flambées allumées dans les cheminées pour lutter contre l’humidité. Plan-Crépin adorait marcher. Quant à son compagnon, si le footing n’était pas son sport favori – bien qu’il fût capable de fournir de longues distances ! – il aimait déambuler – parfois sans but précis – lorsque quelque chose le tourmentait. Ce qui était le cas…

Lorsque Adalbert avait stoppé son bruyant moteur devant la maison de Karloff, l’écho d’un chant religieux prit sa place. Deux voix féminines – l’une frêle, l’autre grave – interprétaient en russe ce qui paraissait être un hymne à la douleur :

— On n’en est tout de même pas déjà aux funérailles ? marmotta-t-il.

Plus qu’inquiet, Aldo ouvrit la barrière du jardin et s’avança vers la maison redoutant de trouver ces femmes en train de chanter devant un corps étendu sans vie comme cela se faisait en Russie. La porte n’étant pas fermée à clef, il l’ouvrit mais son élan s’arrêta au seuil d’une pièce assez grande qui devait servir de salle à manger et de salon. Sur le mur du fond, plusieurs icônes étaient disposées autour de celle, nettement plus importante, de Notre-Dame de Kazan, le tout éclairé par une demi-douzaine de cierges, devant lesquelles deux femmes à genoux chantaient en pleurant. Deux femmes à peu près du même âge mais aussi différentes que leurs voix. L’une, taillée comme un grenadier dont elle possédait le timbre profond, dépassait d’une tête sa compagne fragile et délicate dont les cheveux blancs sortaient du fichu violet noué sous le menton. Celle-là très certainement était l’épouse du colonel même si l’autre pleurait plus fort qu’elle.

Il fallut attendre sans bouger que le cantique fût achevé puis une série de génuflexions et de signes de croix alternant avec ce qui avait l’air d’une litanie. Cela fait, la plus imposante aida sa compagne à se relever et la conduisit vers la table où fumait le samovar. À ce moment elles s’aperçurent qu’elle avaient des visiteurs.

— Vous voulez quoi ? demanda le « grenadier » sans s’encombrer de politesse superflue en croisant sur une poitrine généreuse des bras de lutteur.

— Voir Mme Karlova, répondit Aldo en s’inclinant devant la petite dame. Si toutefois elle y consent. Voici M. Vidal-Pellicorne de l’Institut et je me nomme Aldo Morosini. Nous sommes des amis du colonel et nous souhaitons…

La grande émit alors une sorte d’ululement et se tourna vers les images pieuses dans l’intention évidente de s’y précipiter pour entamer sans doute un nouveau lamento quand sa compagne l’arrêta d’un sec :

— Cela suffit, Marfa ! Le temps de la prière reviendra ! Pour le moment, je désire entendre ces messieurs qui apportent peut-être des nouvelles ! Je sais qui vous êtes, ajouta-t-elle en ébauchant un courageux sourire qu’elle ne put achever. Prenez place s’il vous plaît ! Et dites-moi si vous savez où est mon époux.

Elle leur désignait des sièges qu’ils prirent tandis que Marfa choisissait de se consacrer au samovar et sortait les tasses selon les rites de l’hospitalité russe.

— Nous espérions le trouver ici, madame, mais si je comprends bien il n’est pas rentré ?…

— Non… et c’est la première fois que le jour s’est levé sans que je sache où il est. Même quand il travaillait la nuit, il s’arrangeait pour me prévenir quand il devait s’attarder. Depuis hier où il m’a dit par téléphone qu’il rentrerait sans doute tard, je ne sais plus rien.

— Nous en savons à peine plus, madame, dit Adalbert. La dernière fois que nous l’avons vu il s’était garé près du théâtre Montansier afin de nous prêter main-forte au cas où il aurait fallu poursuivre le personnage mystérieux avec lequel nous avions rendez-vous près du bassin du Dragon et en compagnie de la police, d’ailleurs…

— Ce personnage s’est échappé et il l’a suivi ?

— Non. L’homme ne s’est pas présenté. Il n’y a donc pas eu de poursuite, mais quand nous avons voulu rejoindre le colonel, il avait disparu… Cependant, ne perdez pas l’espoir, je vous en supplie, ajouta Aldo en voyant s’assombrir les yeux bleus de Liouba Karlova. Vous le connaissez mieux que nous et vous devez savoir que lorsqu’il flaire une piste, il ne peut s’empêcher de la suivre. Peut-être a-t-il vu quelque chose pendant qu’il attendait et voulu en savoir plus ? Au fond, il n’est en retard que de quelques heures…